La France et l’OTAN en Syrie : le grand fourvoiement
Article rédigé par , le 12 avril 2019 La France et l’OTAN en Syrie : le grand fourvoiement

Roland Hureaux, auteur de cet implacable essai qui ne porte pas sur autre chose que les travers idéologiques de notre temps, ne s’inscrirait sans doute pas en faux envers ce récent commentaire de Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, et qui en constitue, en définitive, la ligne de fond : « [ A côté d’un atlantisme classique, recevable] s’est développé un autre courant, que beaucoup de gens confondent avec lui, proche de ce qu’on a appelé le mouvement néoconservateur aux Etats-Unis. Les néoconservateurs ne sont pas des «conservateurs».

Ce sont des idéalistes idéologues, des idéologues interventionnistes qui ont détesté la politique réaliste de Kissinger, qui négociait avec l’URSS (…). Ce courant s’est développé au fil du temps et a fusionné depuis vingt ou trente ans avec les courants droits-de-l’hommistes et interventionnistes. Il est représenté dans une grande partie des médias et resté puissant au Quai d’Orsay. Être occidentaliste consiste à penser que l’Occident est entouré de forces hostiles partout dans le monde : la Russie, les pays émergents etc., et d’en tirer la conclusion qu’il faut combattre vigoureusement cette évolution. Les occidentalistes en concluent également qu’il ne faut pas de politique étrangère française trop autonome (…). C’est une erreur de penser que nos néoconservateurs sont alignés sur Donald Trump. Déjà ils n’étaient pas du tout alignés sur Obama ! » (L’Humanité, 5 mars 2019).

La guerre de Syrie n’est qu’une illustration grandeur nature de l’application – et la conséquence ! - de cette  politique. Observateur réfléchi de notre époque, comme on dit, et dont ladite réflexion s’appuie sur la conviction argumentée que les fondements de la politique gaulliste et la spiritualité gaullienne mêlés constituent une base de conduite politique et personnelle toujours et hautement valable en ce que, justement, elle s’exonère de toute idéologie (cette « logique d’une idée folle » pareille à une cellule cancéreuse dégénérant fatalement vers le totalitarisme selon Hannah Arendt), Roland Hureaux compile et relie à merveille tous ces petits faits vrais qui permettent, in fine, de faire ressortir les lignes de force perverses animant les protagonistes. Ainsi n’y eut-il pas plus d’ « armée syrienne libre » que de beurre en broche ; point de troisième voie, de troisième force, de ces islamistes modérés que les puissances occidentales eussent pu soutenir. A cet égard, tout le discours mainstream tenu, par exemple, par l’universitaire Jean-Pierre Filiu, par le journaliste Bernard Guetta apparaît, en regard de l’analyse précise, documentée, incisive de Roland Hureaux, dénué du moindre commencement de preuve, pour ne pas dire de la moindre vérité. Il en est du même tonneau des allégations d’attaque au gaz par le gouvernement légal syrien. Il faut lire à ce sujet la collation de l’ensemble des indices en ce sens que l’auteur puise parmi les sources les plus sérieuses. Ainsi dès 2011, l’identité et la couleur doctrinale des forces en présence étaient-elles bien établies : une flopée de groupes d’activistes islamistes nullement « modérés », souvent issus de la lignée Al-Qaïda (auquel s’est adjoint le fameux Etat islamique en Irak et au Levant, le fameux DAESCH) face à l’armée régulière syrienne. Ainsi, les attaquants n’ont-ils pas seulement été au principal financés et entraînés par l’Arabie saoudite, par le Qatar et autres moyennes puissances arabo-musulmanes mais aussi… par les Etats-Unis et la France, information dont c’est un euphémisme ou une litote que de devoir écrire qu’on ne peut pas dire que ce fût là une information dont nous fûmes abreuvé ! C’est là, selon Roland Hureaux, non seulement un scandale moral mais une grave faute politique, stratégique. Notre géopoliticien nous explique de fond en comble en quoi elle consiste, ses tenants (ce qu’il appelle le libéral-impérialisme reposant en dernière analyse sur une anthropologie foncièrement erronée) et ses aboutissants : l’immigration en Europe, fermement, névrotiquement voulue par l’Union Européenne, d’une foultitude d’individus (la plupart syriens) conduitspar une mafia turque complice et  maîtresse d’œuvre des visées d’Erdogan, l’exode entraînant dans sa foulée esclavagiste les attentats terroristes que l’on connaît, et ceux que l’on ne connaît pas (encore).

Ce qui est aussi remarquable dans ce dense essai, c’est que, ni dans le fond, ni dans la forme, il n’apparaît polémique, vindicatif, moins encore « complotiste ». C’est à l’inverse un livre de raison – les mauvaises langues ajouteraient : et d’oraison. Ils n’auraient en fait pas tort tant ce livre est sous-tendu d’une spiritualité qu’on dirait toute confiante, laquelle confiance est aussi celle en la possibilité d’un retour prochain d’une politique classique, raisonnée, le pays ayant élu une tête pour la mener ; en un mot : une politique capétienne. Cette « tête », Roland Hureaux a l’intuition qu’à la vérité, nous ne la connaissons pas. L’avenir politique de la France et du reste de l’Europe sera donc, et à tous les sens du terme, passionnant. Cet avenir, le livre refermé et médité, pour le moins saurez-vous le pressentir et, qui sait ? déjà l’aimer. 

 Hubert de Champris

                        

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