Article rédigé par Atlantico, le 08 septembre 2019
Source [Atlantico]Les migrations nettes de non-britanniques pour motif de travail au Royaume-Uni ont été divisées par un peu plus de deux depuis le pic de juin 2016. Pour les migrations des citoyens de l'UE, le chiffre a été divisé par 3,5.
Atlantico.fr : Quelles sont les conséquences de l'insularité de la Grande-Bretagne sur son sentiment d'appartenance à la citoyenneté européenne ?
Laurent Chalard : Cela peut paraître évident au premier abord, mais c’est un élément effectivement sous-estimé par les commentateurs hexagonaux qui connaissent à la fois mal la société britannique (Londres n’est pas l’Angleterre !) et ce que signifie vivre dans une île (les français sont des terriens !), la situation géographique spécifique du Royaume-Uni, en l’occurrence son insularité, joue un rôle extrêmement important dans le (non) sentiment d’appartenance à la citoyenneté européenne.
En effet, le Royaume-Uni est un Etat maritime qui s’est construit,au cours de son histoire,un empire sur les mers contre les puissances continentales européennes (la France, l’Espagne puis l’Allemagne) qui lui bloquaient toute perspective d’expansion sur les terres, l’excluant, d’une certaine manière, de l’Europe. Cet Etat s’est donc toujours perçu comme se situant en-dehors du continent, tout en étant très proche. En gros, dans la psyché britannique (Ecosse exceptée), la Grande-Bretagne est à côté de l’Europe plus que constituant de l’Europe. Ce sentiment a été renforcé par la forte émigration de sa population au XIX° siècle vers les colonies de l’Outre-Mer, qui ont conduit à la constitution d’une entité culturelle intercontinentale spécifique, dissociée du reste du continent européen. Du fait de cette histoire et malgré les distances, les citoyens britanniques ont aujourd’hui plus de liens culturels et migratoires avec l’Australie, première destination de l’émigration anglaise à l’heure actuelle, ou le Canada qu’avec le reste de l’Europe. Le sentiment d’appartenance européen n’est donc pas systématique.
Pour beaucoup de britanniques, l’appartenance au monde anglo-saxon l’emporte largement, en particulier pour les populations aux faibles revenus, qui ne fréquentent guère le continent et au sein desquelles demeure un fort sentiment nationaliste, conduisant au rejet de l’altérité, en gardant en tête, par exemple, que, selon une grande historienne d’Outre-Manche, « être anglais », c’est avant tout « ne pas être français » et donc « ne pas être un continental ». Comme le disait à l’auteur de ces lignes une employée d’un petit musée londonien, la France est « so close, so far », c’est-à-dire, « si proche » (géographiquement) mais « si loin » (culturellement), ce qui est valable pour les rapports des anglais avec le reste de l’Europe. Il ne faut pas oublier que si l’Europe s’est « anglo-saxonisée » depuis la Seconde Guerre Mondiale sous l’influence américaine, par contre, le Royaume-Uni lui ne s’est nullement européanisé.
Edouard Husson : Je ne crois pas que ce soit directement l’insularité qui soit en question. Ou alors ce n’est que de manière indirecte: la Grande Bretagne a toute une histoire maritime, qui fait qu’elle n’a jamais regardé seulement vers l’Europe. Il faut d’abord parler de l’Empire ! Ce qui est très frappant, c’est que le pays a donné la priorité à l’immigration issue du Commonwealth à celle issue de l’UE. Il est certain que s’est développé de ce fait un fort communautarisme. Londres est une ville dont 40% sont des étrangers. Et plus généralement, nos amis d’outre-Manche sont largement indifférents aux débats français sur le voile.
On sent bien monter une exaspération vis-à-vis de l’Islam radical. Mais il est frappant de voir que le grand parti à la droite des conservateurs est un parti souverainiste, non un parti identitaire: le Brexit Party. Un autre facteur qui vient renforcer le sentiment de particularité, c’est la relation très spéciale aux Etats-Unis et, plus généralement, le très fort sentiment d’appartenance à une communauté des peuples anglophones, porteurs du rule of law, de l’état de droit.
Dès lors, quelle est la place des migrations intra-européennes en Grande-Bretagne dans la décision du Brexit ? Comment ont-elles évolué depuis juin 2016 ?
Laurent Chalard : Le vote pour le Brexit a été largement la conséquence de la crise des réfugiés syriens de l’année 2015, qui a vu une Union Européenne complètement débordée en incapacité de contrôler les flux de migrants entrants sur son territoire. Les britanniques se sont sentis fortement concernés par la question car, depuis le début des années 2000, la Grande-Bretagne a connu des flux migratoires internationaux sans précédent, qui ont profondément modifié le profil démographique du pays, en particulier dans les grandes métropoles, à commencer par la première d’entre elles, Londres, où les anglais sont en voie de devenir minoritaires. Dans ce contexte, une partie de la population britannique a pris peur de ne plus demeurer majoritaire dans son pays si les frontières restaient grande ouverte à l’immigration, ce que laissait penser un maintien au sein de l’Union Européenne. En effet, pour les anglais, tous les immigrés, qu’ils soient extra-européens ou européens sont perçus de la même manière, comme des étrangers ne pouvant s’assimiler au peuple britannique. Par exemple, les polonais, qui passent relativement bien en France, sont très mal perçus dans un payshistoriquement anti-slaves et anti-catholique, d’autant qu’il existe une concurrence certaine sur le marché du travail de cette main d’œuvre relativement qualifiée avec les classes populaires autochtones.
Depuis 2016, se constate un effondrement des arrivées de citoyens originaires de l’Union Européenne au Royaume-Uni, en particulier pour des motifs de travail, ce qui est une conséquence logique du Brexit, puisque les conditions de circulation et d’exercice d’un emploi seront fortement compliquées une fois la sortie de l’Union européenne actée, d’autant que le racisme décomplexé affiché par une partie de la population anglaise ne motive guère les citoyens européens à venir y travailler. D’une certaine manière, le Brexit aura probablement plus d’impact sur les flux migratoires provenant du reste de l’Europe que sur les flux migratoires extra-européens, le Royaume-Uni demeurant attractif pour les populations originaires de ses ex-colonies.
Edouard Husson : On a deux strates à considérer. Pris sur plusieurs années, l’afflux d’Européens du Centre et de l’Est, à commencer par des Polonais, a été perçu comme de plus en plus difficile à tolérer. Il est difficile de dire qu’il s’agisse d’abord de l’emploi car la flexibilité du marché du travail a produit un plein emploi, à la différence de la France. Cependant, la concurrence pour l’emploi, dans les métiers du bâtiment en particulier, a créé un ressentiment. Le souci d’équilibre budgétaire, d’autre part, suite à la crise de 2008, a conduit à vouloir restreindre l’accès immédiat des autres citoyens de l’UE aux prestations sociales.
C’est tout l’enjeu des négociations entre David Cameron et ses partenaires avant qu’il ne déclenche le référendum sur l’euro. Et l’on peut penser que Cameron aurait obtenu un vote Remain, vu les concessions obtenues, s’il n’y avait pas eu un facteur déclenchant immédiat: la décision irresponsable d’Angela Merkel d’ouvrir complètement les frontières à des réfugiés et migrants début septembre 2015: les Britanniques ont moins été effrayés par l’origine de ces immigrés potentiels (ils connaissent et acceptent, par l’ancien Empire, l’immigration issue d’Afrique ou du Proche-Orient. Ils ont refusé la non-maîtrise de flux issus d’un voisin européen.
En fait, le Brexit, c’est Angela Merkel, le plus mauvais chancelier de l’histoire de la RFA, qui l’a déclenché sans s’en rendre compte ! Autre effet non maîtrisé de ce qui se passe: même si le Brexit n’est toujours pas acté, l’immigration en général, et plus particulièrement l’immigration issue d’Europe continentale ont de fait diminué depuis juin 2016: l’immigration économique venue de l’UE a été divisée par 3,5 ! Globalement, le chiffre est divisé par deux.
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08/09/2019 06:00