Religion : les mots interdits
Article rédigé par Constance Prazel, le 26 avril 2019

A l’époque de Molière et des Précieuses, il était des mots que l’on ne prononçait pas par bienséance ou pour tâcher d’embellir le prosaïsme déprimant du quotidien ; ainsi un miroir devenait un « conseiller des grâces », et la lune « le flambeau de la nuit ».

Aujourd’hui, dans le verbiage de la France de 2019, il n’y a plus rien de précieux, mais il y a beaucoup de ridicule. Comme au pays d’Alice, les choses sont ce qu’elles ne sont pas, ou plutôt, elles ne sont pas ce qu’elles sont. Le ministre de l’intérieur (et des cultes, ne l’oublions pas), nous a récemment expliqué que Notre-Dame n’était pas une cathédrale. Grâce à un nouvel  usage du dictionnaire des synonymes, les croyants sont assimilés à des « citoyens », des « touristes », des « visiteurs » ou des « amoureux anonymes » de la grande Dame de pierre. Lors des attentats du dimanche de Pâques, on découvrit que c’était le Sri Lanka qui était frappé, mais non la communauté catholique, et que les hôtels appartenaient à la même catégorie de bâtiments publics que les églises. Quant aux auteurs des attentats, il a vraiment fallu fouiller dans les déclarations officielles pour y lire qu’ils étaient musulmans.

Les prises de parole publiques se transforment en une sorte de concours grotesque où la prime reviendra à celui qui mettra le plus d’application à ne parler ni de religion ni de foi.

Le problème est plus profond que celui d’un anticatholicisme primaire, comme on pourrait être tenté de le croire de prime abord. Journalistes et hommes politiques, sociologues et éditorialistes sont comme tétanisés devant cette réalité à leurs yeux curieuse et totalement incongrue, la foi. Elle est conçue et appréhendée comme une bizarrerie, la survivance anachronique d’un réflexe archaïque en ce début de XXIème siècle. Ainsi, des pans entiers de la réalité humaine, de l’étoffe spirituelle des êtres et des civilisations leur échappent totalement, avec des conséquences gravissimes. Dans l’appréhension du terrorisme islamiste, il existe un préjugé systématique à l’encontre des auteurs des actes de violence. On nous explique que ce sont des « déséquilibrés », et qu’il n’y a aucune raison de chercher une raison religieuse à leurs actes meurtriers. Dans un tout autre domaine, récemment encore, à l’occasion d’une enquête sociologique sur les prénoms, Libération nous expliquait qu’il n’y avait aucune espèce de motivation religieuse dans le fait de choisir d’appeler son fils « Mohammed » : ce n’est qu’une affaire de goût, et comme chacun sait, les goûts cela ne se discute pas ! Si l’étendard de Daesh brandit « Il n’y a de Dieu qu’Allah », c’est certainement pour faire joli.

Terrible tendance que celle qui tend à éradiquer avec obstination la religion de la vie publique, comme d’ailleurs de la vie privée. Emerge sous nos yeux un monde desséchant de matérialité, sans esprit, sans âme. Les effets secondaires peuvent être inattendus : quelle ne fut pas la stupéfaction de votre honorable servante, en visite à la grande exposition consacrée au pharaon Toutânkhamon, de découvrir que pour les concepteurs de cette manifestation,  tout était affaire de « magie » dans l’Egypte ancienne : le Royaume des morts, la survie de l’âme pour l’éternité, les divinités du Bien et celles du mal, tout cela relèverait d’un folklore amélioré à la Harry Potter. Les mots : rites, rituels, croyances, religion, sacré n’ont tout simplement jamais été évoqués, le mot de divinité à peine suggéré, dans une gigantesque opération marketing destinée à éradiquer tout ce qui peut évoquer la transcendance.

Bernanos définissait le monde moderne comme une « conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. » La société qui se déploie sous nos yeux est le triste aboutissement de ce processus, qui nous emmène plus loin encore. La vie intérieure de l’Occident s’étiole depuis longtemps déjà, et avec une application acharnée toute forme de vie spirituelle est patiemment minimisée ou niée dans un projet de transformation du réel et du langage d’ordre totalitaire.

Quand un mot n’est plus prononcé, on finit par oublier la réalité qu’il était censé désigner : à nous de répéter sans relâche, haut et fort, les beaux mots de croyant, de Français et de catholique.

 

Constance Prazel

Déléguée générale de Liberté politique