Article rédigé par Boulevard Voltaire, le 25 février 2019
Source [Boulevard Voltaire] La tradition confère au ministre de la Justice le titre de Garde des Sceaux. Symboliquement, cette appellation souligne la situation particulière de ce ministre, qui doit faire preuve d’une grande prudence et d’une certaine réserve dans ses actes et ses propos. Le garde des Sceaux est, au sein du gouvernement, le gardien du droit, celui qui doit le plus veiller au respect des textes, et notamment de la Constitution. Il n’y a pas de troisième pouvoir en France, mais une autorité judiciaire : celle-ci est soumise au pouvoir exécutif à travers les parquets, mais les magistrats du siège sont réputés indépendants. Le ministre de la Justice gère son administration, mais il n’intervient pas dans les décisions de justice et prétend même ne pas donner d’instructions autres que générales aux procureurs.
Or, à deux reprises, Mme Nicole Belloubet a révélé à quel point elle était engagée idéologiquement au sein d’un exécutif qui se voulait, en apparence, constitué de techniciens et de politiques venus de gauche et de droite. Avec elle, le masque est tombé : le gouvernement actuel est « progressiste » au plus mauvais sens du terme, celui de l’alliance du fric et de la déconstruction, celui de la fin de l’ISF et du maintien de l’IVG. Si l’on peut se féliciter de la disparition, partielle, du tabou de l’impôt sur la fortune mobilière, et non immobilière, on ne peut que réprouver d’avoir fait de l’avortement un tabou du droit des femmes. Un gouvernement conservateur aurait supprimé totalement l’ISF et aurait restauré une politique familiale qui implique au moins le retour à la loi Veil, la limitation de l’IVG aux cas de détresse.
Premier dérapage du ministre : elle vient au secours de Marlène Schiappa en donnant quelque crédit à des propos qu’Alain Finkielkraut avait qualifiés d’ignobles et dont elle s’était piteusement excusée par la suite. Elle avait osé parler de « convergence idéologique » entre l’extrême droite et l’islamisme et, dans la foulée, entre la Manif pour tous et le terrorisme islamiste. Mme Belloubet, loin de prendre ses distances par rapport à une déclaration inconvenante et irresponsable, dit benoîtement, en maniant l’art de la litote, que « le phénomène ne peut pas être exclu » et « qu’elle ne sait pas si la convergence est absolue, mais que des ramifications peuvent exister ». En clair, cela signifie que des convergences existent !
On est en pleine dérive idéologique sectaire qui identifie l’ennemi, par amalgame, au pire des adversaires, à la manière dont les communistes usaient de « fasciste » pour désigner tout homme de droite. On voit l’idée : le conservateur sociétal est contre le mariage unisexe, donc il est homophobe, comme les islamistes qui exécutent les homosexuels. D’ailleurs, les slogans et la violence de la Manif pour tous ont poussé à l’augmentation des agressions homophobes. Islamistes, extrême droite et LMPT, même combat ! De même, à propos de Simone Veil, le pouvoir avait tenté d’amalgamer l’antisémitisme et l’opposition à l’avortement… Les manifestations contre le mariage unisexe n’ont jamais été violentes et n’ont jamais lancé d’appel à la haine contre les homosexuels. Elles ont exprimé une conception de la famille et de la société qui a été celle de notre pays jusqu’à une époque très récente, et qui doit être respectée, non diabolisée. Il en va tout autrement de l’islam, qui implique une condamnation de l’homosexualité et la peine capitale selon une stricte application de la charia. La critique raisonnée de l’homosexualité et, plus encore, de son inscription dans les normes sociales doit faire partie de tout débat démocratique et ne relève pas de l’homophobie. Si ce mot a le moindre sens, il ne peut concerner que les comportements violents verbaux ou physiques.
Second dérapage : la commission d’enquête sénatoriale, dans son rapport sur l’affaire Benalla, pointe un certain nombre de dysfonctionnements dans l’administration présidentielle et formule des préconisations. Cette fois, Mme Belloubet s’offusque, au nom de l’État de droit, de l’atteinte ainsi portée à la séparation des pouvoirs. Tous les constitutionnalistes ont pointé la faute magistrale de la juriste éminente devenue ministre : l’article 24 de la Constitution fait du contrôle de l’exécutif par le législatif un devoir, et cela implique, bien sûr l’examen de ses dépenses, comme le député René Dosière l’a fait pour l’Élysée à plusieurs reprises. C’est, au contraire, l’Assemblée qui n’a pas rempli sa mission dans cette affaire. Le Sénat n’empiétait pas sur l’enquête judiciaire puisque la mission concernait le fonctionnement de l’Élysée, et non les événements du 1er mai. Enfin, en annexe, la commission formule des propositions qui ne sont nullement des obligations. Si le Bureau du Sénat le souhaite, une plainte sera déposée en raison des soupçons de mensonge et de dissimulation à l’encontre de certaines personnes auditionnées. Or, il s’agit de délits sévèrement sanctionnés. La seconde assemblée a parfaitement joué son rôle, et notamment celui de contre-pouvoir. Ce qui est inquiétant, pour l’État de droit, et pour la démocratie, c’est que, justement, le garde des Sceaux ne puisse l’admettre !