Article rédigé par Constance Prazel, le 04 août 2020
Les vacances sont propices aux grands rangements et aux grands chambardements ; ils sont à l’ordre du jour au Rassemblement national. Faire le ménage, faire le tri, avant la rentrée, et surtout avant la prochaine échéance des élections régionales au printemps 2021. Plusieurs membres du RN ont ainsi été écartés dans le courant du mois de juillet de la commission nationale d’investiture, par la voie d’un courriel laconique. Un geste qui est loin d’être anodin pour les concernés, car la commission en question a pour mission de désigner les 8 000 candidats des prochaines élections départementales, et les dix-huit listes du parti pour les régionales.
Parmi les exclus, deux figures se détachent : Gilbert Collard, l’avocat à la verve intarissable, actuellement député européen et ancien député du Gard, qu’on ne présente plus, et surtout Nicolas Bay, ancien secrétaire général du Parti, qui n’a jamais fait mystère de ses attachements conservateurs. Nicolas Bay a notamment toujours été de tous les combats sur la famille. La nièce du sénateur marseillais Stéphane Ravier a elle aussi été évincée. La purge se lit aussi au niveau local, et l’on assiste à une réédition de l’éternelle bataille du « RN du Sud » contre le « RN du Nord », tandis que sont réintégrées des personnalités de l’entourage de Florian Philippot, comme Mathilde Androuët, son ancienne assistante.
Une donnée essentielle du problème : à l’heure où Marion Maréchal joue la carte du retrait engagé, du « métapolitique », publie, inaugure son antenne de l’ISSEP à Madrid, il semblerait que Marine Le Pen se méfie avec obsession de l’influence délétère que pourrait exercer sa nièce à distance sur le parti. Le résultat en est que c’est bien la ligne conservatrice, de droite, pro-famille, qui en pâtit au sein du parti national.
Tout cela pourrait être assimilé à une sombre et peu ragoûtante cuisine électorale, mais les faits sont plus graves. La question qui se pose est celle des valeurs que le parti entend, fondamentalement, défendre au-delà des stratégies politiciennes. Alors que le gouvernement pousse délibérément le projet mortifère de la loi de bioéthique, les députés du Rassemblement national – ils sont pourtant 6 à être élus à l’Assemblée – sont aux abonnés absents, que ce soit à la tribune, où l’on a davantage entendu des personnalités comme Annie Genevard, Patrick Hetzel, Xavier Breton ou Emmanuelle Ménard, ou au vote. La présidente Marine Le Pen ne s’est pas ouvertement prononcée sur le sujet ces derniers mois, même si l’on suppose son opposition personnelle au texte. Nous pouvons toujours supputer que le parti se réserve pour la prochaine bataille – la navette parlementaire n’est pas terminée, et le vote final n’a pas encore eu lieu, mais nous nous permettons d'être sceptiques…
Calcul ou conviction ? Marine Le Pen sait qu’elle n’a rien à attendre d’une certaine bourgeoisie catholique respectable, ceux-là même qui s’opposent à la loi de bioéthique, comme autrefois à la loi Taubira ou au PACS ; une détestation à double sens qui a des racines profondes, un malentendu qui date et qui dure. Cela peut s’expliquer, s’analyser, sinon se comprendre ou s’excuser. Mais il s’agit pour la présidente du RN d’un abcès de fixation qui est lourd de conséquences. Elle ne peut se résoudre, sur ces questions, comme sur d’autres avec un effet tache d’huile, à assumer un discours de droite, à assumer une posture idéologique et une attitude à même de séduire les élites conservatrices – dont elle a pourtant besoin pour gagner, et surtout pour gouverner. Elle continue de réfuter obstinément le vocable de droite, et se préoccupe avec intensité de s’assurer un électorat social de gauche, qui ne saurait non plus suffire à la mener à la victoire. A ce petit jeu, elle risque aussi de lasser et de perdre ceux qui, passant outre la pression de la « respectabilité », avaient pourtant franchi le Rubicon et votaient RN, dans l’attente d’une vraie politique de droite. L’espace béant, sur l’échiquier politique, ouvert par la démission des Républicains macronisés, est toujours là. Qui saura s’en saisir ?
Constance Prazel