Article rédigé par Constance Prazel , le 19 juin 2020
Cet article fait partie du dossier "Un vent de conservatisme" figurant dans le dernier numéro de la revue Liberté politique.
La France peine à se penser conservatrice : plusieurs épisodes historiques permettent de l'expliquer sans peine. Pourtant, le choix positif du conservatisme est l'une des voies privilégiées à emprunter pour surmonter une histoire faite de ruptures douloureuses et de choix idéologiques mortifères.
Un vent de conservatisme soufflerait, pense-t-on, à l’échelle mondiale, et pourtant la France reste désespérément à l’écart d’un mouvement qui partout ailleurs ne relève plus de l’anecdotique. Le terme de conservatisme a furieusement mauvaise presse. Si l’essayiste Éric Zemmour revendique le terme au motif que ce sont les belles choses que par essence l’on choisit de conserver, quelqu’un comme François-Xavier Bellamy répète volontiers qu’il n’aime pas le terme de conservateur ; Marine Le Pen, quant à elle, s’en méfie comme de la peste. Il est vrai, comme le rappelle Guillaume de Thieulloy en introduction de son article dans ce même numéro, que le conservatisme n’est pas stricto sensu un terme faisant historiquement partie du paysage politique français, à la différence de l’Angleterre, où il occupe une place de choix.
Si nous utilisons ici cette étiquette, c’est par commodité, mais aussi parce que selon nous, la difficulté qu’a la classe politique française « de droite » à s’approprier intelligemment le terme est révélatrice de blocages profonds qui la conduisent à une impasse. En effet, il ne s’agit point là d’une simple querelle de mots. Il faut aller creuser dans les méandres de l’histoire française depuis deux siècles pour comprendre le mal profond dont souffre la droite française, si tant est qu’elle existe encore tant elle peine à assumer le terme.
La naissance des termes de droite et de gauche le 11 septembre 1789, à l’occasion des délibérations, par la jeune assemblée nationale, sur le droite de veto à accorder au roi, doit nous rappeler la relativité des termes structurants depuis plus de deux siècles le débat politique, en France mais aussi à l’étranger. Du côté de droit de l’hémicycle, par rapport au président, ceux qu’on appelle tout d’abord les monarchiens, et qui défendent le droit de veto absolu pour le roi, là où les députés placés à gauche défendent un simple veto suspensif. Quelques mois plus tard, la division est bien entérinée : à droite, les partisans de la monarchie, et à gauche, les défenseurs de la Révolution. Vae Victis, mort aux vaincus : la droite trouve sa naissance dans le traumatisme originel de la Révolution française ; elle est du côté de ceux qui ont perdu, d’une histoire qui ne s’écrira jamais plus. La Révolution française étant par ailleurs une période d’intenses persécutions à l’égard de la religion catholique, s’opère une douloureuse synthèse dans les esprits. La monarchie déchue fait corps avec la foi martyre ; la droite reste tributaire de cette double cause à défendre, et entretient dès lors un rapport contrarié à la monarchie disparue, comme à la religion catholique qui entame un lent et inexorable déclin.
Le XIXe siècle français est pour la droite l’histoire d’une lente acclimatation au système et aux valeurs nés de la Révolution, à la suite de l’impossible retour à la monarchie légitime maladroitement tenté par la Restauration, et du discrédit de la monarchie des Français sans âme incarnée par Louis-Philippe. Le Second Empire, période brillante d’exceptionnelle vitalité et inventivité pour la France, qui n’est redécouverte et estimée à sa juste valeur que depuis peu, s’effondre dans le fracas des armes à Sedan. Il y a quelque chose d’un habile équilibre « conservateur » dans le Second Empire ; ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette période s’accompagne d’une bonne entente avec l’Angleterre. La défaite contre la Prusse sonne le glas de la dernière tentative intelligente de synthèse entre monarchie et révolution. Avec un empire déchu et une royauté introuvable, la droite française est plusieurs fois orpheline et subit les assauts d’une République qui entre par la petite porte alors que personne en France n’y tient vraiment, et qui entend bien prendre sa revanche.
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