Article rédigé par Le Figaro, le 07 octobre 2019
Le point de vue d'Alexis Brézet, directeur des rédactions du Figaro
Mais comment est-ce possible? Comment un terroriste islamiste a-t-il pu se lover ainsi dans l’appareil d’État, au cœur même de la structure policière précisément censée lutter contre les menées islamistes, pour perpétrer - en pleine Préfecture de police - le massacre que l’on sait?
Mais comment avons-nous pu ignorer, ou négliger, ces signes de radicalisation sans équivoque dont on découvre a posteriori qu’ils jalonnent le parcours de ce converti à l’islam - qui s’était notamment désigné à l’attention de ses collègues en applaudissant, en 2015, à la tuerie de Charlie Hebdo ?
Mais comment le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, a-t-il pu soutenir publiquement que cet individu, en relation avec un imam salafiste, et qui ne souhaitait plus avoir de contact avec les femmes, n’avait «jamais présenté de signe d’alerte ni de difficulté comportementale»? Lui a-t-on menti? Nous a-t-il menti? Le pouvoir politique a-t-il fait pression sur l’administration ou la justice, ce qui serait gravissime, afin de conserver à cet attentat terroriste les apparences d’un tragique fait divers?
Depuis le resurgissement, jeudi, de la barbarie au cœur de nos vies, les mêmes questions tournent en boucle, qui donnent à ce drame national des allures d’affaire d’État. Ces questions sont absolument légitimes. Le gouvernement, inquiet à juste titre des conséquences politiques de toute cette affaire, aurait grand tort de n’y apporter que des réponses lacunaires ou dilatoires. Seule la transparence totale permettra - peut-être - d’apaiser les inquiétudes que cet invraisemblable et tragique ratage a suscitées dans l’opinion.
Mais, disons-le tout net: si l’on devait se contenter de traquer les défaillances du système sécuritaire, les dysfonctionnements dans la chaîne judiciaire ou les dissimulations dans les propos de Christophe Castaner, on passerait à n’en pas douter à côté de l’essentiel, qui tient en peu de mots: si nous n’avons rien vu venir de ce qui se tramait à la préfecture de police de Paris, c’est que nous n’avons rien voulu voir! Et si nous n’avons rien voulu voir, c’est que nous sommes, en France, collectivement victimes d’un mal étrange, particulièrement virulent dans les administrations, les cabinets ministériels et les salles de rédaction, une maladie de l’esprit, proche de la cécité volontaire, une maladie qu’il faudra bien, si l’on veut la combattre, se résoudre à appeler par son nom: le dénislamisme.
Le dénislamisme, c’est cet étrange tour d’esprit qui toujours fait reconnaître un «déséquilibré» derrière chaque attentat perpétré sur le sol national. Du bourreau de Sarah Halimi, à Belleville en 2017, au réfugié afghan qui a tué un jeune homme et blessé huit personnes à Villeurbanne cet été, c’est peu ou prou le même scénario: l’homme qui a porté «des coups de couteau à la gorge de sa victime» (le dénislamisme répugne à employer le mot «égorgé») est dans un premier temps décrit comme un «déséquilibré», un «psychotique» qui a été le jouet d’une «bouffée délirante», puis, comme tout finit par se savoir, il apparaît que le «déséquilibré» est aussi un islamiste radical, mais c’est pour ainsi dire un détail, en tout cas un élément parmi d’autres dont il ne faut pas exagérer l’importance…
Cette fois, parce que les antécédents islamistes du tueur de la Préfecture de police étaient vraiment trop lourds, cette «psychiatrisation» du terroriste n’aura tenu que 24 heures. Il est probable qu’on se serait fort bien accommodé qu’elle durât davantage…
Et le tout, avec la meilleure conscience du monde! Car si le catéchisme dénislamiste est écrit par une avant-garde militante islamo-gauchiste, en guerre ouverte contre notre système et notre civilisation, il est pour l’essentiel prêché par un bas clergé politique et médiatique, soucieux surtout de cultiver sa supériorité «morale» sur le bon peuple. Quand on lui parle d’islam politique et de communautarisme islamique, il répète en boucle les mêmes mantras: «Il ne faut pas inquiéter inutilement les Français», «Il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu», «Il ne faut pas soulever un problème contre lequel on ne peut rien et qui, avec le temps, finira bien par se résoudre» (un problème dont, à vrai dire, nos bons apôtres souffrent assez peu)…
Bref, dormez en paix, braves gens! Et c’est ainsi, de pieux mensonges
en demi-vérités, que la parole publique, sur ce sujet-là comme sur beaucoup d’autres - l’accident de Rouen, la réforme des retraites -, a perdu le moindre semblant de crédit aux yeux de la majorité des Français…
Cette chape de coton, des intellectuels, des journalistes lanceurs d’alerte essaient bien sûr régulièrement de la lever: Michel Houellebecq, en un roman tristement prophétique ; Boualem Sansal, qui sait de quoi il parle: il a vécu sous la menace du GIA ; les anciens de Charlie: Riss, qui dénonce les «collabos» de l’islam politique, et Zineb El Rhazoui ; Alain Finkielkraut, bien sûr, qui depuis vingt ans dénonce les effets délétères d’un antiracisme devenu fou ; Kamel Daoud, qui, avec nombre d’écrivains du monde musulman, pointe courageusement les germes de violence contenus dans l’islam… mais contre tous ceux-là, et quelques autres encore, la patrouille dénislamiste exerce une vigilance sans relâche. Un mot de trop, et les voilà convaincus d’«amalgame», coupables de «stigmatisation», pire encore, accusés d’«islamophobie», car, nouveauté au pays de Voltaire, les tribunaux ont désormais mission de défendre un culte contre le libre exercice de l’esprit critique (pour les autres religions, on est plus coulant)…
Mais il y a plus! Si le procès en islamophobie ne suffit pas à faire taire l’esprit rebelle, on lui envoie la bombe atomique: la reductio ad hitlerum, qui procède d’un syllogisme bien connu: «Les musulmans sont les juifs d’aujourd’hui ; or ceux qui dénoncent l’islamisme s’en prennent aux musulmans ; donc ceux-là sont des nazis!» Et c’est ainsi que notre confrère Le Monde a accusé Éric Zemmour - puisqu’il faut bien parler de lui ! - non pas de tenir à la tribune des propos outranciers, provocateurs, voire ineptes ou honteux - ce qu’après tout chacun a le droit de penser ou d’écrire -, mais de se rendre complice d’un futur crime contre l’humanité au nom de l’enchaînement: «Stigmatisation, exclusion, expulsion, extermination» (sic)! Ainsi va la logique délirante du dénislamisme: pour ses scribes, Zemmour, c’est Hitler, mais, dans la vraie vie, ce sont sous les coups des islamistes que tombent les Français, et tout particulièrement - n’en déplaise à Jacques Attali, qui considère que l’antisémitisme «n’est pas un problème au niveau national» - les Français juifs…
Mais combien de temps cet aveuglement idéologique va-t-il durer?
Le dénislamisme est un piège pour ceux qu’il est censé protéger: à force de prétendre contre toute évidence que les attentats ne sont en rien le produit d’une pratique extrême de l’islam, il installe l’idée - évidemment fausse, et dangereuse - que derrière tout musulman se cache un terroriste en puissance.
Le dénislamisme met en danger les Français. Il brouille la perception de la menace et désarme les esprits. Au moment où la mobilisation devrait être maximale, il paralyse la lutte contre les infiltrations islamistes dans nos démocraties.
Le dénislamisme tue. Nous ne gagnerons pas la guerre que nous a déclarée l’islam radical en continuant de marcher les yeux grands fermés.