Article rédigé par Le Salon Beige, le 19 août 2020
Vous trouverez ci-dessous l'homélie de Dom Courau, père abbé de Triors, lors de la fête de l’Assomption.
Mes bien chers frères, mes très chers fils,
Sursum corda : avant d’entrer dans la Prière eucharistique, peu avant que Dieu vienne nous visiter à la messe avec sa Croix glorieuse, l’Église invite les fidèles à élever leur cœur vers le Mystère rédempteur qui leur ouvre ainsi le ciel. La collecte de ce jour a également cette perspective céleste, ad superna semper intenti – tout tendus vers les réalités d’En-Haut. Notre Dame monte au ciel avec son corps et son âme, son Assomption nous donne d’espérer pour tout de bon les réalités d’En-Haut. La recevant chez elle, Élisabeth déjà témoignait qu’en entrant chez elle, c’était le ciel qui entrait. L’évangile de ce jour pétille déjà de l’éternité : Benedictus, benedicta, beata (Luc 1,41-50). Élisabeth atteste que le fruit du sein de Marie est le Béni du Père des cieux, aussi Marie est-elle bénie entre toutes les femmes, comme le dit nos Ave Maria. Avec Élisabeth nous répétons ces mots avec plus de vérité que lorsque le peuple d’Israël acclama Judith victorieuse d’Holopherne (Judith 13,18). Oui, il nous plaît de renchérir avec la vieille cousine : Bienheureuse êtes-vous, Marie, d’avoir cru à l’invitation divine d’œuvrer à l’Incarnation ; et elle-même constate que toutes les générations convergent vers sa personne en la déclarant telle : Beatam me dicent omnes generationes (Luc 1,48). Oui, le ciel est ouvert et Marie nous y attend.
Un ouvrage récent est consacré à l’éternité reçue (Martin Steffens, DDB 2020). C’est son titre et il annonce la couleur : la vie éternelle est le grand don désormais, à recevoir des mains de Dieu, un don et non pas un dû, une grâce à solliciter avec une humble déférence. Pourtant, par un étrange retournement des valeurs, ce désir d’éternité paraît étrangement absent autour de nous. L’homme en effet se veut satisfait de son sort, il se convainc qu’il est bien là où il est : alors que faire d’un autre monde ? Et il s’éloigne d’un même pas, et de Marie et du ciel, s’enfermant sur lui-même dans une fâcheuse clôture égoïste. L’absence de transcendance ne semble pas déranger le moins du monde la mentalité actuelle. Et le matérialisme pratique qu’on impose crée de façon à la fois feutrée et criante un immense malentendu entre notre millénaire encore bien novice et le triomphe de l’Assomption. Sous nos yeux, l’univers musulman semble le seul désormais à s’intéresser à l’au-delà, pourtant l’idée qu’il se fait du ciel est bien caricaturale et étroite, sans issue surnaturelle.
Quoi qu’il en soit, l’homme qui se croit ainsi libre méprise d’un même mouvement le passé et l’avenir éternel, et il gaspille alors le présent. Sa sagesse de camomille, comme dit l’auteur, sa sagesse de pacotille stérilise et empoisonne sa vie perçue secrètement comme frustrée, loin de Marie. Pour faire l’économie d’un au-delà, l’homme postmoderne invente cette pâle stratégie pour se rassurer lui-même, loin de sa Mère des cieux. Dès lors, on le voit bien, le plus grand adversaire actuel du christianisme n’est pas tant l’athéisme, que, plus précisément le refus de l’Incarnation : car si Dieu s’incarne en Marie et vient jusqu’à nous, c’est pour nous ouvrir le ciel et ses perspectives inouïes. À ce titre, la fête de Marie aujourd’hui est vraiment l’antidote du neuroleptique qui endort l’humanité présente.
À dire vrai, cela ne date pas d’aujourd’hui. Au XVIIèm es., Pascal y voyait la trace de son adversaire, le démon prompt à entraver notre destinée surnaturelle :
Rien n’est si important à l’homme que son état; aussi rien ne lui est si redoutable que l’éternité… C’est une chose monstrueuse de voir dans un même cœur et en même temps cette sensibilité pour les moindres choses et cette étrange insensibilité pour les plus grandes. C’est un enchantement incompréhensible, et un assoupissement non naturel, qui marque une force toute-puissante qui le cause (Pensées).
Le soir approche et déjà le jour baisse. Par ce livre paru l’an dernier, le Cardinal Sarah réveille nos consciences. Depuis, la curieuse et mystérieuse pandémie corrobore ses intuitions. Une chape d’angoisse s’est imposée à nous, puisqu’un simple virus suffit à nous confiner dans l’évidence que notre vie est fragile, que la mort n’est pas loin. La question de la vie éternelle ne peut manquer de se poser, remarquait-il, quand on nous annonce tous les jours un grand nombre de contagions et de décès (Valeurs Actuelles 9 avril 2020, p. 15). Et cette société si sûre d’elle-même ne peut plus cacher que nous sommes mortels, tout en étant si malhabile pour en parler. Pourtant Marie s’immisce dans l’épreuve ; celle-ci n’est pas un piège ni une impasse. Le Père Lethel, un grand Carme, a vu dans ses 17 jours d’hôpital son plus grand acte de charité sacerdotale. Un enfant décédé du Covid disait avec la justesse de la foi : Mais maman, tout le monde prie pour ma guérison. Il faut demander des choses importantes comme la vie éternelle.
Des voix s’élèvent pour décrypter un peu le sens de ce que nous vivons, surtout si l’on y ajoute le drame du Liban, l’arrogance turque face au passé chrétien de l’Asie Mineure, et, pire que tout peut-être, ces lois libertaires votées à la va-vite, dans la canicule succédant au confinement, et encore, par le quart de la représentation nationale. La mort rode, et on continue de danser sur le volcan que l’on prétend nier ainsi.
Néanmoins, à l’heure de cette messe pontificale en l’honneur de l’Assomption, la ville de Paris est aux pieds de Notre Dame de France qui pélerine dans le pays, pour y inscrire un grand M en son honneur. Élisabeth a reçu chez elle la jeune cousine. La France reçoit de même en son sein vieilli, ridé et fatigué la glorieuse Mère de Dieu. Certains pleurent l’absence cette année du Tour de France cycliste : puissions-nous être nombreux à acclamer Marie à la place, de près ou de loin : elle sillonne les rues de la capitale, puis dans un instant l’archevêque de Paris consacrera à Montmartre la ville de Paris aux Cœurs unis de Jésus et de Marie, en priant pour la France en cette période spéciale, dans la ligne du vœu national renouvelé à l’issue des Vêpres ce soir.
Les saints qui laissent les plus grandes traces sur terre ont crié leur désir du ciel. Laissez-moi m’en aller vers la maison du Père, disait Jean-Paul II en son dernier soir après avoir labouré l’univers entier (2 avril 2005). Jésus, je t’aime. Jésus, je t’aime, répétait sainte Mère Teresa au moment de mourir en 1997. Le Magnificat de Notre Dame chez Élisabeth happe nos cœurs vers Dieu, Tirez-nous vers le Haut à l’odeur de vos parfums, maintenant et à l’heure de notre mort, amen.