L’intimidation morale, arme fatale des responsables politiques en manque d’inspiration
Article rédigé par Atlantico, le 05 avril 2019 L’intimidation morale, arme fatale des responsables politiques en manque d’inspiration

Source [Atlantico] Disqualifier ses adversaires en les renvoyant hors du champ du débat démocratique n’est pas seulement une tactique utilisée pour masquer le vide de la pensée de ceux qui l’emploient, c’est aussi un poison qui donne de facto les clés de la vie politique à des militants radicaux.

Atlantico : Alors que chaque "dérapage" ou opinion sortant du cadre du politiquement correct est immédiatement sanctionné d'une violente riposte médiatique, pointant le nationalisme, l'islamophobie, ou l'antisémitisme de ses opposants, peut-on considérer que le débat politique français est entré dans une ère où l'intimidation est devenue une arme essentielle au service d'un vide idéologique ?

Bertrand Vergely : Nous vivons aujourd’hui dans une société d’intimidation. C’est indéniable. En permanence, histoire de rectifier et de prévenir tout dérapage, des voix s’élèvent pour dénoncer tel ou tel propos en pointant le racisme, la discrimination, le rejet de l’autre. De sorte que, de peur d’être traité de raciste et  de réac nauséabond, on n’ose plus rien dire.  Cette pratique désormais courante est-elle en train d’envahir le débat politique du fait du vide de celui-ci ? Elle n’est pas en train de l’envahir. Elle l’a toujours envahi avec toutefois aujourd’hui une nouvelle façon de s’y prendre. 

Quand la société est « normale », celle-ci est apaisée et ne passe pas son temps à intimider les citoyens qui la composent. Tout change quand apparaît le désir de la  changer. 
En général, cela commence toujours pour réparer une injustice. Ce qui en soi n’est nullement répréhensible. L’injustice existe. Malheureusement. Quand elle existe et qu’elle devient un état de fait, elle donne l’impression d’être normale et de faire partie de l’ordre des choses. « Oui, c’est injuste. », soupire-t-on, « Mais cela a toujours été ainsi. Que voulez vous y faire ? On ne va tout de même pas tout chambouler ». Quand des hommes et des femmes épris de justice dénoncent cet état de fait et qu’ils luttent contre lui afin de le faire disparaître, on ne va pas s’en plaindre. Ce sont des justes qui méritent d’être admirés comme tels. Toutefois, une chose est de supprimer une injustice, une autre de vouloir créer une nouvelle société et, notamment, une société idéale. Là, on n’a plus affaire à une juste lutte pour la justice et contre l’injustice. On a affaire à une guerre du nouveau contre l’ancien dans laquelle il ne s’agit plus de réparer la société mais de supprimer la société telle qu’elle était afin de la remplacer par une autre. Quand tel est le cas, c’est là que l’on voit apparaître l’intimidation. 

 Il n’est pas possible de créer une nouvelle société et, qui plus est, une société idéale. À chaque fois que les peuples s’y sont essayés, cela s’est transformé en terreur, en génocide et en enfer. Pour une raison très simple. La société nouvelle n’étant possible que si l’on détruit la société ancienne, cela ne peut pas se faire sans une guerre civile afin de liquider les représentants et les symboles de la société ancienne. La Révolution français, la révolution russe, la révolution chinoise et la révolution au Cambodge en sont les terribles illustrations. 

Les révolutionnaires l’ont toujours su. Mais, comme cela les a toujours gênés, ils ont toujours passé leur temps à ne pas vouloir le savoir. Et pour ne pas le savoir qu’ont-ils fait ? Ils ont intimidé en usant et en abusant du combat idéologique et de la propagande. 
Ainsi, je suis un révolutionnaire qui veut changer le monde. Mais, mon discours passe mal. Il inquiète. Comme je ne veux pas renoncer à la révolution, il ne me reste qu’n seul moyen : faire peur à ceux qui mettent en doute mon projet révolutionnaire. Pour cela, je n’y vais pas par quatre chemins. J’utilise un argument massue : « Si mon discours révolutionnaire ne passe pas, cela ne vient pas de ce que je me suis trompé et qu’il est faux. Cela vient de ce que vous ne m’aimez pas. Vous êtes plein de haine à mon égard et à l’égard de mes idées parce que vous détestez la justice. Vous avez peur du nouveau. Vous ne voulez pas de l’idéal sur la terre. Vous êtes un ennemi de l’humanité ». 

On s’interroge à propos du débat politique. Il a aujourd’hui recours à l’intimidation. Qu’il soit permis de faire remarquer que ce n’est pas nouveau. Cela fait près de deux siècles et demi qu’il en est ainsi. Depuis la Révolution Française, le monde ne cesse de vivre dans un état continuel d’intimidation, ceux qui rêvent de changer le monde mettant, comme on dit, « la pression » en disant à tous ceux qui les critiquent  « Réacs. Vous êtes des réacs. Vous avez peur du changement. Sales réacs. On aura votre peau ».  

Jetons un regard sur les cinquante dernières années en France. Le débat politique n’a été constitué que de cela. Il n’a été qu’une longue guerre civile menée par les communistes, l’extrême gauche et la gauche, cette guerre étant illustrée par cette perle inoubliable qui résume tout : « Mieux vaut avoir tort avec Sartre que raison avec Raymond Aron ».  

Aujourd’hui, on assiste à un regain d’intimidation. Rien d’étonnant à cela. Si le communisme est tombé, si le parti communiste a disparu, si le parti socialiste a également disparu, la pulsion révolutionnaire est toujours là en faisant partie, comme on dit, de l’ADN de la France et du monde occidental.  D’où cette question : « Je suis un révolutionnaire. J’ai envie de changer le monde. Le communisme est tombé et je ne peux décemment plus m’en réclamer. Comment faire ? ».Il ya une solution : le musulman, le migrant et l’homosexuel. La révolution a échoué avec le communisme ? Elle va réussir avec eux.
Le musulman a été colonisé. Le migrant est refoulé aux frontières. L’homosexuel a été déporté par le nazisme dans des camps de concentration comme les juifs et les tziganes. Les prolétaires exploités et humiliés qu’il faut défendre ce sont eux. Aussi va-t-on les défendre et, grâce à eux, on va changer le monde et établir enfin la société idéale sur terre. 
Un problème toutefois : le musulman n’est plus simplement une victime. Il y a aujourd’hui des musulmans terroristes qui tuent des innocents afin de terroriser le monde occidental. Il n’est pas possible d’ouvrir les frontières de l’Europe à des centaines de millions de migrants sans la faire exploser. Enfin, les couples gays ne pouvant pas faire des enfants, c’est quand même sur le couple homme-femme que repose la vie. Qu’à cela ne tienne. Le révolutionnaire  va bousculer tout cela.  Il va intimider. 

Il est question du terrorisme islamiste ? « Pas d’amalgame. Rien à voir avec l’islam ». « Les sourates 4 et 5 du Coran appellent au meurtre de l’infidèle et à sa crucifixion ? » « Pas d’amalgame, on a dit. Rien à voir avec l’islam. Arrêtez vos propos racistes et xénophobes. 
Il est question des migrants et de leur afflux ? « Retirez immédiatement ce propos haineux. Il n’y a pas d’afflux de migrants. C’est une rumeur, une fake news raciste d’extrême droite. La terre doit être à tout le monde et l’on doit être libre de s’installer où on veut. D’ailleurs, c’est  le pape vient de le dire ». 
Enfin, pour que les couples gays puissent avoir des enfants, la GPA pour les hommes et la PMA pour les femmes et, de ce fait, pas de père ou pas de mère pour les enfants, vous êtes sûr que cela ne va pas poser de problèmes pour ces derniers ?  « Vous êtes homophobe. C’est pour cela que vous êtes contre la GPA et la PMA ».  
On s’interroge au sujet de l’intimidation aujourd’hui dans le débat politique. Est-ce nouveau ? Non ce n’est pas nouveau. Cette intimidation est consubstantielle à la modernité et à son projet révolutionnaire. En revanche, une chose est nouvelle. Hier, c’était le prolétaire qui était mis en avant pour faire la révolution. Aujourd’hui, c’est le musulman, le migrant et le gay. 

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