Article rédigé par Atlantico, le 10 octobre 2019
Source [Atlantico] Le débat sur l'immigration débute ce lundi 7 octobre à l'Assemblée nationale. Le gouvernement a décidé de s'impliquer sur le dossier de l'immigration et de l'intégration. Les agents de l'Etat sur le terrain suivent-ils la même politique ?
Atlantico.fr : Aujourd'hui, lundi 7 octobre, s'ouvre le débat sur l’Immigration à l'Assemblée nationale. Il fait écho aux déclarations du Président de la République lors du 70ème anniversaire du Conseil de l'Europe, où il a notamment déclaré que le droit d'asile disparaîtra si on ne lutte pas contre ses détournements. Mais si le sommet de l'Etat choisit de s'atteler au lourd dossier de l'immigration et de l'intégration, encore faut-il que les agents de l'Etat sur le terrain suivent la même politique... A l'origine des relais de la politique nationale, les acteurs locaux sur le terrain, particulièrement les collectivités territoriales, appliquent aujourd'hui leurs propres choix politiques. Ce relais vous semble-t-il assuré aujourd'hui, même si à la tête de l'Etat le discours change ?
Guylain Chevrier : Le discours change, le ton et les mots, mais cela se traduira-t-il par une véritable politique d’immigration s’installant dans la cohérence, pour permettre de mieux contrôler les flux migratoires ? Pour Emmanuel Macron. « On doit traiter et protéger tous ceux qui sont sur notre territoire pour eux-mêmes et pour nous, mais là aussi il faut le faire avec raison garder, bon sens, et analyser s'il n'y a pas des excès qui existent, et je crois qu'ils existent dans certaines catégories » On a à l’esprit la « forte augmentation de la demande d’asile », portée à 123.625 personnes en 2018, soit une croissance de 22 % en un an. Le nombre de migrants a été divisé par cinq en Europe depuis 2015, mais dans le même temps les demandes d’asile ont augmenté de 50 % dans notre pays, confie un ministre. Dans les pistes évoquées, on trouve « la recherche d’harmonisation des conditions d’accueil en Europe », s’agissant notamment des prestations offertes aux demandeurs d’asile en France. « Pour un demandeur majeur hébergé par l’Etat et isolé, le montant versé en France » au titre de l’aide au demandeur d’asile (ADA) « est supérieur de 50 % à celui versé en Allemagne », par exemple. La question de couverture santé au titre de l’Aide médicale d’Etat (AME) semble devoir être questionnés, qui concerne "300.000 personnes étrangères, sans papier ou en situation précaire de séjour", au regard de du panier de soin offert, et peut-être l’introduction d’une période de carence pour les demandeurs d’asile avant de bénéficier de la Protection universelle maladie (PUMa, ex-CMU). Il souhaite "reconduire beaucoup plus efficacement les personnes qui n'ont pas vocation à rester sur le territoire parce qu'elles y sont entrées illégalement et qu'elles ont parfois demandé l'asile et qu'elles n'y avaient pas droit".
Le Président souhaite ainsi, par des éléments nouveaux de dissuasion, freiner l’immigration et particulièrement, même si cela n’est pas cité, pas seulement l’immigration qui profiterait trop du système de façon illégitime au regard du motif affiché pour rejoindre notre territoire, mais l’immigration illégale qui est aussi un véritable fléau. "La France ne peut pas accueillir tout le monde si elle veut accueillir bien" explique aujourd’hui Emmanuel Macron. Effectivement, il devient impossible d’accueillir matériellement, économiquement et socialement les migrants. Mais on peut encore moins aujourd’hui intégrer, au sens républicain du terme, plusieurs centaines de milliers d’immigrés par an, au regard des équilibres internes à notre société. On le voit à travers la montée d’affirmation identitaires qui télescopent nos mœurs, modes de vie, nos lois républicaines et nourrissent les thèses de l’extrême droite.
Il existe effectivement face à cette volonté affiché une inconnue, la volonté nationale, c’est-à-dire à tous les niveaux celle de mettre en œuvre, l’esprit de ce qui serait voulu, ici. L’Etat-unitaire est de ce point de vue en grande difficulté sur le sujet de l’immigration alors que chaque collectivité territoriale selon sa couleur politique, si elle se doit de respecter un cadre commun de règles, fait aussi ce qu’elle veut voire de la résistance, pour favoriser ou pas l’accueil sur son territoire en donnant une image attractive de la France pour les migrants, sinon faisant passer ses frontières pour fictives.
Paris s’illustre régulièrement dans la volonté d’accueillir et d’imposer à l’Etat par les débordements qu’on laisse se mettre en place, avec des campements sauvages en toute illégalité dans la capitale, soutenus par des associations, une situation impossible et sans fin. C’est devenu un système bien connu des migrants qui se regroupent sous ces auspices sachant que cela a toutes les chances de se terminer par des prises en charge. On voit aussi, phénomène qui se développe, dans des villages, élus, associations et bénévoles main dans la main pour accueillir les réfugiés, les guider et les soutenir dans leurs démarches administratives et pour déjouer les risques de reconduite qui pèsent parfois sur eux, loin des grandes métropoles ou c’est devenu une sorte de sport local. On rapporte par voie de presse, que plusieurs villages d’Auvergne ont fait ainsi de l’accueil de réfugiés « une deuxième nature », contre ce qu’ils jugent être une hostilité du gouvernement ou même de l’exécutif régional.
Arnaud Lachaize : Les fonctionnaires chargés de la mise en œuvre de la politique migratoire sont principalement de deux ordres : la police aux frontières et les agents des préfectures. C’est un contre-sens absolu que d’imaginer qu’ils puissent saboter la politique de maîtrise des flux. Ils ont un travail extrêmement difficile, ingrat et complexe. On leur demande de concilier fermeté et prise en compte de cas humanitaires. Ils le font au mieux en se heurtant à des obstacles considérables. Ainsi, un cinquième (20%) seulement des OQTF, obligations de quitter le territoire français prises par les préfets sont effectivement mises en œuvre. Pourquoi ? libérations anticipées par les juges des libertés, impossibilité d’obtenir les laisser-passer consulaires, délivrés par les consulats des pays d’origine pour autoriser le retour de leurs ressortissants. Les fonctionnaires se débattent dans un dédale de procédures inextricables. La responsabilité incombe avant tout au pouvoir politique. Il est facile d’opérer des choix politiques laxistes pour plaire aux idéologues sans-frontiéristes, puis de donner des coups de menton virils pour flatter l’opinion publique. C’est bien le gouvernement Valls par la loi du 7 mars 2016 qui a encore aggravé les difficultés de la mise en œuvre des OQTF en réduisant la dure de la rétention administrative (par décision du préfet) de 5 jours à 48 heures et en renforçant considérablement le pouvoir des juges des libertés dans cette procédure. L’actuelle majorité En Marche n’est pas du tout revenue sur cette réforme. Après, il est facile de faire porter le chapeau aux fonctionnaires.
Edouard Husson : Je ne crois pas qu’il faille incriminer le niveau local. Les agents de l’Etat sur le terrain sont au contact de la réalité. Ils appliquent des ordres. C’est au sommet de l’Etat qu’il faut changer les choses. Pour autant, je ne pense pas que le nouveau discours de M. Macron représente un véritable changement. Le candidat Macron avait expliqué dans une tribune datée du 2 janvier 2017 que la France devrait prendre exemple sur Angela Merkel et son ouverture totale des frontières à l’immigration entre septembre et décembre 2015. En pleine crise des Gilets Jaunes, il expliquait que pour lui les véritables exclus n’étaient pas les Gilets Jaunes mais les immigrés. Aujourd’hui, le président est dans un calcul politicien. Il a pensé pouvoir neutraliser le Rassemblement National en s’emparant du sujet, un peu pour reproduire la manoeuvre de Nicolas Sarkozy lors de la cmapagne de 2007. Cependant, le réel se charge de neutraliser la manoeuvre: l’attentat djihadiste à la préfecture de police - et surtout la gaffe de Christophe Castaner et de ses services cherchant à dissimuler l’appartenance religieuse du tueur pendant une journée et demi - sont venus soudainement relégitimer un discours de lucidité, tel qu’on l’entend depuis des années dans une partie de la droite. Le tueur de la préfecture était un Français d’outre-mer qui s’est converti à l’Islam: cela montre bien l’impact de l’immigration massive depuis des décennies: l’Islam ne serait pas en mesure d’obtenir des conversions chez des personnes issues de familles françaises depuis des générations s’il n’était pas devenu, grâce à l’immigration, nombreux en effectifs, capable d’exercer une attraction sociale et culturelle. Je suis donc très sceptique sur l’impact d’un changement du discours présidentiel. Et sur celui d’un débat.
Il faut réfléchir aux raisons pour lesquelles Nicolas Sarkozy a échoué dans sa volonté de juguler l’immigration, alors que c’était une des promesses majeures de sa campagne: il y a eu le refus d’une partie de sa majorité de mettre en oeuvre, les limites imposées par la zone Schengen, les traités signés par la France, le pouvoir des juges, qui ont le moyen de bloquer une politique antiimmigrationniste, la pression des associations, des pouvoirs culturel et intellectuel etc.... Emmanuel Macron est-il prêt à affronter l’ensemble de ces facteurs, qui n’ont pas changé? En n’ayant pas, à la différence de Nicolas Sarkozy, une majorité au moins ouverte au sujet.
Si la position de l'Etat au regard de la question de l'immigration évolue, celles des intellectuels semble avoir peu bougé. Ils paraissent encore peu favorables à la limitation de l'immigration et sont peu enclins à encadrer plus fermement l'intégration. Ceci ne risque-t-il pas de gêner l'Etat dans sa mise-en-place d'une nouveau politique sur les question d'immigration et d'intégration ? Le rôle des associations sur place (qui parfois appliquent une politique différente de celle de l'Etat) ne peut-il pas aussi être problématique ? Dans quel sens ? Quelles sont les résistances ?
Guylain Chevrier : On a remplacé les idées politiques par les bons sentiments avec l’humanitaire, ce qui se traduit par l’impossibilité de dialogue sur certains sujets où les niveaux de communication se sont déconnectés. Toute approche politique de cette question qui prend en compte l’intérêt de la nation, entend entreprendre les choses avec rationalité est immédiatement taxée à tout le moins de sans cœur, d’égoïste, sinon de raciste et d’extrême droite. Les médias se font le reflet de cette situation.
Dans un article publié le 4 octobre dans le journal le Monde intitulé « Migrants : A Bruxelles, un débat miné par l’égoïsme des Etats » On peut lire : « Manque de solidarité, division Est-Ouest, échec de la politique des « quotas » de relocalisations obligatoires, blocage des décisions qui permettraient d’élaborer une vraie stratégie migratoire : le bilan des années écoulées est inquiétant. » « Au bout du compte, il restera surtout l’image d’une Europe bloquée, divisée et aveugle, où le thème de la « protection » (des frontières, d’un « mode de vie », voire d’un territoire « ethniquement pur », comme l’a affirmé en son temps la Pologne) a pris le pas sur tous les autres. » Voilà le signe sous lequel ce journal qui ne compte pas pour rien entend apporter sa contribution au contexte du débat sur l’immigration à l’Assemblée nationale. Il assimile dans la même phrase, la « protection » entre guillemet, et donc avec péjoration, « des frontières », d’un « mode de vie », à l’idée d’un territoire « ethniquement pur », en citant la Pologne. Cet amalgame qui frise l’accusation de rejet ethnique des migrants par des Etats comme la France, est significative des confusions et des malentendus qui dominent entretenus par les grands médias derrière l’image de malheur du migrant qui se noie. Des raccourcis qui font mal, car il pose un jugement moral, moralisateur, qui loin de résoudre quoi que ce soit, constituent uniquement un cran d’arrêt à la pensée politique.
Les médias prennent fréquemment le parti des migrants, à la façon d’une élite qui manifeste en leur faveur mais vit bien loin de la réalité de cette situation et de ceux qui la côtoient. Les migrants eux-mêmes n’ont pas intérêt à cet accueil sans compter qui risque de nuire le plus à ceux qui en ont le plus besoin, et sont de plus en plus perdus dans le flot des autres. Un sondage Ipsos publié le 13 septembre, montre que 60% des Français voient les migrants comme une menace. Voilà le résultat de ce tour de force des médias.
Arnaud Lachaize : Les intellectuels ? Je ne sais pas si le mot est approprié… Ce qui est certain, c’est que le microcosme médiatique, composé d’artistes, cinéastes, journalistes, animateurs de télévision, experts attitrés des plateaux de télévision, responsables associatifs, bref, la France visible, apparente, médiatique, qui détient le monopole de l’expression publique, est globalement acquis au culte de l’immigration radieuse. Les mêmes étaient jadis marxistes. Aujourd’hui, le migrant a remplacé le prolétaire dans l’idéologie progressiste et la grande migration s’est substituée à la lutte des classes comme moteur de l’histoire. Cette idéologie est renforcée par une connivence avec une partie du grand patronat qui voit dans la migration un apport de main d’œuvre bon marché et un outil de pression à la baisse sur les salaires. Oui, bien sûr, la force de cette idéologie sans frontière contraint le pouvoir politique à faire de l’acrobatie. Il a besoin du soutien de la parole médiatique et du star system. Mais il lui faut aussi donner des gages au peuple, beaucoup plus réservé sur les migrations – tous les sondages montrent que 60% des Français pensent qu’il y a trop d’immigration. C’est pourquoi le pouvoir applique un double langage permanent : affichage de fermeté, coups de menton à l’adresse du peuple, et pratique d’une politique laxiste pour plaire à la fois au microcosme médiatique et au grand patronat. Ceci explique l’explosion des statistiques de l’asile et de l’immigration depuis quelques années.
Edouard Husson : Encore une fois, la position de l’Etat n’a pas vraiment commencé à évoluer ! Quel président, quelle assemblée sont prêts à affronter le Conseil d’Etat sur la question de la politique d’immigration? Qui est prêt à remettre en cause la Cour Européenne des Droits de l’Homme? Le président est-il prêt à mettre absolument fin à l’immigration? A menacer nos partenaires de Schengen d’une remise en cause des Accords s’il n’y avait pas une modification fondamentale de la politique d’immigration européenne. Est-il prêt à faire, au moins implicitement, amende honorable vis-à-vis de la Hongrie ou de l’Italie, dont il a mis en cause la sévérité des politiques de contrôle de l’immigration? A côté de cela, la question du pouvoir intellectuel est très relative. Oui, le monde intellectuel a, depuis les années 1970, construit un discours intellectuel de légitimation de l’immigration massive. De manière honteuse, on a instrumentalisé l’histoire de la Shoah, en assimilant au fascisme et même au nazisme toute volonté de limiter l’immigration, de garantir des frontières.
C’était non seulement honteux mais un contresens: si l’histoire des Juifs nous apprend quelque chose de primordial, c’est la capacité de résistance et de résilience d’une identité religieuse, culturelle, nationale, sur au moins trente siècles. L’Etat d’Israël aujourd’hui est l’un des plus beaux exemples de défense de la souveraineté et de l’identité. La réalité historique et contemporaine n’a cependant pas empêché de nombreux intellectuels et universitaires de développer un discours abstrait, désincarné, instrumentalisant le malheur des victimes du nazisme, en premier lieu le génocide des Juifs, pour intimider des adversaires politiques. Mais je pense que les idées peuvent évoluer assez rapidement; cependant, dans les faits, ce sera beaucoup plus difficile de bouger. Il est beaucoup plus facile de changer d’idées que de transformer la réalité d’une politique immigrationniste pour lui substituer une politique réaliste. Quel président aura le courage de mettre fin au regroupement familial, aux exploitations abusives de la protection sociale française? Il faut courage et persévérance.
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