Article rédigé par Atlantico, le 06 mars 2020
Source [Atlantico] Emmanuel Macron était l’unique déterminant du centre de gravité politique du quinquennat. Alors que les départs du groupe LREM à l’Assemblée s’enchaînent et qu’une sévère défaite aux municipales se profile, qui de l’aile droite, de l’aile gauche ou... du président sera en position d’imposer sa ligne d’ici 2022 ?
Atlantico.fr : À l'heure actuelle, de nombreux députés ont désormais quitté les rangs de la République en Marche à l'Assemblée Nationale, suite à la décision du gouvernement d'utiliser l'article 49-3 de la Constitution pour faire passer sans vote la réforme des retraites.
Si l'on se projette à l'après-municipales, pensez-vous qu'Emmanuel Macron sera encore en capacité de définir le centre de gravité idéologique de sa majorité?
David Desgouilles : Il me semble qu’Emmanuel Macron ne réfléchit pas en ces termes. Dans son (nouveau) monde, sa majorité est censée être simplement « progressiste » et alignée derrière un seul centre de gravité, lui-même.
Les défections connues par le groupe LREM – qui a en effet perdu un certain nombre de ses effectifs depuis le début de la législature – tiennent moins à des problèmes de centre de gravité idéologique qu’à la manière, sans précédent dans notre République, dont ont été recrutés les candidats LREM à la députation. Hasard amusant, c’est Jean-Paul Delevoye qui a coordonné ce travail, comme celui des retraites. Ces recrutements sur CV ont permis de faire entrer à l’Assemblée nationale dans le groupe du parti présidentiel, un certain nombre d’anciens députés PS ou écologistes, un certain nombre de transfuges de LR, principalement de la mouvance juppéiste, et beaucoup d’autres candidats qui n’avaient jamais fait de politique, qui avaient été enthousiasmés par la candidature dégagiste d’Emmanuel Macron, et dont la colonne vertébrale idéologique n’était pas forcément très solide. Parmi ceux-là, il y a ceux qui ont intégré l’idée qu’il fallait appuyer sur le bouton indiqué par le président de groupe pour chaque vote et qui le feront avec discipline jusqu’à la fin de la législature, et il y en a d’autres qui ne se retrouvent plus du tout à l’aise dans cette majorité, soit par usure, soit parce qu’un point sensible de leur engagement pour Emmanuel Macron a été touché. Les députés qui ont quitté le groupe LREM cette semaine ont pu, par exemple, être révoltés par l’utilisation du 49.3, alors le candidat qu’ils avaient défendu avait parfois rappelé qu’il avait ressenti comme une trahison l’utilisation de cette procédure pour la loi qui portait son nom.
Mais n’oublions pas que la majorité ce n’est pas seulement LREM mais aussi le MoDem, dont le groupe, recruté avec les règles du Vieux monde, est beaucoup plus solide et stable. Si le groupe dirigé par Gilles le Gendre devait passer sous la barre des 289 sièges garantissant une majorité absolue, cela rendrait le président plus dépendant de François Bayrou. Idéologiquement, cela ne change pas grand-chose. Politiquement, cela aurait des implications beaucoup plus importantes.
Chloé Morin : Jusqu'ici, le glissement clair du socle électoral du Président a semblé procéder d'un mouvement volontaire, ou sinon totalement volontaire, du moins assumé. Il correspond à certains marqueurs forts dans l'opinion, comme la suppression de l'ISF, à certaines réformes économiques, mais aussi à une fermeté perçue sur le régalien - les marqueurs en étant l'inflexibilité sur les sujets d'ordre public et d'immigration.
En Mai 2018, soit au bout de seulement un an de mandat, les études menées par le CEVIPOF montraient que le positionnement d'Emmanuel Macron avait déjà nettement glissé vers la droite aux yeux des Français : de 5,2 sur une échelle de 0 à 10 où 0 incarnerait l'extrême gauche et 10 l'extrême droite, il était passé à 6,7 en moyenne. Ses propres électeurs se positionnaient alors bien plus à gauche que lui, puisqu'ils étaient en moyenne à 5,1.
Cette droitisation s'était poursuivie lors des Européennes, puisque selon Opinionway "la moitié des électeurs de la liste Loiseau se disaient de droite, contre un quart des électeurs de Macron de 2017".
Jusqu'ici, peu d'observateurs se sont interrogés sur la volonté qui se trouvait derrière la stratégie de "droitisation" : on percevait peu ou prou que la "menace" pour Emmanuel Macron en 2022 venait d'une droite moins affaiblie que la gauche n'est atomisée, et que dès lors, le Président cherchait à se déporter à droite afin d'empêcher l'émergence d'une alternative.
Mais au moment des municipales, nous nous trouvons à un carrefour : on voit bien ressurgir le clivage gauche-droite dans les intentions de vote, alors que LREM fait des scores tout à fait marginaux dans la plupart des villes. Dès lors, c'est la possibilité même de gagner "au centre" en 2022 qui semble potentiellement remise en cause. Ceux qui, soutiens du président venus de gauche, acceptaient hier un déplacement sur la droite qu'ils pensaient purement temporaire et tactique, se trouvent aujourd'hui confrontés à la possibilité que ce choix devienne durable, et potentiellement irréversible dans les deux ans qui viennent. Et donc, par là, à la perspective de devoir assumer l'abandon définitif par le Président de cette "jambe gauche" qu'il ne musclait pas beaucoup jusqu'ici, mais dont on eût pu penser qu'elle lui servirait plus tard. C'est cette gestion de l'équilibre interne à sa majorité, qu'il a pu effectuer sans gêne ni protestation majeure jusqu'ici dans ses rangs, qui risque de devenir plus difficile pour le Président.
Edouard Husson : Emmanuel Macron est en voie de « hollandisation accélérée ». Il peut entreprendre ce qu’il veut, il est politiquement en bout de course. Par une formidable ironie de l’histoire, celui qui avait profité de la mort politique de François Hollande et de l’incapacité de ce dernier à se représenter, va connaître le même sort. Le 49.3 est le pas de trop. Les députés de La République en Marche ont été dociles pendant longtemps. Ils ont accepté d’être traités comme des courroies de transmission et que tout se décide à l’Elysée pendant plus de deux ans. On a même soutenu le Président dans l’incroyable crise des Gilets Jaunes, au traitement si douteux (la sortie de la crise s’est effectuée par un mélange de répression policière et de dépense publique qui ne font pas très « nouveau monde »); or, loin de comprendre qu’il l’avait échappée belle, et qu’il avait été sauvé par la fidélité de ses troupes et par l’engagement des maires, sur le terrain, Emmanuel Macron a déclenché une nouvelle crise à l’occasion de la réforme des retraites, un texte largement bâclé, plein de trous et dont le bon sens politique aurait demandé qu’on prît du temps pour passer d’un brouillon plein de ratures à un texte votable par des parlementaires.
C’est pourquoi il n’est pas étonnant en soi que l’érosion du groupe parlementaire présidentiel s’accélère. La question n’est même plus celle de la réforme, c’est celle de la compétence à gouverner. Quand on affirme que le pays est dans une très grave crise, du fait d’une menace d’épidémie et qu’ « en même temps » le Premier ministre fait une campagne municipale au Havre tandis que la Ministre de la Santé abandonne son poste pour remplacer au pied levé, dans l’élection municipale parisienne, un ami du président qui a sombré dans le ridicule, il y a un sérieux problème.
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