Article rédigé par Le Figaro, le 23 février 2020
Source [Le Figaro] Magali Della Sudda est universitaire et a coordonné la plus vaste enquête menée en France sur les «gilets jaunes». Elle analyse les mutations du mouvement né il y a plus d’un an.
Les «gilets jaunes» n’ont pas disparu. En province, surtout dans le sud de la France, certains réinvestissent des ronds-points. Magali Della Sudda est l’une des universitaires qui connaît le mieux la dynamique de ce mouvement. L’hiver dernier, elle a coordonné la plus vaste enquête sociopolitique menée sur le sujet par quatre-vingts chercheurs.
Aujourd’hui, elle continue de suivre l’évolution de la mobilisation, et ses mutations. À l’heure des municipales, les «gilets jaunes» ne considèrent toujours pas les urnes comme un moyen d’expression efficace. Ils semblent, en revanche, avoir trouvé dans la contestation contre la réforme des retraites un nouvel angle d’attaque face au gouvernement.
LE FIGARO.- Aucune liste de «gilets jaunes» n’émerge dans la campagne des municipales. Après l’échec des européennes, peut-on dire que le mouvement se dirige vers un nouveau rendez-vous électoral manqué?
Magali DELLA SUDDA.- Nous, chercheurs, pensions que les municipales seraient l’occasion pour les «gilets jaunes» de faire le lien avec le champ politique. Le jeu des partis est moins important qu’aux européennes. Personnellement, je révise mon jugement. Il faut attendre le dépôt des listes, mais, pour l’instant, ils ne semblent pas s’engager massivement dans la campagne. Notre enquête a montré que ces personnes sont toujours éloignées des urnes et ne sont pas convaincues que le vote soit forcément la meilleure manière d’exprimer leurs opinions.
Néanmoins, dans quelles villes devra-t-on surveiller les résultats?
Les petites communes seront sûrement plus intéressantes à observer que les métropoles, peu ouvertes aux nouveaux entrants. Des listes de collectifs de «gilets jaunes» s’y créent. On peut supposer des passages plus faciles du rond-point à la mairie dans ces lieux où ils vivent en majorité. Des listes «citoyennes» leur réservent aussi des places. C’est une formule qui semble fonctionner. Il y a celle de Philippe Poutou à Bordeaux, créditée dans un sondage à 11 % des intentions de vote, ou encore celle, à Cenon (Gironde), emmenée par le «gilet jaune» Alexandre Ribeiro.
La suspension de la circulaire Castaner est une bonne nouvelle : cela permettra d’observer le score des « gilets jaunes » sur le plan national
Ingrid Levavasseur, ex-figure du mouvement, est impliquée dans la campagne à Louviers, dans l’Eure, mais pas en tant que représentante du mouvement. Contestée par la base en raison de son ambition politique aux européennes, elle avait annoncé assez tôt qu’elle s’engagerait pour les municipales. Son parcours semble illustrer la difficulté qu’ont les «gilets jaunes» à avoir une trajectoire électorale. La suspension de la circulaire Castaner (qui prévoyait de ne plus attribuer de nuance politique dans les villes de moins de 9000 habitants, NDLR) est une bonne nouvelle: cela permettra d’observer le score des «gilets jaunes» sur le plan national.
Dans les urnes, n’est-ce pas le Rassemblement national qui, dans un élan de «dégagisme», peut bénéficier d’un «effet “gilet jaune”»?
Il n’y a pas de traduction automatique d’un mouvement social dans les urnes. La plupart des «gilets jaunes» refusent de se positionner sur l’axe gauche-droite. Ceux qui expriment quand même une préférence politique citent plus souvent la gauche radicale. Très peu d’entre eux se revendiquent proches du RN, dans les enquêtes.
Il y a bien eu des tentatives de militants identitaires d’occuper des ronds-points, mais ils étaient minoritaires. En revanche, les «gilets jaunes» qui sont actifs sur les réseaux sociaux expriment une préférence bien plus affirmée pour l’extrême droite. C’est pour cela qu’il est difficile de prévoir leur vote.
Des «gilets jaunes» continuent de défiler, avec des affrontements, chaque samedi en province, en particulier dans le sud de la France. De qui est composé ce noyau dur?
Il y a des gens qui sont là depuis le premier jour du mouvement, le 17 novembre 2018, et qui n’ont jamais fait défection. On remarque aussi le retour de personnes qui avaient disparu. Elles reviennent depuis quelques semaines à la faveur des mobilisations contre la réforme des retraites, de la défense de l’hôpital public ou de la grève des enseignants.
On note la présence d’une troisième catégorie de personnes, avec une double casquette : « gilet jaune » et syndicaliste, ou membre d’un parti de gauche
On note enfin la présence d’une troisième catégorie de personnes, avec une double casquette: «gilet jaune» et syndicaliste, ou membre d’un parti de gauche. On voit désormais, le samedi, à Bordeaux ou à Toulouse par exemple, des cortèges avec des drapeaux. Les syndicalistes, très longtemps sceptiques, ont appris à connaître les «gilets jaunes».
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23/02/2020 07:00