Article rédigé par Constance Prazel, le 11 septembre 2020
Madame se meurt ! Madame est morte. De qui s’agit-il ? Non plus de la duchesse d’Orléans, mais de la culture chrétienne en France, si l’on en croit une récente enquête réalisée par l’IFOP pour Le Monde. Ce sondage, réalisé sur un échantillon dit « représentatif », reprend les mêmes termes que ceux d’une enquête effectuée il y a plus de trente ans, en 1988. Dans ce laps de temps, celui d’une génération, la culture chrétienne en France s’est littéralement effondrée, en particulier chez les plus jeunes.
On pourrait se rassurer en notant quelques invariants, la résistance inexplicable de siècles de christianisme qui laissent encore des traces chez celle qui fut jadis la fille aînée de l’Eglise. Ils sont encore 75 % de Français à reconnaître que Noël est une fête chrétienne, ou encore 56 % à connaître en entier le « Notre Père ».
Mais le problème est celui de la transmission aux nouvelles générations, pour lesquelles on nous avait pourtant promis des lendemains qui chantent, à coups de renouveau catéchétique et de nouvelle évangélisation. La sociologue des religions Isabelle Jonveaux note que « depuis le concile de Vatican II (de 1962 à 1965), le contenu du catéchisme catholique se base beaucoup moins sur des connaissances que sur des dimensions émotionnelles ou des valeurs humaines comme le pardon, l’amitié, le partage… » Il est certain qu’une foi qui joue avant tout sur l’émotionnel ne peut que se fragiliser et s’étioler, car elle affaiblit son socle commun transmissible et laisse croître la part de l’irrationnel. Il y a nombre de leçons à tirer, et au plus vite, sur la faillite d’un système auquel une partie significative de la hiérarchie ecclésiale est encore obstinément attachée.
La transmission n’a pas été au rendez-vous, et Jérôme Fourquet, le directeur du département « Opinion » de l’IFOP, pointe douloureusement cette réalité cruelle, du fait des pratiquants eux-mêmes. Prenons l’exemple de la fête de la Pentecôte : 13 % seulement des personnes interrogées en connaissent la véritable signification. Mais le plus grave est que 62 % des catholiques dits « pratiquants » préfèrent ne pas se prononcer sur le sujet. De telles enquêtes démasquent assurément les faux-semblants, les étiquettes faussement rassurantes sur l’état actuel de la pratique, soi-disant « plus pure », « plus vraie », moins hypocrite qu’autrefois. Que signifie le terme de « pratiquants », quand les 2/3 d’entre eux ignorent manifestement la fête qui célèbre la venue de l’Esprit-Saint sur les apôtres et la Mère du Christ ?
Au beau milieu de cet effondrement, on note cependant quelques étranges îlots de résistance. 31 % des Français ont toujours une Bible chez eux, 25 % un chapelet, 23 % une statue de la Vierge : une nouvelle preuve que la foi, pour subsister, a besoin d’incarnations concrètes et simples, de « bondieuseries » et pas uniquement de séminaires de théologie dans le Quartier Latin. Chapelets, statues, médailles, pour ne pas parler des processions, des pèlerinages et dévotions locales : pendant plusieurs décennies, les formes de la piété populaire ont été soigneusement critiquées, moquées, mises au rancard parce que sulpiciennes, ringardes ou superstitieuses. Teintés d’affection et de souvenirs charnels, elles sont pourtant les ultimes branches auxquelles se raccrocher dans le désert de la foi.
Samedi 4 septembre, en la cathédrale russe Saint-Alexandre Nevsky, à Paris, Gérard Depardieu le bien-nommé se faisait re-baptiser orthodoxe. A cette nouvelle, deux constats nous viennent à l’esprit : il est étonnant que Gérard Depardieu ait dû ainsi se tourner vers nos frères d’Orient, vers une autre culture et une autre liturgie, pour raviver sa foi ; mais il n’est absolument pas étonnant qu’il l’ait fait, tant il est vrai que l’Eglise occidentale, en profonde crise liturgique, peine aujourd’hui à nourrir les âmes desséchées, en manque terrible de beauté et de sacré.
Le souffle destructeur de la sécularisation, du consumérisme, du matérialisme est si puissant qu’il faut un feu particulièrement ardent pour ne pas laisser la foi s’éteindre. Il nous revient à chacun de nous interroger sur notre capacité à résister, et à transmettre, car les chiffres sont là, et ils sont cruels. Heureusement, rien n’est impossible à Dieu !
Constance Prazel