Article rédigé par Philippe Némo pour Valeurs actuelles, le 04 juin 2020
Source [Philippe Némo pour Valeurs actuelles] L’éviction du directeur de Saint-Jean de Passy n’est pas une simple affaire scolaire : elle met en question l’avenir même de l’enseignement catholique en France, affirme le philosophe, enseignant et essayiste Philippe Nemo, qui dirige l’Ecole professorale de Paris. Tribune.
L’affaire du limogeage brutal de M. François-Xavier Clément, directeur estimé de l’école Saint-Jean de Passy, dépasse de très loin le cadre local et mérite que l’opinion soit avertie. En effet, elle met en question rien de moins que l’avenir de l’enseignement catholique en France et aussi, à certains égards, celui de l’Église.
M. Clément a été renvoyé pour des raisons que personne ne comprend, et dans des formes particulièrement expéditives. Or, tout le monde sait aujourd’hui que les motifs invoqués pour ce licenciement ne sont que des prétextes. Les « erreurs managériales » qu’on lui reproche sont soit inexistantes, soit vénielles, et la sanction est démesurée. S’il a été limogé, c’est parce qu’on voulait le limoger de toute façon. Pour quelles raisons ? On peut légitimement penser que c’est une opération menée par les adversaires de la liberté scolaire, et en ce sens, derrière des apparences de simple remaniement administratif, une opération essentiellement politique.
Il y a en effet dans l’enseignement catholique, ou plus précisément dans sa bureaucratie, des personnes qui rêvent de faire de l’enseignement catholique un « petit mammouth » ressemblant le plus possible au grand, dans l’idée, peut-être, de rendre possible à terme son intégration à un grand service public unifié. Pour cela, ils ont besoin d’aligner strictement les écoles catholiques sur les options pédagogiques de l’Éducation nationale. Pour ces bureaucrates, il est donc désastreux que certaines écoles catholiques usent de leur autonomie pour développer des projets pédagogiques différents, « clivants » (comme ils disent) ou, suprême invective, « élitistes ». Surtout lorsque ces projets mettent l’accent sur l’excellence académique, c’est-à-dire sur l’étude méthodique des savoirs au rebours du tout-pédagogisme dont l’Éducation nationale actuelle a fait le choix.
Face à ces bureaucrates, il existe un nombre considérable d’écoles catholiques indépendantes qui ont chacune leur histoire et leur caractère propre, et qui ne souhaitent pas se fondre dans l’Éducation nationale. Elles sont une richesse considérable pour la société française dans son ensemble et d’abord, bien entendu, pour l’Église. En effet, elles obtiennent souvent d’excellents résultats scolaires, comme le révèlent les classements des écoles établis par le ministère et divers médias, où l’on peut constater que les trente ou quarante premières places sont majoritairement occupées par des établissements catholiques. Cette position privilégiée dans le système scolaire français est une chance providentielle pour l’Église, qui est ainsi en situation d’enseigner à la future élite du pays les valeurs essentielles, avec les effets démultiplicateurs que cela comporte pour l’avenir.
En désavouant violemment un dirigeant en vue d’une de ces écoles, et en donnant ainsi un signal destiné à convaincre les autres de rentrer dans le rang, le diocèse de Paris paraît attacher peu de prix à cette position scolaire stratégique de l’Église (à qui l’Histoire ne repassera pas ce plat de sitôt). Est-ce au nom de cette triste théologie selon laquelle toute recherche de l’excellence serait contraire à la charité chrétienne ? Comme si le fait de développer au maximum les talents et potentiels que Dieu a donnés à chaque enfant était contraire à l’esprit de l’Évangile, comme si, en développant pleinement ces talents, on n’œuvrait pas très efficacement pour le bien commun, y compris en faveur des plus pauvres, et comme si le fait de permettre la pleine réussite des enfants ayant les potentiels nécessaires n’aboutissait pas à un vrai brassage social, comme celui que réalisa en son temps la « méritocratie républicaine » ?
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