Article rédigé par Revue Conflits, le 19 août 2020
La jeune Ukraine vit certainement une de ses périodes les plus difficiles depuis sa création en 1991 à la suite de la dislocation de l’URSS. Secouée par une crise économique sans précédent et déchirée sur sa frontière linguistique interne elle a du mal à faire face aux différentes crises. Malgré une aide massive occidentale, les indicateurs ukrainiens ne sont pas bons et Kiev a de quoi s’inquiéter.
Le président Volodymyr Zelensky, élu en 2019, incarnait un souffle nouveau et représentait la volonté des Ukrainiens de tourner rapidement la page de Petro Porochenko. Zelensky avait affirmé qu’il mettrait fin à la corruption et à la guerre au Donbass et qu’il remettrait le pays sur la voie de la croissance. Malgré des discours séduisants et une volonté affichée de réformer, l’ancien comique de la télévision ukrainienne est loin d’atteindre ses objectifs qui, il est vrai, ressemblent aux 12 travaux d’Héraclès.
La croissance du PIB ukrainien est estimée à -7,7%, la dette publique à plus de 50% du PIB et on évalue à plus de 10% du PIB le revenu que renvoient en Ukraine chaque année les quelque 5 millions d’Ukrainiens qui sont obligés de quitter le pays pour vivre.
Le 27 avril dernier, dans le quotidien espagnol El Pais, Zelensky a rappelé que son pays est au bord de la faillite et s’écroulerait dans la pauvreté sans aide étrangère. Zelensky avoue humblement qu’en dépit de nombreuses nouvelles lois il n’a toujours pas réussi à transformer son économie, encore trop dépendante des matières premières, et qu’il a besoin, de nouveau, d’aide du FMI et de la Banque Mondiale pour s’en sortir. Pour éviter un nouveau risque de défaut de paiement, Zelensky a dû batailler au sein de la Verkhovna Rada (parlement) et a même subi une fronde importante au sein de son propre parti pour faire voter deux lois exigées par le Fonds Monétaire International : une loi sur la protection du système bancaire ukrainien des oligarques et une autre sur la levée du moratoire sur la vente des terres agricoles. Pour l’ex-Premier ministre Ioulia Timochenko, l’adoption de la loi sur les terres agricoles est « l’une des plus grandes tragédies de l’Histoire du pays. » La crainte d’une majorité des Ukrainiens est en effet que la loi n’ouvre la porte à moyen terme au rachat massif des terres ukrainiennes par des multinationales étrangères.
Les lois ont finalement été votées et le FMI a validé un prêt de 5 milliards de dollars, dont 2,1 débloqués immédiatement. Malheureusement pour Zelensky le président de la Banque centrale ukrainienne, Yakov Smolii, démissionna dans la foulée à grand fracas en dénonçant la « pression politique systémique » contre l’indépendance de la banque centrale ce qui sème évidemment le trouble sur les marchés et au sein du FMI.
Plusieurs décisions importantes des accords de Minsk II (2015) ne sont toujours pas appliquées et la guerre se poursuit au Donbass. Depuis 2014 le conflit a déjà coûté la vie à plus de 13 000 personnes. Les habitants du Donbass, las d’être bombardés par l’armée ukrainienne, sont de plus en plus nombreux non pas à demander l’indépendance de l’Ukraine, mais la réunification avec la Russie. Des drapeaux russes flottent dans les rues des deux républiques et même sur certains bâtiments publics. Les habitants ont délaissé la hryvna ukrainienne pour commercer dorénavant en roubles russes et de plus en plus d’habitants du Donbass demandent le passeport russe. En début d’année le président d’une des deux républiques sécessionnistes, la République populaire de Donetsk, Denis Pouchiline, déclarait : « Depuis 2014, nous n’avons jamais caché ou changé notre trajectoire. Notre tâche principale reste la même : retourner dans notre patrie historique, dans une Russie réunifiée. » Zelensky craint à juste titre que les autres régions russophones d’Ukraine comme Odessa, Kharkov ou Dnepropetrovsk ou même la Transcarpathie, qui est peuplée par une importante communauté hongroise, ne suivent le chemin du Donbass. Le risque de Balkanisation de l’Ukraine sur des lignes linguistiques ou ethniques est réelle et Kiev semble impuissante pour y répondre.
À force de consacrer une part non négligeable de son budget à son armée (20%) et au remboursement de sa dette (30%) l’Ukraine a délaissé des secteurs majeurs de son économie comme on l’a vu en avril dernier lors des incendies autour de Tchernobyl qui ont détruit 22 000 hectares de son territoire. Les flammes sont arrivées dans la zone d’exclusion à 1,5 kilomètre du sarcophage qui couvre le réacteur de secours de la centrale nucléaire et du stockage des déchets nucléaires. La fumée de ces feux, transportée par le vent, a enveloppé Kiev dont le niveau de pollution au 17 avril figurait parmi les pires du monde d’après IQair. Par miracle, la zone nucléaire n’a pas été touchée, mais on n’a pas été loin d’une catastrophe qui aurait, de nouveau, affecté le continent européen. Le danger a permis de souligner que l’Ukraine ne s’était toujours pas dotée des moyens nécessaires pour gérer le risque nucléaire et les situations d’urgence.
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19/08/2020 06:00