Article rédigé par Le Figaro, le 20 juin 2019
Source [Le Figaro] «La gouvernance européenne depuis le traité de Maastricht»: ce sujet du Bac d’histoire prouve, selon Barbara Lefebvre, à quel point l’enseignement de l’histoire se confond avec le commentaire d’actualité. Au risque d’y perdre en culture historique et en objectivité.
Les candidats bacheliers de la section S ont eu à se pencher cette année sur un sujet qui a interpellé ceux qui ne sont pas à jour des dérives ultra-contemporanéistes de nos programmes scolaires: «La gouvernance européenne depuis le traité de Maastricht».
«Ce n’est pas un sujet d’histoire!» me suis-je ainsi entendu dire. Hélas, eu égard aux thèmes grandiloquents qui figurent au programme, ce sujet s’inscrit bien dans cet enseignement disciplinaire. On pourra néanmoins s’interroger sur sa part d’historicité, qui finalement recouvre seulement les vingt-sept dernières années de l’Europe, avec des enjeux inscrits dans une hyper-actualité rendant toute prise de distance difficile pour un élève de dix-huit ans à peine. On se demandera en effet quel regard critique un bachelier peut poser sur la notion de gouvernance européenne, sur celle de supranationalité induisant la perte de souveraineté des nations intégrées au projet de l’Europe maastrichtienne. Les bacheliers ont-ils les moyens d’interroger les enjeux du référendum de 2005 et les modifications profondes apportées en 2009 par le traité de Lisbonne?
Les enjeux du sujet sont inscrits dans une hyper-actualité rendant toute prise de distance difficile pour un élève de dix-huit ans.
Dès lors, on comprend que certains parents, certains observateurs puissent trouver un tel sujet fort peu «historique» (au sens d’une analyse raisonnée et critique des faits passés) et bien plus politique, sinon propagandiste. En effet, les attendus pour obtenir une note correcte ne sont pas orientés vers une approche critique de la construction européenne, mais vers une restitution du «récit linéaire européen» appris par coeur: il faut toujours plus d’Europe pour que l’Europe réussisse. Il est d’ailleurs piquant de constater que ceux, parmi les progressistes de tous bords, qui fustigent le prétendu «roman national» et appellent à «dénationaliser l’histoire de France», sont les ardents promoteurs du «roman européen». La construction européenne est en effet décrite comme une longue marche vers le progrès, la paix et la béatitude du libre-échange sans entrave que de mauvais génies «nationalistes» animés de «passions tristes» viendraient troubler, formant de terrifiants desseins pour nous ramener «aux heures sombres de notre histoire». Nos programmes au collège comme en lycée, et ce sujet de bac, témoignent de ce «roman européen», mais personne n’aurait l’idée d’en ébaucher une critique historiographique et historique.
Au fil des années, parce qu’il faudrait que l’école soit de son temps, l’enseignement de l’histoire contemporaine est devenu une activité de commentaire du temps présent, à cheval entre le journalisme bien-pensant et la vulgate du Monde diplo(pour les questions de géopolitique internationale). Les quatre thèmes au programme en Terminale parlent d’eux-mêmes: le rapport des sociétés à leur passé (traduire par «le culte mémoriel et son camaïeu d’histoires victimaires»), idéologies et opinions en Europe de la fin du XIXe à nos jours (centré sur l’Allemagne et la France depuis 1875, ce qui nuance nettement la localisation ambitieuse de l’intitulé), puissances et tensions dans le monde de 1918 à nos jours (traduire par «brosser un siècle de géopolitique internationale en vingt heures de cours»), les échelles de gouvernement dans le monde de 1945 à nos jours (à savoir l’échelle de l’État-nation avec la France comme exemple, l’échelle continentale avec l’Union européenne, l’échelle mondiale avec «la gouvernance économique mondiale» sic). Ces thèmes sont révélateurs de la dérive tant géopolitique que mémorielle de l’enseignement de l’histoire contemporaine, qui s’apparente de plus en plus à des sciences politiques de café du commerce.
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