De la légitimité des papes après Vatican II : Interview de l'abbé Guillaume de Tanoüarn
Article rédigé par tradinews.blogspot.com, le 18 août 2019 De la légitimité des papes après Vatican II : Interview de l'abbé Guillaume de Tanoüarn

Source [tradinews.blogspot.com] Sous l’égide d’Olivier Figueras, à l’occasion de la publication chez Pierre-Guillaume de Roux du dernier livre de Maxence Hecquard sur La crise de l’autorité dans l’Église, nous organisons un grand débat sur ce sujet tabou entre l’auteur et l’abbé Guillaume de Tanoüarn. À vous de voir !

OF : Comment définissez-vous l’autorité dans l’Église ?    

GT : L’autorité est ce qui augmente, selon l’étymologie, ce qui permet à ce qui lui est soumis d’atteindre son but. Elle n’établit pas un rapport de force entre chef et sujets, mais réalise un ensemble harmonieux où chacun trouve sa place, au plus près du bien commun. De quelle autorité parle-t-on ? De celle du pape qui n’est pas de droit humain. Le pape n’est pas choisi par des hommes, il est « de droit divin » parce qu’il a choisi Dieu et que Dieu l’a choisi.  

MH : J’ajoute que l’Église est une société d’êtres humains : l’autorité est détenue par des personnes physiques. Telle est la constitution voulue par le Christ. Pierre est le fondement : l’Église repose sur la personne physique du Pape, qui dit ce qu’il faut croire, ce qu’il faut faire.     

GT : On ne peut nier le problème de gouvernance dans l’Église. Beaucoup de gens ont peur de l’instabilité de l’institution, mise en cause par des crimes de pédophilie. Le pape, qui aurait couvert des actes de pédophilie (on le sait depuis les révélations du Spiegel) se trouve devant un exercice de l’autorité humainement périlleux.
    
MH : On assiste même à quelque chose de nouveau depuis quelques mois : la remise en cause officielle de l’autorité de François par des prélats et des théologiens qui reconnaissaient l’autorité de Benoît XVI.  

GT : Ce n’est pas un hasard. Il y a un nouveau sédévacantisme. Il y a eu celui des années 80 avec Mgr Guérard des Lauriers et il y en a un nouveau chez des intellectuels aujourd’hui…
  
MH : Ce mouvement prend de la force, puisque tant Mgr Athanasius Schneider que, récemment, un groupe de professeurs et de théologiens, ont déclaré officiellement  : « François est hérétique ! ». Il y a la question des mœurs du clergé que vous évoquez, mais il y a également des questions strictement doctrinales. Certes dès la fin de Vatican II, certains ont estimé qu’il énonçait des hérésies, mais sur des points plutôt techniques et théoriques : la liberté religieuse par exemple. Aujourd’hui lorsque François explique que « la diversité des religions est une sage volonté de Dieu », on se dit que ce n’est pas conforme à la doctrine traditionnelle de l’Église.
  
GT : L’appel des professeurs est de qualité inégale. Il est contestable sur certains points. En tout cas ce n’est pas un texte qui fait foi juridiquement, c’est un symptôme !   

OF : Il serait peut-être bon que Maxence définisse ce qu’il entend par « crise » ?   

MH : Je considère que depuis Vatican II les papes énoncent des hérésies. Je pense notamment à la liberté religieuse qui est la contradiction de la doctrine définie par Grégoire XVI et par Pie IX. Mon livre ne reprend pas la démonstration de ces hérésies, qu’il suppose acquise. Il traite la question : comment cette situation est-elle possible ? Comment un pape pourrait-il énoncer des hérésies ?   

GT : L’hérésie n’est pas seulement de dire des choses en dehors de la tradition de l’Église. Le péché d’hérésie est formellement constitué par la pertinacité de l’hérétique, pertinacité mesurée par le procès qui lui est fait, et à travers lequel se manifeste sa persévérance dans l’erreur.   

MH : Saint Thomas d’Aquin reprend la définition de l’hérésie de saint Augustin : est hérétique celui qui dit des choses nouvelles dans l’Église ou met en doute, voire nie, une vérité de foi. Ce rejet de l’autorité de l’Église en matière de foi et de mœurs constitue le péché d’hérésie.   

GT : En aval de cette délimitation juste de l’objet de l’hérésie, la seule définition que l’on puisse retenir comme étant à effet juridique, c’est l’hérésie juridiquement constatée. Vous pensez que l’on peut se passer de la constatation juridique de l’hérésie, qui serait « manifeste » par elle-même. S’agissant de quelqu’un qui exerce une fonction capitale dans l’Église, il faut que son hérésie soit reconnaissable par tous. Sinon certains vont dire qu’elle est présente et d’autres diront qu’elle ne l’est pas. Bruno Neveu disait : « L’Église fait exister l’hérésie pour la tuer ». Elle précise, elle définit ce qui est hérétique.  

MH : Un péché n’est formel que s’il est conscient. Dès que le rejet d’une doctrine définie par l’Église est conscient, le péché est constitué. La procédure de monitions de l’hérétique prévue par le code de droit canonique ne vise pas à rendre formelle l’hérésie du suspect, mais à prendre acte qu’elle existe, afin de le priver de sa charge ecclésiastique et de lui imposer les peines prévues. Il ne faut pas confondre la constitution du péché et la sanction canonique.  

GT : Dans le cas présent on cherche à établir non le péché d’hérésie, mais ses effets juridiques non seulement sur la personne du pape, mais sur toute l’Église hypothétiquement décapitée… Ce n’est pas parce que je pense que untel est hérétique qu’il est hérétique, c’est parce qu’au regard de l’Église il s’est entêté dans une hérésie et qu’on la lui a montré, qu’on peut le déclarer hérétique.  

MH : Le code de droit canonique (canon 188) explique que l’hérétique perd sa charge ipso facto. C’est aussi la sentence de la plupart des théologiens, de saint Robert Bellarmin au Cardinal Billot. Dans tous les cas le pape n’est pas soumis au code de droit canonique qui ne vaut que pour le clergé inférieur (canon 1556). Paul IV explique bien qu’un pape qui s’avèrerait être hérétique perdrait sa charge ipso facto (bulle Cum ex apostolatus 15/2/1559). Vous essayez d’enfermer le sujet dans une procédure juridique, c’est ce que fait la Fraternité Saint-Pie X depuis 40 ans.   

GT : On peut donc dire qu’on est d’accord sur le fait qu’on n’est pas d’accord.  

OF : Au sein de l’histoire de l’Église il n’y a pas eu de papes hérétiques?  

MH : Aucun  

GT : Honorius…  

MH : De tous temps les Grecs, puis les protestants, puis les gallicans ont prétendu que des papes seraient tombés dans l’hérésie. Les historiens catholiques ont démonté ces calomnies. Honorius n’a jamais proféré d’hérésie. On nous dit qu’il a fait l’objet d’une condamnation par le IIIe concile de Constantinople ; un historien aussi éminent que le cardinal Baronius considérait que le IIIe concile de Constantinople ne parle pas d’Honorius. Saint Robert Bellarmin, dans ses Controverses, déclare fausse la lettre imputée à Honorius. D’autres historiens catholiques disent : quand bien même il y aurait eu une condamnation au IIIe concile de Constantinople, il y a eu des interpolations faites par les hérétiques grecs dans les lettres d’Honorius (c’était courant à l’époque). Dans tous les cas on ne pourrait lui reprocher qu’un manque de fermeté mais non d’avoir adhéré à l’hérésie monophysite. Allons plus loin : il est de foi que les papes ne sont jamais tombés dans l’hérésie…   

GT : Votre théorie, c’est le serpent qui se mord la queue ! Honorius n’est pas hérétique parce qu’il ne peut pas l’être…   

MH : Ce n’est pas une théorie mais une définition de Vatican I : les papes n’ont jamais chuté dans l’hérésie. Elle est reprise par Léon XIII (Satis cognitum) qui cite le pape saint Hormisdas : « Le siège de Pierre est pur de toute erreur ». Sur ces débats historiques, je renvoie à l’excellente synthèse de l’abbé B-M Constant L’histoire et l’infaillibilité des papes(1869, réimpression Saint-Rémi 2015).
  
GT : Pour éclairer la question d’Honorius, on peut se demander : est-ce que le pape est déposé par sa seule hérésie ? La position de Cajetan là-dessus, c’est qu’il y a évidemment une contradiction entre l’hérésie d’un pape et sa fonction, mais que la papauté étant de droit divin et pas de droit humain, aucun homme ne peut de son propre chef mettre fin à un droit divin. Par conséquent il faut, face au droit divin du pape, que s’élève au moins le droit divin de l’Église. Le pape n’est pas déposé ipso facto par son hérésie mais son pouvoir souffre d’une carence de légitimité : il doit être déposé étant hérétique. Papa deponendus non depositus. Cette déposition virtuelle du pape doit être rendue réelle par un procès public qui est plus souvent un procès posthume bien évidemment, c’est le cas pour le pape Honorius premier. Son cadre ? Un concile œcuménique, Constantinople III ; l’anathème que les Pères conciliaires jetèrent contre Honorius fut confirmé par un pape, Léon II. Donc il y a des exemples historiques de papes plus ou moins hérétiques, il n’y a sans doute pas d’exemples historiques de papes formellement hérétiques et persistant formellement dans une hérésie qu’on leur aurait montrée.
  
MH : Donc il n’y en a pas.
  
GT : Et donc pour l’instant il n’y en a pas un. Ni Paul VI, ni François, ni personne.
    
MH : En fait, nous sommes dans une situation théoriquement impossible : puisque le pape est infaillible, dans le cadre de ses fonctions il ne peut pas être hérétique, sauf comme personne privée. Certains théologiens de la Fraternité Saint-Pie X arguent du caractère privé des déclarations des pontifes de Vatican II : cela ne tient pas la route. Paul VI lui-même explique qu’il a engagé toute son autorité de successeur de Pierre dans ses déclarations. François déclare de même après Amoris laetitia que l’interprétation de l’évêque de Buenos Aires est authentique. Ils agissent comme papes, pas comme personnes privées…
  
OF : Il n’y a pas que l’autorité du pape, il y a l’autorité du concile lié au pape…
    
MH : Un concile œcuménique constitue l’instance la plus solennelle de l’Église. Lorsqu’il se prononce sur les questions de dogmes ou de mœurs, avec la sanction du pape, il est infaillible. Pour justifier sa position critique, Mgr Lefebvre a développé une théorie selon laquelle le concile Vatican II serait un concile pastoral qui selon lui n’engageait pas l’infaillibilité pontificale. En réalité, Paul VI a écrit à Mgr Lefebvre qu’il ne pouvait pas se prévaloir de la distinction entre concile pastoral et concile dogmatique, ajoutant que Vatican II est plus important que le concile de Nicée ! Certains théologiens, l’abbé Calderon, le Père Pierre-Marie d’Avrillé…, avancent que Paul VI n’a pas voulu engager son autorité… Leur position ne résiste pas à l’analyse, il suffit de lire les formules qui concluent toutes les constitutions de Vatican II : elles sont très solennelles et typiques des déclarations ex cathedra.
  
GT : Vatican II est plus long que tout le magistère de l’Église antérieure. Pourquoi ? Parce que le genre littéraire est différent. D’un côté, des textes qui définissent formellement ce qui est à croire ou à faire. De l’autre l’élaboration bavarde d’une politique doctrinale de l’Église face à la modernité. Vatican II n’est pas infaillible de la même façon que les autres conciles, parce qu’il se veut intrinsèquement lié au temps où il a été écrit, qui n’est déjà plus le nôtre.

MH : Vatican II est un concile comme les autres mais, dans sa formulation, il a évité de proclamer des canons ou de fulminer des condamnations. Jean XXIII et Paul VI ont expliqué que Vatican II a préféré la miséricorde et a voulu prendre le langage de l’époque moderne. Les théologiens expliquent que, dans les définitions qu’ils énoncent, le pape n’a aucune règle de forme. Il suffit qu’il parle de foi ou de mœurs et qu’il engage son autorité de successeur de Pierre…
  
GT : Il faut encore qu’il définisse avec la volonté d’obliger à croire dit Vatican I, il n’est pas infaillible formellement sans cela. Par ailleurs, pour beaucoup de théologiens, la question du pape hérétique est purement théorique. Je pense à un théologien du XIXe siècle, le père Dominique Bouix. Pour lui, le pape hérétique est immédiatement démissionné de sa fonction pontificale, sauf que, ajoute-t-il, ça ne pourra jamais arriver. Donc sa réflexion théologique se présente elle-même comme absolument hypothétique et uniquement théorique. Il est évident que quand on est dans une réflexion pratique comme Cajetan qui dit lui : des papes tyranniques, il y en a eu ; des papes hérétiques il peut y en avoir, eh bien on prend des précautions qu’on ne pense pas nécessairement avoir besoin de prendre lorsque la question est purement vue du point de vue de Sirius.

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18/08/2019 06:00