Article rédigé par Roland Hureaux, le 18 décembre 2019
Il n’est pas essentiel de savoir si l’exhibition d’une idole amérindienne dite la Pachamama , symbole de la terre-mère , lors du dernier synode sur l’Amazonie, a été voulue par le pape, ou s’il a été mis devant le fait accompli par des gens particulièrement zélés dans la promotion des valeurs de l’Amazonie.Plus ridicule que blasphématoire, cette évocation témoigne cependant d’une grande ignorance de l’histoire religieuse de l’humanité.
On ne sait à peu près rien des cultes du paléolithique, au temps où les hommes vivaient de la chasse et de la cueillette. Les admirables peintures de Lascaux avaient certainement un sens religieux mais on ne sait lequel.
Les cultes de la fécondité apparaissent au néolithique (vers 8000 av. JC) à l’époque où l’homme découvre l’agriculture et l’élevage .Il est normal que, tributaires de la fécondité de la terre et des femmes pour leur survie , les groupes d’agriculteurs aient voué un culte à la fécondité, notamment sous la forme de statuettes de femmes aux formes rebondies, par exemple la Vénus de Brassempouy (Landes). En grec Déméter, qui fait l’objet d’un culte grec primitif, signifie la terre-Mère.
Autre culte de la fécondité, généralement parallèle : celui des pieux sacrés, symbole du phallus, élevés sur les hauteurs, si constamment condamnés dans le Livre des Rois.
Mais l’histoire religieuse de l’humanité ne s’arrête pas là : aux cultes tournés vers la terre (dits chthoniens),les tribus nomades , moins attachés à la terre mais aussi les premier empires, souvent fondés par celles-ci, préfèrent les cultes tournés vers le ciel ( dits ouraniens). Apparaît ainsi un Dieu-père redoutable :Zeus en grec et Jupiter(piter =pater) en latin. Même évolution dans tout le pourtour méditerranéen au cours des deuxième et premier millénaires avant JC. Les nouveaux cultes sont en apparence moins favorables à la condition féminine. La primauté des mères dans les société archaïques provenait du fait que les pères des enfants n’étaient pas toujours identifiés.Il n’en est plus de même avec les sociétés plus récentes où la discipline sexuelle exigée des femmes, et aussi des hommes, permet de mieux fixer le rôle des uns et des autres et de garantir l’autorité du père. Les divinités féminines subsistent cependant au côté des dieux mâles ; ainsi dans la paganisme gréco-latin.
Pourquoi cette transformation ? Elle ne semble pas résulter d’une évolution interne des sociétés archaïques mais de l’élimination de ces derniers( Pélasges, Sicanes, Cananéens) par des sociétés plus avancées et plus aptes au combat. Dans la guerre que se font les peuples pour survivre, les tribus patriarcales, plus disciplinées, plus unies,l’emportent .
La force militaire de la cité est en effet liée à la discipline de ses membres. Alors que les sociétés archaïques étaient ravagées par les rivalités entre jeunes mâles, la cohésion des cités fondées sur les Dieux pères et un lien paternel reconnu .Les sanctions lourdes de l’adultère ne viennent point d’un moralisme qui serait cultivé pour lui-même , ni d’une volonté d’opprimer les femmes mais de celle d’éviter les rivalité intestines par des règles fortes. Rappelons-nous que le premier grand texte de l’Occident, l’Iliade, raconte comment une guerre de dix ans a éclaté en raison du rapt d’une femme.
Les culte ouraniens débouchent sur le monothéisme juif , puis, plus tard musulman. Ils ne signifient pas l’oppression mais au contraire l’émancipation psychologique des hommes par rapport à l’engluement dans la matrice primitive qu’impliquait une société matriarcale vouée au culte de la terre-mère.
La dimension psychanalytique
Cette évolution coïncide avec le récit de la maturation du sujet individuel que donne la psychanalyse : l’homme qui sort du néant et avance vers la maturité passe par une rupture définitive , physique et psychologique, avec sa mère, condition sine qua non d’une relation mûre avec une nouvelle femme. Le père est est l’agent de cette rupture en imposant à l‘enfant , par sa seule présence, l’interdit de l’inceste. Evolution symétrique chez les jeunes filles. La Genèse (2, 24) n’impose-t-elle pas d’emblée le commandement : « l’homme quittera son père et sa mère » ? L’aboutissement de ce progrès est le mariage chrétien, monogame et irrévocable.
Il y a ainsi un lien systémique entre les cultes de la terre-mère, les plus archaïques qui soient , et l’arriération de certains peuples, leur vulnérabilité à la guerre et leur incapacité à se développer. Cela s’applique au peuples amazoniens dont l’histoire a révélé la fragilité – ce qui ne saurait évidemment être une raison de les supprimer. Leur fragilité présente est inséparable des cultes tels que celui de la Pachamama. Les encourager dans ces formes de religiosité serait une manière de les maintenir dans l’arriération et l’aliénation.
Prendre ses distances avec ces cultes est non seulement justifié par la connaissance du vrai dieu ou la recherche du salut mais déjà par le souci du progrès anthropologique.Si la dimension théologique du choix est affaire de foi, sa dimension anthropologique est affaire d’observation empirique.
On aura beau jeu de dénoncer l’irruption coloniale qui a soumis ces peuples, parfois jusqu’à l’extermination, le plus souvent par une adaptation forcée à un monde nouveau. Cette rupture , souvent tragique, est le lot de tous les peuples sortant de leur cocon géographique pour accéder au grand large d’une première forme de mondialisation. Cela était déjà arrivé aux peuples ouest-européens de l’Antiquité.
Dans la même lignée c’est aussi une forme, encore plus élevée, de déracinement que propose le christianisme en appelant à la conversion. Pour entrer dans le Royaume des cieux, il faut commencer par mourir à soi-même.
Roland HUREAUX
18/12/2019 07:00