Article rédigé par Jeanne Smits, le 21 mai 2019
Le lundi 20 mai au matin, le cardinal Raymond Burke m’a accordé un entretien à propos de la situation de Vincent Lambert, dont il avait été annoncé par le Dr Vincent Sanchez du CHU de Reims que sa sonde d'alimentation devait être retirée ce jour-là. Entre-temps, nous avons appris que Vincent a reçu une sédation profonde et que sa sonde d'alimentation a été retirée sans que sa famille n’en soit informée et sans que celle-ci ait seulement pu faire ses adieux. Une vidéo publiée sur internet par Valeurs actuelles montre Vincent, dimanche soir, pleurant tandis que sa mère le console.
Il a beaucoup été question de l’état prétendument « végétatif » de Vincent et de sa supposée volonté de mourir. Au-delà de cette polémique, son « affaire » concerne des questions bien plus profondes encore sur la fin de la vie, questions évacuées, niées par la loi positive française puisque la loi Leonetti, dès 2005 et plus encore en 2016 dans sa version remaniée, contredit l’interdiction fondamentale de tuer l’innocent, qui vaut pour tout homme, de tout temps, de toute culture, parce que c’est la loi naturelle conforme à son bien.
Le cardinal Burke rappelle ces exigences fondamentales que tant d’ecclésiastiques n’évoquent même plus, entrant même – comme l’a fait le groupe Bioéthique de la conférence des évêques de France – dans la logique de la loi comme si elle était acceptable. – J.S
J.S. : Votre Eminence, vous avez certainement entendu parler du cas de Vincent Lambert en France, un homme de 42 ans, tétraplégique, atteint de graves lésions cérébrales, qui risque de mourir dans les prochains jours, sauf si un recours judiciaire de dernière minute interrompt le processus, parce que les autorités sanitaires et administratives ont décidé d'arrêter de l'hydrater et de le nourrir. Cela parce qu’il a été jugé dans un « état végétatif » et « ne voudrait pas vivre comme ça ». Cette affaire touche à des questions sérieuses concernant le respect dû à la vie humaine innocente. Quel est votre point de vue, ou plus précisément, quel est celui de l'Eglise sur cette situation ?
Cardinal Raymond Burke : Je suis profondément préoccupé par la situation de Vincent Lambert. Je crains qu’il ne soit mis à mort par refus d’alimentation et d'hydratation comme cela s'est tragiquement produit dans le cas de Terri Schindler Schiavo aux Etats-Unis le 31 mars 2005 et d’Eluana Englaro en Italie le 9 février 2009. Je suis profondément inquiet pour Vincent Lambert et pour les nombreuses autres victimes de l'euthanasie, car il est clair que, si le refus d'alimentation et d'hydratation se trouve justifié dans le cas de Vincent Lambert, aucune personne qui se trouve dans un état de faiblesse grave ne jouira plus du respect fondamental de sa vie.
Le retrait de l'alimentation et de l'hydratation, que celles-ci soient naturelles ou artificielles, constitue une euthanasie par omission, c'est-à-dire, selon la définition de l'euthanasie donnée par le pape Jean-Paul II dans son encyclique Evangelium Vitae (25 mars 1995) : « une action ou une omission qui, par elle-même et par intention, cause la mort, dans le but d'éliminer toute souffrance » (n° 65). Dans la même Lettre encyclique, le Pape Jean-Paul II a précisé que l'enseignement sur l’euthanasie que « cette doctrine est fondée sur la loi naturelle et sur la Parole de Dieu écrite » (n° 65).
Le premier précepte de la loi naturelle est la protection et la sauvegarde de toute vie humaine, en particulier de la vie humaine lourdement grevée par des besoins particuliers, une maladie grave ou l’avancement de l’âge.
Dans l'affaire Vincent Lambert, les autorités françaises font valoir que son manque de conscience de soi et de conscience du monde qui l'entoure – ce qui est d'ailleurs contesté, étant donné qu’il réagit à sa mère en particulier – indique qu'il est dans un « état végétatif » dans lequel il n'aurait pas voulu se retrouver. Ces circonstances – l'état végétatif et le désir personnel de la personne – justifient-elles jamais l'administration de nourriture et d'eau ?
La Congrégation pour la Doctrine de la foi, en réponse à deux questions concernant l'administration de nourriture et d'eau à une personne dans ce qu'on appelle « un état végétatif » (1er août 2007), a donné une interprétation de la loi naturelle s’appliquant à ces cas qui fait autorité : « Un patient en “état végétatif permanent” est une personne, avec sa dignité humaine fondamentale, à laquelle on doit donc procurer les soins ordinaires et proportionnés, qui comprennent, en règle générale, l’administration d’eau et de nourriture, même par voies artificielles. »
Comme le fait remarquer la réponse : « On évite de la sorte les souffrances et la mort dues à l’inanition et à la déshydratation. » La seule exception est le cas où le corps ne peut plus assimiler l'eau ou la nourriture.
Saint Jean Paul II a illustré l'enseignement sur le devoir moral de fournir « les soins normaux dus au malade dans des cas semblables », ce qui inclut la nutrition et l'hydratation, dans son discours aux médecins catholiques concernant les soins de ceux qui sont dits dans « un état végétatif » (20 mars 2004). Il a déclaré : « En particulier, je voudrais souligner que l'administration d'eau et de nourriture, même à travers des voies artificielles, représente toujours un moyen naturel de maintien de la vie, et non pas un acte médical. Son utilisation devra donc être considérée, en règle générale, comme ordinaire et proportionnée, et, en tant que telle, moralement obligatoire, dans la mesure où elle atteint sa finalité propre, et jusqu'à ce qu'elle le démontre, ce qui, en l'espèce, consiste à procurer une nourriture au patient et à alléger ses souffrances… L’évaluation des probabilités, fondée sur les maigres espérances de reprise lorsque l'état végétatif se prolonge au-delà d'un an, ne peut justifier éthiquement l'abandon ou l'interruption des soins de base au patient, y compris l'alimentation et l'hydratation. » (n° 4).
Pensez-vous qu'il soit juste d'appliquer les mots « état végétatif » à un être humain ?
Les termes « état végétatif » doivent être utilisé avec beaucoup de précaution, car ils peuvent conduire à considérer celui qui se trouve dans cet état comme moins qu'un être humain. Comme l'a fait remarquer saint Jean Paul dans son allocution que je viens de mentionner :
« Face à un patient dans un tel état clinique, certaines personnes en arrivent à mettre en doute la subsistance même de sa “qualité humaine”, presque comme si l'adjectif “végétatif” (dont l'utilisation est désormais consolidée), qui décrit de façon symbolique un état clinique, pouvait ou devait se référer au contraire au malade en tant que tel, dégradant de fait sa valeur et sa dignité personnelle. A cet égard, il faut souligner que ce terme, même limité au domaine clinique, n'est certainement pas des plus heureux lorsqu'il se réfère à des sujets humains.
« En opposition à ces courants de pensée, je ressens le devoir de réaffirmer avec vigueur que la valeur intrinsèque et la dignité personnelle de tout être humain ne changent pas, quelles que soient les conditions concrètes de sa vie. Un homme, même s'il est gravement malade, ou empêché dans l'exercice de ses fonctions les plus hautes, est et sera toujours un homme, et ne deviendra jamais un “végétal” ou un “animal”. (n. 3)
Dans son discours aux médecins catholiques du 20 mars 2004, il rappelle également un principe moral fondamental : « D’ailleurs, on reconnaît le principe moral selon lequel même le simple soupçon d'être en présence d'une personne vivante entraîne, dès lors, l'obligation de son plein respect et de l'abstention de toute action visant à anticiper sa mort. » (n° 4).
En tant que catholiques, avons-nous un rôle particulier à jouer dans cette situation où de nombreuses lois positives vont à l'encontre de la loi naturelle qui exige le respect de toute vie humaine innocente ?
Compte tenu de la gravité de la situation, particulièrement pour Vincent Lambert et, plus
généralement, pour toutes les personnes dans une situation semblable, les personnes de bonne volonté et les catholiques, en particulier, ont l'obligation d'exiger que l'État et les établissements de santé respectent la dignité inviolable de la vie humaine innocente, particulièrement celle de nos frères et sœurs qui portent le poids de besoins particulier, souffrent de maladies graves ou se trouvent à un âge avancé, qui sont les premiers à devoir bénéficier de soins de la part de l’Etat et de leur prochain. Dans le cas de Vincent Lambert, notre devoir de faire respecter la loi naturelle consiste à insister pour qu'il reçoive les soins normaux dus à une personne dans son état.
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