Article rédigé par Constance Prazel, le 24 mai 2019
Ce qui aurait pu pour passer pour un canular du Gorafi ou une mauvaise blague est désormais officiel : le CSA, la grande instance censée garantir l’équité républicaine, les bons usages démocratiques et la liberté d’expression dans les média, vient de décider que les prises de parole de Steve Bannon, ancien conseiller de Donald Trump, seraient imputées au temps de parole du Rassemblement national dans le cadre des élections européennes. Une décision totalement improbable, reposant sur on ne sait quel fondement, et au nom d’on ne sait quelle conception du débat politique.
Ainsi donc, sous prétexte que des membres du Rassemblement national ont été vus dînant avec l’homme politique américain, et qu’il tient des propos assez conformes à l’esprit du parti, il serait assujetti aux règles du temps de parole. Toute expression publique libre est-elle désormais interdite ? Toute prise de position convaincue est-elle désormais assimilable à un discours militant, ou faut-il, par peur de subir les foudres du CSA, que tout personnage en vue se claquemure, pendant la durée des campagnes, dans un silence prudent, signifiant le terrible appauvrissement de notre débat public ?
A ce compte-là, nous proposons que la commission des comptes de campagne comptabilise les publications mirifiques du Figaro en faveur de François-Xavier Bellamy dans les frais d’impression du parti Les Républicains. Mais aussi, comme nombre d’éditorialistes l’ont remarqué, que les interventions médiatiques de Bernard Henri-Lévy soient à leur tour retranchées du temps de parole de La République en marche. Quant aux spectacles de Josiane Balasko, qui ne fait pas mystère de ses sympathies communistes, et a même prêté sa voix au clip de campagne du PCF, pourquoi ne pas les ajouter au temps de parole de la liste menée par Ian Brossat ? Les pleurs de Greta Thunberg seront-elles accusées de faire monter le niveau du réservoir de votes des Verts ? Ne parlons pas, évidemment, du Grand débat, qui a fourni au pouvoir en place une pré-campagne bien commode, ou des unes de la presse régionale de ces derniers jours, qui avaient des airs de tracts officiels pour la liste Renaissance, et qui, elles aussi, devraient bien être comptabilisées quelque part dans leur budget de communication.
De qui se moque-t-on ? Avec une décision telle que celle-ci, c’est la notion même d’engagement – qui a du sens, et ne mérite pas d’être accaparée par les seuls intellectuels « engagés » dans la défense du politiquement correct – qui est mise à mal, l’irrigation du débat partisan et politicien par d’autres acteurs, d’autres incarnations de la parole politique, ou encore les interactions enrichissantes avec des hommes politiques venus d’ailleurs, quelle que soit d’ailleurs leur provenance ou leurs convictions. Le CSA joue ici, mais ce n’est pas la première fois, quoique sous d’autres modalités, son rôle de police de la pensée avec une partialité qui atteint des records. On ne peut pas trop compter pour dénoncer cette situation sur le défenseur des droits, Jacques Toubon : venu du RPR-UMP-LR, nommé par Hollande, il est parti prenante de la manipulation en marche. Après tout, il faut peut-être se réjouir : par cette décision, le CSA rend la perversité de l’appareil macronien plus éclatante que jamais et visible aux yeux de tous ; les bulletins de vote glissés dans l’urne, dimanche prochain, sauront, nous l’espérons, honorer cette forfaiture comme il se doit.
Constance Prazel
Déléguée générale de Liberté politique