Article rédigé par Père Michel Viot, le 10 décembre 2018
Le vêtement a toujours un sens symbolique, à différents degrés et est porteur d’indications. Une d’entre elles me paraît simple : la réalité présente, le gilet, même tout droit à la veste ! Cela dit des flous subsistent. Les porteurs de gilets jaunes sont fort heureusement loin d’appartenir au même genre de citoyens. D’ailleurs la couleur jaune a quelque chose d’ambigu qui tient autant de l’éclat du soleil que des cornes des cocus. Quant à la veste qu’on prend, peu importe la couleur, elle est toujours signe de défaite. La question est de savoir quelle sera la quantité des porteurs de vestes à l’issue des événements terribles que nous vivons. Et qui, en définitive les portera.
C’est parce que je vois arriver depuis longtemps ces tristes choses, que dès leurs signes précurseurs, j’en ai compris l’extrême gravité. Je n’en n’ai aucun mérite, là où j’ai été placé pendant un certain temps, cela crevait les yeux. Fallait-il risquer une parole publique sur un blog? Pour moi, compte tenu de la spécificité du phénomène et de son caractère singulier, il fallait attendre une parole épiscopale, qui était loin d’être évidente, parce que très difficile à exprimer, et qui devait intervenir au moment opportun.
Voilà qui est fait par Monseigneur Michel Aupetit, Archevêque de Paris, diocèse au service duquel je travaille maintenant. Il a dit tout ce qu’il fallait dire dans un document clair et concis, intitulé « L’urgence de la Fraternité, ». Tous les catholiques se doivent de le lire et de le méditer, comme aussi tous ceux qui vivent en France, français ou étrangers, quelle que soit leur religion ou leur absence de religion.
Je ne cite que deux passages, mais tout, absolument tout, doit être lu et médité. « Notre pays souffre d’une incompréhension généralisée. L’individualisme devient la valeur absolue au détriment du bien commun qui se construit sur l’attention aux autres et en particulier aux plus faibles. Les valeurs de la République que sont la liberté et l’égalité sont parfois détournées par des réseaux d’influence qui réclament des droits nouveaux sans égard pour les plus vulnérables. »
Notre Archevêque pointe du doigt la source de nos malheurs : l’individualisme forcené de la philosophie des Lumières, qui a provoqué une révolution au profit d’une seule classe sociale, la bourgeoisie d’affaires et d’argent. Oh bien sûr, sa déclaration des droits de l’homme et du citoyen prônait la liberté et l’égalité (en 1789, on n’avait pas encore osé y joindre la fraternité), mais ses mots n’étaient en vérité que des masques, parce que fondés sur la seule nature humaine, sans aucune référence à Dieu. Les réalités belles et nobles qu’ils recouvraient étaient dès leur proclamation détournées de leur sens « sans égard pour les plus vulnérables. ». La loi Le Chapelier (1791) le prouva en supprimant les corporations et interdisant pour longtemps aux ouvriers français de se syndiquer. Le Pape Pie VI ne s’y trompa pas en condamnant dès 1791 ce type de liberté et d’égalité. (Bref Quod aliquantum).
Et voici le deuxième extrait : « Le devoir primordial de l’Etat est de garantir pour chacun les moyens d’entretenir sa famille et de vivre dans la paix sociale. Il nous faut reconstruire une société fraternelle. Or pour être frères, encore faut-il une paternité commune. La conscience de Dieu le Père qui nous apprend à nous « aimer les uns les autres. » a façonné l’âme de la France. L’oubli de Dieu nous laisse déboussolés et enfermés dans l’individualisme et le chacun pour soi. ». Là encore, c’est le poison de la révolution, aussi lent que mortel, qui est dénoncé. Depuis Pie VI, tous les Papes l’ont vu et particulièrement condamné quand les gouvernements que connut la France , au cours du 19ème siècle, reprirent sans ménagement le travail de sape anti chrétien de la révolution. Pour faire bref je me limiterai à Pie X condamnant la loi de séparation des églises et de l’Etat (1905) dans son encyclique « Vehementer nos. » de 1906, citant « Immortale Dei. » de son prédécesseur Léon XIII (1885). « Aussi, les pontifes romains n’ont-ils pas cessé, suivant les circonstances et selon les temps, de condamner la doctrine de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Notre illustre prédécesseur Léon XIII, notamment, a plusieurs fois et magnifiquement exposé ce que devraient être, suivant la doctrine catholique, les rapports entre les deux sociétés. « Entre elles, a-t-il dit, il faut nécessairement qu’une sage union intervienne, union qu’on peut non sans justesse, comparer à celle, qui réunit dans l’homme, l’âme et le corps. ». Et il ajoute encore « Les sociétés humaines ne peuvent pas, sans devenir criminelles, se conduire comme si Dieu n’existait pas ou refuser de se préoccuper de la religion comme si elle leur était chose étrangère ou qui ne pût leur servir de rien… Que si en se séparant de l’Eglise, un Etat chrétien, quel qu’il soit, commet un acte éminemment funeste et blâmable, combien n’est-il pas à déplorer que la France, se soit engagée dans cette voie… la France, dont la fortune et la gloire ont toujours été intimement unies à la pratique des mœurs chrétiennes et au respect de la religion. ».
Ainsi, par la voix de l’Archevêque de Paris, dans son style propre, et c’est heureux, en des formules adaptées à notre situation actuelle, sont rendues présentes les paroles des Successeurs de Pierre qui mettent en garde les sociétés qui prétendent se construire en voulant se passer de Dieu, la France étant hélas visée en premier, mais en toute justice, parce qu’elle a failli à sa mission particulière. Par son union à l’enseignement des Papes (et j’aurais pu poursuivre mes citations jusqu’à François inclus) ainsi qu’au nom de la collégialité épiscopale, la voix de notre évêque en communion étroite avec cet ensemble qui constitue notre Tradition, exprime la vérité infaillible du Magistère romain.
Les catholiques doivent en tout premier lieu en tenir compte. En cette période dangereuse, pendant laquelle tout chrétien a l’obligation d’inciter au calme et à la réflexion, il faut donc se garder de jeter de l’huile sur le feu et par conséquent remettre à plus tard des discussions de fond qui seront inévitables. Tout recours à la violence ne peut donc qu’être fermement condamné par l’Eglise. Il vaut mieux avoir un gouvernement qu’on estime mauvais qu’une révolution dans laquelle on placera des espoirs d’une vie meilleure. La nocivité d’un gouvernement est plus facile à arrêter que le rouleau compresseur d’une révolution, toujours alourdi par une guerre civile. D’ailleurs il existe des moyens démocratiques de sortie de crise si l’on veut empêcher que le peuple s’exprime dans la rue. C’est le recours aux urnes. Dans un état de droit, c’est la seule façon pour le peuple de s’exprimer. Que présenter au vote ? Ce n’est pas mon affaire mais celle de ceux qui ont en charge la vie politique, électeurs et leurs représentants attitrés, et élus ou candidats à l’élection, car manifestement, les dernières consultations de ce genre ne semblent rien régler, et je n’ai pas le sentiment qu’il s’agisse de mauvaise humeur passagère.
Il faut prendre conscience qu’il y a en France une majorité de gens qui peinent de plus en plus , qui se sentent injustement taxés de toutes les façons possibles et qui dans le même temps sont témoins d’abus et de tricheries qui leur font douter de nos institutions.
De plus, nous avons été témoins, lors de ces manifestations de mécontentement populaire, de formes de violence accrues de la part de personnes qui n’avaient pas grand chose à voir avec des citoyens qui revendiquaient. Ils relevaient plutôt du grand banditisme. Depuis le début de l’affaire des gilets jaunes, et plus précisément de l’entrée en scène des casseurs porteurs de ce vêtement, les très hauts responsables de nos forces de l’ordre, qui sur le terrain ont manifesté, comme d’habitude, un grand courage et un grand sang froid, n’ont pas semblé en prendre la mesure. Je dis simplement « n’ont pas semblé. », parce que l’on a peut-être pas tenu compte de leurs avis. Un seul exemple : j’ai été effrayé pour nos policiers dimanche dernier quand je les ai vu charger les casseurs de l’Arc de Triomphe. Comment ces derniers ont-ils parvenir jusque-là ? Comment, sachant parfaitement de quelle sorte de personnes il s’agissait, autour du lieu où repose le soldat inconnu, a-t’on pu ordonner à un si petit nombre de policiers, qui ne feraient pas usage de leurs armes, d’aller au contact direct de criminels et de voleurs ? Ce n’est pas jeter de l’huile sur le feu que de poser ces questions, que beaucoup se posent. C’est au contraire, essayer d’empêcher qu’on le fasse si par malheur cela devait continuer. Car il y a encore pire, avec les comparutions immédiates et les condamnations, si on peut les appeler ainsi ! On savait que cela ne coûtait pas cher de vouloir faire brûler des agents des forces de l’ordre dans leur voiture. On a le sentiment que l’on peut continuer en en tuant devant l’Arc de Triomphe. Quant à la flamme du soldat inconnu, faudra-t-il que l’on revienne faire la cuisine dessus ou autre chose pour qu’on s’émeuve de la manière dont certains magistrats jugent au nom du peuple français ! Il est vrai qu’en ce moment, on juge une dame magistrat responsable du célèbre mur des cons. Peut-être veut-on créer un climat d’indulgence ?
Mais ce n’est certainement pas ainsi qu’on rétablira la fraternité dont nous avons besoin. Les institutions qui nous régissent doivent retrouver leur fonctionnement normal, qu’elles ont perdu depuis plus longtemps que les dernières présidentielles. Les mauvaises décisions, tout autant que les critiques démagogiques, voire les silences calculés, ont contribué à la dégradation que nous subissons aujourd’hui.
Cela dit, à supposer que les choses rentrent de l’ordre, car elles peuvent ne faire que semblant, un problème demeure, celui posé par Monseigneur l’Archevêque de Paris. Jusqu’à quand va-t-on pousser la chimérique entreprise qui consiste à vouloir une société sans Dieu ? Cela ne signifie pas imposer une religion à qui n’en veut pas. Il s’agit simplement, tout en respectant la nécessaire neutralité de l’Etat, d’accepter que pour un certain nombre d’hommes et de femmes, il y ait droit et possibilité de se référer à Dieu pour défendre la liberté de leur conscience dans leurs choix moraux et sociaux en matière de lois. L’histoire nous a montré qu’en France, cela a été possible avec les juifs et les chrétiens de différentes confessions. Il est vrai que leur spiritualité fait partie de notre culture, comme de celle de l’Europe. Alors je connais bien l’objection : l’Islam ! Oui là il y a problème. Mais il n’est pas en soi insoluble. Ceux qui actuellement prétendent le régler en France s’y prennent en tout cas de la pire des façons. Avec le nombre de musulmans existant en France, on ne peut esquiver la question de l’organisation de leur culte, si l’on veut redonner à Dieu sa place dans notre société. Et l’on n’en prend pas le chemin parce que l’on part sur de fausses pistes dont le titre même « d’Islam de France » illustre toute l’erreur. Avec Odon Lafontaine, j’ai proposé dans un livre [1]une analyse et des esquisses de solutions. D’autres l’ont fait aussi, n’allant pas, tout comme nous, dans le sens du dialoguisme et de l’islamo-compatibilité. Eux, comme nous , n’avons jamais pu avoir de débat. On a l’impression que certains voudraient se servir de l’Islam pour bloquer cyniquement toute discussion sur la place des religions dans la société, et qu’il vaut mieux mourir égorgé, volé, réduits à la misère et au chômage, etc… pourvu que ce soit en laïc et en républicain ! Malgré mon respect pour les gilets jaunes pacifiques, je pense que je ne revêtirai pas pour autant cette tenue. Le principe que je défends ne l’exige pas à mes yeux. Mais il est d’autres signes extérieurs qui peuvent rallier et rassembler les chrétiens.
En ce 8 décembre, Solennité de l’Immaculée Conception, souvenons-nous, nous catholiques de la royauté de Marie sur la France, voulue par Louis XIII, confirmée par Pie XI, elle s’impose à nous aujourd’hui. Au moins chaque 15 août, Solennité de l’Assomption, couvrons la terre de France de processions, et prenons en le ferme engagement dès ce prochain Noël, quand nous célébrerons la gloire de Celui qui pour venir nous sauver a consenti à naître de l’humble Vierge de Nazareth. Ce petit enfant de Bethléem est aussi Notre Dieu, le Christ Roi.
[1]Père Michel Viot et Odon Lafontaine « La Laïcité mère porteuse de l’Islam ? » Préface de Rémi Brague de l’Institut. Editions Saint Léger. Collection Les unpertinents 2017