Article rédigé par , le 04 janvier 2019
Source [Réinformation TV] Le pape Pie XI (1922-1939), né Achille Ratti (1857-1939), en Lombardie, est un pape majeur de la première partie du vingtième siècle. Il a développé une œuvre doctrinale et pastorale essentielle. Faire connaître ce pape, retracer son règne en un peu plus de 200 pages – format court qui condamne à faire beaucoup de choix et bien des résumés – est un beau défi, relevé de façon plutôt juste par Marcel Launay. La biographie de Pie XI, au format plus long, écrite par Yves Chiron est forcément plus complète. L’auteur, professeur à l’université de Nantes, est un historien spécialiste du catholicisme au vingtième siècle, et il connaît parfaitement son sujet. Relevons seulement çà et là une tournure d’esprit un peu moderne, avec un embarras perceptible lorsqu’en bien des occasions il est manifeste que Pie XI n’était ni un moderniste ni un progressiste, ni un « œcuméniste », mettant toutes les confessions chrétiennes sur un même plan égalitaire. Cette position, théologiquement juste, est à mettre au crédit de Pie XI.
Le gros apport historique de cette biographie car, chose inattendue dans ce format, il y en a un, est la question de l’encyclique inachevée de Pie XI condamnant l’antisémitisme racial en 1939 ; l’auteur a lu les projets et est obligé de convenir que cette encyclique, rappelant les condamnations théologiques traditionnelles du judaïsme tout en dénonçant les persécutions raciales, passerait très mal de nos jours…
Pie XI a eu à faire face à la période difficile entre deux guerres mondiales, marquées par de fortes tensions entre Etats, et de fréquents mouvements de persécution de l’Eglise catholique au sein des Etats. Si le terme lui-même est postérieur, Pie XI s’est en effet dressé face aux « totalitarismes » – régimes politiques dictatoriaux entendant diriger totalement les populations – de façon la plus nette à partir de 1937, que ce soit contre les tendances néopaganisantes à l’œuvre dans l’Allemagne nationale-socialiste, ce qui est souvent rappelé, ou contre le communisme athée et persécuteur, ce qui l’est hélas beaucoup moins et mériterait de l’être bien davantage à notre époque.
Avant d’être pape, le futur Pie XI avait été un cardinal diplomate. Dans la dernière décennie avant son élévation au souverain pontificat, il avait effectué de nombreuses missions diplomatiques dans les terrains très difficiles de l’Est de l’Europe, avec la reconstitution d’Etats nationaux, aux frontières très contestées, sur les ruines des empires austro-hongrois et russes, et le recul forcé de l’Allemagne, en 1918-1921. De façon générale, il a plutôt soutenu la renaissance de la Pologne, avec un peuple polonais très catholique, tout en cherchant à ménager les catholiques allemands, lituaniens, ukrainiens – pour la plupart de rite oriental – dans les confins de cet Etat. La tâche n’avait certainement pas été simple, mais avait été accomplie avec sérieux et efficacité, comprenant notamment une réorganisation rapide des diocèses catholiques tenant compte des nouvelles frontières nationales.
Aussi, avec ce passé de diplomate et au moins dans la première partie de son pontificat, a-t-il cherché assez systématiquement des ententes avec les régimes en place, afin d’assurer les droits des catholiques. Certaines négociations ont échoué, notamment avec l’URSS, du fait de l’athéisme agressif et systématique du régime communiste ; la condamnation solennelle du communisme en 1937 (encyclique Divini redemptoris) est aussi le fruit de cette expérience. Des accords formels ou informels ont été conclus avec des régimes persécuteurs de l’Eglise, avant comme après l’accord, comme en Yougoslavie et au Mexique. Ces échecs – en particulier le massacre des Cristeros au Mexique (1929) – auraient poussé logiquement Pie XI à plus de prudence par la suite.
C’est dans cette volonté générale de trouver des accords, et le souci d’assurer un statut international pour le Saint-Siège, qu’il faut placer les célèbres Accords du Latran (1929) avec le régime fasciste italien. Il s’est agi d’un accord avec l’Etat italien, réglant la question romaine pendante depuis 1870, nullement d’une sympathie pour le fascisme, comme on l’écrit trop souvent à tort aujourd’hui. Pie XI a au contraire protégé, en les intégrant à la bibliothèque vaticane, de nombreux opposants au fascisme, et réprimandé bien des aumôniers de mouvements fascistes, des prêtres multipliant alors les synthèses enthousiastes entre le catholicisme et le fascisme.
De façon générale, Pie XI a voulu combattre le nationalisme excessif, tels qu’incarnés selon lui dans l’Action française (1926) ou le national-socialisme allemand (encyclique Mit brennender Sorge, 1937), ce caractère excessif devant conduire à de nouvelles guerres. Ce n’est certes pas faux mais il importe de saisir que c’est cet excès, conjugué à l’idolâtrie agressive et belliqueuse de la race dans le cas allemand, qui est concerné par la condamnation pontificale, et non le nationalisme ou a fortiori tout patriotisme en soi comme on le soutient souvent à tort de nos jours.
La question de l’opportunité politique de la condamnation de l’Action française est une autre question : dans les faits, elle a démobilisé, divisé en France les catholiques les plus conservateurs et les plus militants, et a semblé, à tort stricto sensu, un encouragement aux tendances progressistes minant de l’intérieur l’Eglise catholique en France. Il aurait été bon aussi de rappeler les condamnations du laïcisme à la française, c’est-à-dire dans les faits la volonté obstinée de chasser Jésus-Christ et son Eglise de la Cité ; les condamnations de saint Pie X de 1905-1906 (encyclique Vehementer nos) restaient toujours valables, mais dans une société déjà gangrenée par la tyrannie médiatique de l’immédiateté – avec les journaux papiers et la radio bien avant internet -, il aurait été plus qu’opportun de les renouveler. Ces réflexions sont de notre fait, et manquent pour le moins dans la biographie.
Le futur Pie XI avait été un homme d’études, passionné de sciences, et familier des plus grandes bibliothèques de son temps. Il a su trouver le point d’équilibre dans les sciences bibliques, consistant à ne pas refuser les progrès archéologiques et historiques authentiques, permettant de mieux comprendre le contexte dans lequel avait écrit l’écrivain sacré, tout en refusant les reconstructions hypothétiques gratuites et finissant par toucher à la foi et au dogme des exégèses modernistes. Ses recherches intellectuelles ont toujours eu pour but de contribuer à la restauration de la Cité catholique.
La volonté de reconstruire une Cité catholique a été essentielle pour Pie XI, qui s’est appuyé sur l’ensemble d’associations du mouvement dit de l’Action catholique, mises en place sous son autorité. Très nombreuses, elles ont compris l’Action catholique générale, des familles, des jeunes, des ouvriers, des paysans, des marins, etc.…Cette Action catholique a souvent été mal comprise en son temps, et l’a été encore davantage par la suite, du fait de ses évolutions très nettes dans les années 1950-70 vers la démocratie-chrétienne, ou le progressisme chrétien, alors que telles n’étaient en aucune manière les idées de Pie XI à son sujet.
Des catholiques exemplaires, des laïcs, mais strictement encadrés par des prêtres, devaient rayonner dans l’ensemble de la société, leur action positive portant témoignage de leur foi et de la justesse de leur doctrine catholique. Aussi les membres de l’Action catholique devaient-ils être, en principe, rigoureusement formés à la connaissance de la doctrine sociale de l’Eglise, et agir selon ses principes. Les graves négligences postérieures dans cette formation ont été une cause majeure des dérives en ce domaine, dérives contraires à la pensée de Pie XI. Relevons que l’auteur de la biographie a plutôt tendance à y voir des évolutions logiques et positives de son point de vue, à tort selon nous.
Cette biographie évoque particulièrement le contexte européen, le plus familier pour le lecteur français. Ne sont toutefois pas oubliés les intérêts fondamentaux de Pie XI pour les missions sur les autres continents, en particulier en Afrique et en Asie. Le point de vue est encore celui du prosélytisme le plus explicite, très affaibli par la suite avec Vatican II (1962-1965) ou les Rencontres interreligieuses d’Assise (la première en 1986) : il s’agissait de sauver des ténèbres des paganismes des dizaines de millions d’âmes. Pie XI a justement favorisé la promotion de clergés indigènes, les mieux à même d’évangéliser leurs peuples. Il en est résulté quelques tensions avec les autorités coloniales, en particulier françaises, soucieuses de maintenir un encadrement missionnaire venu de métropole, afin de mieux assurer le contrôle politique français, ou l’influence hors du domaine colonial, sur les populations concernées.
Fort justement, Pie XI a vu avant tout l’intérêt de l’Eglise et des âmes, et a peut-être anticipé l’évolution lointaine vers la décolonisation. La biographie apporte à la connaissance historique quelques pages passionnantes sur les catholiques et les missions catholiques en Extrême-Orient, région traversée de guerres dès le début des années 1930, avec une présence catholique très minoritaire mais effective en Chine, en Mandchourie, au Japon. Pie XI aurait veillé dans cette région à gérer au mieux une position des plus difficiles : comment maintenir des relations correctes avec des gouvernements chinois et japonais antagonistes ? En outre, il a fallu tenir compte du danger communiste en de nombreuses régions de Chine, au Sud puis au Nord, et Pie XI a justement considérés les communistes chinois comme des persécuteurs et ennemis absolus de l’Eglise ; l’Histoire ne lui a vraiment pas donné tort, et il serait bon de s’en souvenir à notre époque où le pape François paraît tout céder au gouvernement communiste chinois actuel, toujours officiellement matérialiste et le revendiquant.
Cette biographie de Pie XI se lit en quelques heures et propose une vision plutôt juste de ce pape, son action et sa doctrine. Elle invite certainement à relire les encycliques de ce pape majeur, disponibles maintenant directement en ligne, à commencer par la fondamentale Quas primas (1925) sur le Christ-Roi. Pie XI a été un pape politique, aux choix a posterioriparfois discutables, mais cette dimension politique même a toujours été mêlée et soumise à la doctrine catholique la plus authentique.