Article rédigé par Constance Prazel, le 14 décembre 2018
Le 11 novembre dernier, à la faveur d’une mascarade de commémoration, le million de Français morts au champ d’honneur était bafoué par une cérémonie sans âme et gonflée d’idéologie, et à travers eux, tous leurs descendants si fiers d’honorer la mémoire des sacrifiés pour un pays qu’ils aiment.
Pour célébrer l’armistice, plusieurs projets de cérémonie et d’hommages avaient été proposés à Emmanuel Macron. L’un d’entre eux tout particulièrement, qui l’emportait par sa dignité et sa beauté : une longue cohorte de lumières sur les Champs-Elysées, au cours de laquelle les Français auraient porté, en masse, la fragile bougie représentant l’un de leurs anciens disparus. Au lieu de cela, le président préféra une avenue vide et sécurisée, quelques jeunes en blouson vert, et le chant africain d’une militante anti-Trump. Une semaine plus tard, le mouvement des Gilets Jaunes se répandait à travers tout le pays, pour finir par prendre d’assaut ces mêmes tristes Champs-Elysées. De la victoire escamotée à la colère populaire, il n’y avait qu’un pas et ce n’est pas un hasard si l’un a mené à l’autre.
Le mouvement des Gilets jaunes s’installe et dure, et pour la première fois depuis bien longtemps, les journalistes, tous organes confondus, sont obligés de faire leur travail, et d’abandonner leurs schémas d’analyser prêts-à-consommer distillés par les agences de presse. Rien ne colle. Rien n’est tout fait classable, étiquetable, stigmatisable. Comme dans la parabole du bon grain et de l’ivraie, il est impossible de décerner aux révoltés des certificats de bonne conduite et de respectabilité, de distinguer les bons des méchants, de lier avec assurance les bottes de ceux qu’il faudrait jeter au feu de l’opprobre publique.
Le plus surprenant de tout cela est que, si la mobilisation ne faiblit pas, le soutien populaire, lui non plus, ne va pas en s’amenuisant. Il y a eu des morts, de la casse, beaucoup de casse, des feux et des destructions, du vandalisme, et pourtant la cote de popularité des gilets fluos se maintient à des niveaux que les présidents de la République n’atteignent plus depuis belle lurette.
Qui eut cru que « l’écologie » serait l’étincelle qui mettrait le feu aux poudres de la descente aux Enfers d’Emmanuel Macron ? En politique, la chute n’intervient jamais pour les raisons que l’on aurait pu identifier en première analyse. C’est la secrète alchimie des révoltes. Les problèmes fiscaux en France ne datent pas de Macron, c’est le moins que l’on puisse dire. Les fins de mois difficiles, l’essence à un coût exorbitant, la paperasserie étouffante, non plus. Mais il y a un jour où le point de non-retour est atteint, car on ne piétine pas indéfiniment le cœur intime d’une nation.
Pays faiblement encarté, au syndicalisme à la fois surpuissant et inexistant, la France n’en est pas moins un pays à l’âme éminemment politique. Emmanuel Macron a été élu sans aucun soutien populaire en 2017. Seule une poignée d’électeurs déracinés des grandes villes, adeptes d’une culture mondialisée s’incarnant dans des clips bâtis à coup de banques d’images américaines, y croyait vraiment. Aujourd’hui Macron paie ce déficit criant d’enracinement. En France l’élection présidentielle est la rencontre d’un homme et d’un peuple. Macron a été élu sans le peuple, et le peuple entend se rappeler à lui.
En réponse au mouvement, Emmanuel Macron, dans son allocution de lundi, a déployé toute la gamme des notes de la compassion sirupeuse et mal placée. Un président pleurant sur la veuve et l’orphelin pas crédible pour trois sous... Les revendications des Gilets Jaunes étant hétéroclites, il aurait fallu pour y répondre intelligemment une vision. Au lieu de cela, on a eu des annonces de « fond », qui font qu’on va se rapprocher – encore un peu plus – du fond. Des bricolages à la petite semaine, des rééquilibrages bancals sur des lignes budgétaires à Bercy, et rien qui s’attaque aux vrais malaises : une France qui doute, l’endettement sur l’avenir, le Pacte des migrations à l’horizon.
A quand le retour de la politique, de la vraie ?
Constance Prazel
Déléguée générale de Liberté politique