Article rédigé par Valeurs actuelles, le 03 avril 2019
Source [Valeurs actuelles] Les Forces Démocratiques Syriennes appuyées par la Coalition ont annoncé la “reprise totale” du territoire occupé par Daech, avec la chute de Baghouz (Syrie) en apothéose. Le dernier bastion, à l’est de l’Euphrate et tout près de la frontière avec l’Iraq, est tombé. Soit. Si un Etat a besoin d’un territoire, d’une population et d’un gouvernement alors oui, Daech n’est plus. Toutefois, l’idéologie, elle, est bien vivante, et ses sources vives sont transmises dans le monde entier par une entreprise de communication fort bien rodée et redoutablement efficace. Tous les observateurs s’accordent sur le fait que la fin “territoriale” de Daech ne signifie en RIEN la mort de l’organisation terroriste et de son idéologie islamiste en tant que telles. Alexandre del Valle revient sur ces éléments et montre que, après s’être réjoui de ce qui a pu être accompli en Syrie contre l’aspect guérilla de Daech, l’heure doit être aussi à la vigilance. Il y a même lieu de s’inquiéter d’un prévisible retour à un terrorisme de clandestinité plus “traditionnel” et moins déterritorialisé à la Al-Qaïda, d’autant que l’Etat islamique est plus que jamais en situation de concurrence avec la centrale benladenienne.
Est-ce donc vraiment la fin de l’Etat islamique en Syrie ?
Dans un entretien remarqué au Times, le Général LaCamera, commandant des forces de la coalition anti-EI, a tenu à relativiser la « victoire » contre Daesh en Syrie : « Ne vous y trompez pas, Daech est en train de préserver ses forces. Ils ont fait des décisions calculées de préserver ce qu’il restait de leur personnel et de leur capacité diminuée en tentant leur chance dans des camps de personnes déplacées et en passant dans la clandestinité dans des zones éloignées. Ils attendent le bon moment pour ré-émerger. » Baghouz est certes tombée, mais après des mois et semaines de « résistance » acharnée à 1 contre 100, comme à Mossoul. Et les combattants de Daech qui ne voulaient pas être faits prisonniers se sont fait exploser. Leurs épouses n’ont pas été en reste. Emmenant leurs enfants avec elles, elles ont souvent marché à la rencontre des forces venues libérer Baghouz pour déclencher leurs ceintures. C’est par centaines que les combattants de Daech ont choisi de mourir ainsi plutôt que d’être pris. Certes, des milliers de sympathisants de l’Etat islamiques et des centaines de jihadistes ont également préféré fuir, mais les combattants de la Coalition et les forces FDS kurdo-arabes ont décrit des scènes d’horreur et de détermination qui n’ont rien de rassurant pour l’avenir.
Comme force régnante sur un territoire, comme force « politique » étatique ou quasi étatique, certes. Toutefois, la gestion quotidienne de l’« Etat » néo-califal avait englouti des forces humaines qui sont maintenant libres de retourner tout entières à leur but premier : le terrorisme. « La réduction du califat physique est une réussite militaire monumentale, a déclaré devant une commission du Congrès américain le général Joseph Votel, le chef des forces américaines au Moyen-Orient, mais le combat contre l’EI et l’extrémisme violent est loin d’être fini (…). Nous avons fini de défaire l’EI sur le plan territorial en Syrie et en Irak, mais nous avons encore du travail pour obtenir une défaite durable de l’EI », a lancé quant à lui le 23 mars dernier à Deir Ezzor, William Roebuck, l’envoyé américain de la coalition internationale anti-EI.
N’oublions pas par ailleurs que l’EI conserve une très importante présence territoriale en dehors du théâtre « Syrak » (Syrie/Irak), avec des réseaux et groupes « franchisés » dans nombre de pays d’Asie et d’Afrique: 200 membres actifs de l’EI au Mali; 3.000 djihadistes de l’ISWAP, faction du groupe Boko Haram affiliée à l’EI) disséminés entre le Nigeria, le Tchad et le Niger; des camps en Somalie, en Libye, en Égypte (Ansar Baït al-Maqdis, affilié à l’EI, attaques dans le désert du Sinaï); 3000 à 4000 jihadistes en Afghanistan, ou encore des centaines d’autres en Indonésie (groupe Jamaah Ansharut Daulah), aux Philippines et en Malaisie.
La menace des réseaux est bien réelle
Alors que le dernier drapeau de Daech ne flotte plus sur Baghouz, la communauté internationale est plus que préoccupée pour « l’après ». Le MI5 britannique s’inquiète du retour des combattants dans leurs pays d’origine, et l’affaire Shamima Begum, du nom de cette jeune fille britannique fille d’immigrés du Bengladesh partie rejoindre Daech à quinze ans et qui a suscité une intense polémique depuis que sa nationalité britannique lui a été retirée, montre que les Etats ont du mal à penser leur stratégie face aux « revenants ». Entre appels compassionnels (en particulier du fait du jeune âge de certains au moment de leur départ pour la Syrie et plus encore pour les enfants) et menace très réelle pour la sécurité intérieure ; entre respect du droit et indignation compréhensible des populations qui ont déjà essuyé nombre d’attentats sur leur sol, la question est épineuse. La chute de Daech ne fait donc que compliquer encore la donne.
En effet, certains combattants faits prisonniers ont reçu des instructions précises de la part de leur commandement : être incarcérés, mais garder l’idéologie intacte et garantir ainsi de pouvoir un jour se regrouper. Le 13 novembre 2018, commémorant les attentats du Bataclan et du Stade de France, l’ancien juge anti-terroriste Marc Trévidic déclarait que Daech était redevenu un groupe terroriste traditionnel. Avec ses combattants aux abois, l’EI n’allait plus conduire d’actions de grande envergure dans l’immédiat, sans que cela n’empêche qu’il le fasse d’ici deux ou trois ans. On peut appliquer les mêmes propos à la situation présente. Poussé à la clandestinité – et d’ailleurs avec des ordres précis pour ses combattants – Daech doit passer sous le radar, sans pour cela perdre de sa capacité de nuisance. Si l’Etat islamique comme territoire a fortement contribué à renflouer le capital symbolique de Daech auprès de ses sympathisants dans le monde entier, a contrario, il n’est pas dit que sa chute lui fasse subir le sort inverse. Au contraire. Le même Trévidic rappelait récemment que ces organisations terroristes ont la mémoire longue, fomentant des attentats jusqu’au jour où ils peuvent passer à l’action, parfois des années plus tard. Si Daech comme Etat-territoire peut ne plus galvaniser par sa soi-disant réussite (conquêtes fulgurantes et administration efficace), il n’en reste pas moins que nombre de combattants et de leaders ont réussi à fuir, ou iront en prison. Là, ils conserveront, intact, leur idéologie mortifère, et ils la feront prospérer auprès de nouveaux adeptes. On peut donc craindre une recrudescence du recrutement d’électrons libres prêts à se rallier à l’organisation islamo-terroriste clandestine.
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