Article rédigé par Jean-Michel Olivereau, le 13 mars 2020
L’humanisme mortifère hérité des Lumières entend progressivement briser la Paternité divine, les pères et les patries. En influençant notre façon de penser la mission, il crée des dégâts profonds.
La grande fraternité laïque, alibi du mondialisme hégémonique, relève d’une volonté prométhéenne non chrétienne. Habitués à concevoir la devise « Liberté-Égalité-Fraternité » comme une trilogie homogène, nous oublions que, sur les premiers assignats, Liberté et Égalité s’inscrivaient en tant que revendications majeures accompagnées d’une injonction propre à "motiver" les tièdes. Cette dernière, d’une typographie différente, menaçait : « La Fraternité ou la mort ». Chamfort, la traduisait par : « Sois mon frère ou je te tue ! », et Henri Leclerc (socialiste, Président de la Ligue des Droits de l’Homme) rendit ce constat sévère : « "La fraternité ou la mort", expression terrible qui replie la fraternité sur elle-même jusqu’à l’enfermer dans la Terreur. »
Cette fraternité autoritaire annonce ces "totalisations" à vocation totalitaire, que l’on retrouve : latente chez Marx, incantatoire chez Sartre, instrumentalisée chez Lukács, et qui ne sont transcendantalisées que pour mieux évacuer la Transcendance divine. Le philosophe Roger Scruton cerne parfaitement cette stratégie en ces termes : « La rhétorique de la totalité masque le vide au cœur du système, là où Dieu devrait se trouver ».
Ce même constat fut porté explicitement par Saint-Exupéry : « Les hommes étaient frères en Dieu. S’il n’est point de nœud qui les unisse, les hommes sont juxtaposés et non liés. On ne peut être frère tout court », et aussi par Soljenitsyne : « Ce ne sont pas les dispositions sociales qui font la vraie fraternité : elle est d’ordre spirituel. »
De plus, la fraternité n’est conviviale que si elle est réciproque, ce qui est facilité par le fait d’avoir le même Dieu, les mêmes références morales et des valeurs proches ; par contre la fraternité sans Père ne peut aboutir qu’à une société dévaluant tout héritage des pères, y compris la patrie.
Alors, comment des chrétiens peuvent-ils, à ce point, manquer de discernement, et oublier la plus élémentaire prudence, pour en venir à ces propos naïfs, inconséquents, comme ceux trouvés au hasard d’une messe de province. En voici le refrain : Élargis ton cœur ouvre tes frontières / À d’autres racines à d’autres couleurs / Élargis ton cœur ouvre tes frontières / Agrandis ta terre, et tu auras trouvé la joie de partager. Et les couplets :L’avenir ouvre ses bras au métissage / Il saura mélanger les hommes et les idées / L’avenir fera chanter nos différences /Comme une symphonie aux milliers d’harmonies ! / Des migrants de tous les pays frappent à nos portes / Ils n’ont plus qu’un désir : Leur vie à rebâtir ! / Avec eux nous deviendrons un nouveau peuple / Faiseur de lendemains plus justes et plus humains.
Cette tendance suicidaire à l’autodissolution est ancienne. Rappelons, parmi d’autres, le cas du PèreAndré L. (1925-2009) : Jésuite, syndicaliste CFDT, proche de la CGT, aumônier des prisons, grand sympathisant du FLN algérien terroriste et de ses leaders incarcérés à Fresnes, mais son action d’agitateur polémiste lui vaudra d’être démis du statut d’aumônier de cette prison en 1963. Il dirigea le « Service migrants » de la Cimade[ONG protestante, plus politique que caritative], laquelle le congédiera en 1977 vue sa virulence à l’égard du Président Giscard d’Estaing. Il se rapproche alors du Groupe d’Information sur les Prisons (GIP) et de Michel Foucault (admirateur de la révolution islamique iranienne) qui œuvrent pour soutenir les gauchistes/maoïstes subversifs alors incarcérés. Enfin, il se consacrera pendant 30 ans au Groupe d'information et de soutien des immigrés, le GISTI. C’est en tant que président de celui-ci, qu’il sera le principal artisan de l’arrêté de 1978 du Conseil d’État, instituant le Regroupement familial, et l’instituant comme « Principe Général du Droit », faisant, dès lors, de la France une terre d’immigration. Il milita efficacement pour que les immigrés aient d’emblée accès aux logements sociaux (ils sont maintenant prioritaires).
On peut supposer que sa motivation principale était la charité envers les immigrés... peut-être. Mais lorsque ceux-ci lui téléphonaient pour demander conseil, il les accueillait très "fonctionnellement", sans empathie, commençant par « peu importe votre nom, vous êtes de quelle nationalité ? », car à ses yeux cette personnalisation d’une détresse, d’un dialogue [pourtant fondamentale dans les cultures orientales], n’était que temps perdu ; même l’"hagiographie" nécrologique du Monde se termine par cette constatation : « Les répliques précises mais sèches du vieux jésuite aux demandes téléphoniques confuses des sans-papiers font désormais partie de sa légende. » Si sèches et si caricaturales que les jeunes stagiaires de GISTI s’amusaient à l’imiter.[1]
A l’époque où le communisme représentait le péril majeur, on retrouve des errances de catholiques similaires. C’est Emmanuel Mounier (†1950) qui en 1948, alors que Staline est au pouvoir et le goulag florissant, affirmait : « Les communistes ont changé […] L’anticommunisme est mortel. » C’est le Père Cardonnel (†2009), dominicain marxiste, qui attestait : « ce qui, sur terre, se rapproche le plus du Royaume de Dieu, c’est la Chine de Mao » à l’époque où le communisme de celui-ci faisait par sa « Révolution culturelle » des millions de victimes. C’est Georges Pâques (†1993), haut fonctionnaire de l’OTAN qui donna au KGB de multiples renseignement militaires. Il était si pieux qu’à peine arrêté, il demanda à pouvoir communier... Au demeurant, les informations qu’il donna aux soviétiques leur permirent de construire impunément le mur de la honte séparant la zone de Berlin en deux, brisant des familles, des destins et qui coûta la vie à plus de 250 personnes. C’est tel cardinal, affirmant, il y 30 ans : « La foi chrétienne voit dans les conquêtes de la révolution [castriste] la manifestation du Royaume de Dieu. » etc. Les périls changent, mais l’aveuglement est toujours là. Le philosophe Maurice Clavel face à des aberrations similaires, s’insurgeait : « Vous avez tellement peur d’être les derniers chrétiens que vous serez les derniers marxistes ! » Et l’historien protestant F.G. Dreyfus, pouvait conclure, en 1985 : « La pensée marxiste a très vite dominé et conduit le catholicisme français à chercher le salut dans un ouvriérisme primaire. [...] Les prêtres-ouvriers [de la Mission de France] n’évangéliseront guère, mais ils seront en fait les chevaux de Troie de la marxisation du christianisme français. »
Chesterton nous avait prévenus : « Le monde moderne est saturé des vieilles vertus chrétiennes virant à la folie. » Mais lorsque le délire atteint l’exercice d’une vertu aussi fondamentale que la Charité, l’avenir même de la société en général, et de la chrétienté en particulier, sont directement menacés.
L’attitude sociétale, prônée dans le chant d’entrée (ci-dessus mentionné) ne peut que nous conduire à une sortie de l’Histoire. Un tel déni du réel appelle une explication neuropsychologique.
Il semble bien que la légèreté des engagements de nombre de chrétiens - se voulant progressistes jusqu’au "transgressisme" - soit due, plus qu’à une charité maladroitement exacerbée, à un besoin de reconnaissance de la part d’une société pourtant de plus en plus aberrante au regard de l’Évangile ; ce conformisme idéologique - autre ersatz de fraternité - sert de substitut à la consistance intellectuelle et morale, si défaillante chez nombre de nos contemporains, victimes indirectes de l’involution permanente, instaurée en Mai 68.
Cependant, dans la question particulière de la dilution de la France dans des flux migratoires peu ou non assimilables – comme en témoignait le Roi du Maroc dès 1993 au micro d’Anne Sinclair, expliquant que l’intégration était un leurre car notre « trame » de civilisation n’est pas la même – une motivation supplémentaire est à l’œuvre ; c’est le sentiment inavoué d’une incapacité à pouvoir seulement envisager des lendemains qui déchantent et qui ne soient aucunement "plus justes et plus humains" (Cf le chant d’entrée.) Quant à devoir y faire face... n’en parlons pas, c’est bien trop au-delà de la zone de pseudo "protection" rapprochée, assurée par les œillères du déni.
[1] Extraits de la notice nécrologique du Père André L. dans le journal Le Monde (19.05.2009) : « Des bataillons de juristes ont été formés en l'écoutant assurer, jusqu'en 2007, une permanence téléphonique spécialisée dans le droit des étrangers. […] Il aura été aussi l'un des artisans du rapprochement entre militants chrétiens de gauche et d'extrême gauche… […] il a été un pionnier dans l'art, aujourd'hui banalisé, d'utiliser l'arme du droit pour la défense des plus faibles. […] le sort fait aux étrangers, baromètre souvent alarmant de la santé de la société, n'a cessé de fournir des occasions d'indignation à cet humaniste abrupt en perpétuelle colère contre l'injustice. »
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