Article rédigé par Constance Prazel, le 30 novembre 2018
Il y a quelques jours se tenait la rentrée de Sens Commun, manifestation à laquelle participait Laurent Wauquiez qui y défendit l’idée d’une droite ouvertement conservatrice. A la faveur de ce rassemblement, une rumeur qui s’amplifie et se précise, que nous évoquions la semaine passée : François-Xavier Bellamy, qui vient de publier un nouvel essai, Demeure, prendrait la tête de la liste des Républicains pour les élections européennes.
On pourrait se réjouir d’y voir un signe de la reconquête de l’espace politique par une « droite de conviction », qui « renouvelle ses idées », selon les termes de Bruno Retailleau, avec l’union des droites à l’horizon. Qu’il nous soit permis ici d’exprimer quelques inquiétudes sur les espoirs suscités par l’adjoint au maire de Versailles.
François-Xavier Bellamy, professeur de philosophie à l’ENC de la rue Blomet, a conquis ses lettres de noblesse à travers des écrits, qui, pourtant, ne révolutionnent pas la pensée de droite. Indépendamment de son premier ouvrage, ses prises de position brassent des généralités qui ont le mérite de ne fâcher personne, quand elles ne caressent pas avec application le politiquement correct dans le sens du poil.
François-Xavier Bellamy s’est fait en effet une spécialité d’aborder les sujets qui mettent tout le monde d’accord (hommage au Colonel Beltrame, réflexion sur l’importance de la culture), tout en évitant les sujets qui fâchent : le problème de l’islamisation en France, par exemple, est quasiment absent de ses réflexions. L’identité est chez lui un mot flou, comme l’immigration ou même l’histoire ; il n’est pas plus à l’aise avec le mot de « conservateur » qui tourne autour de sa personne. A peine esquisse-t-il celui de « communautarisme », toujours au pluriel, pour être bien sûr de ne stigmatiser personne. Quand on lui rappelle son engagement pour LMPT, il rappelle qu’il lutte contre les « communautarismes de toutes sortes. »
Pour François-Xavier Bellamy, l’identité est un « lieu qui est la condition de l’ouverture. » Est-ce avec des assertions de ce type que l’on peut espérer faire entendre une voix forte dans notre monde en décomposition ? « Je ne remets pas en cause l’immigration, au contraire, je crois que les échanges entre les cultures ont toujours été féconds, je crois aussi que nous avons un devoir envers les plus malheureux » (intervention sur Soir 3, 7 octobre 2018). Des propos confondants de bonne conscience et d’irénisme. Mais quand ils sont prononcés par le philosophe de la droite, le porte-parole du « conservatisme apaisé », pour reprendre les mots de Jean-Paul Enthoven, tout critique doit s’incliner.
Au fil des dernières interventions médiatiques de François-Xavier Bellamy, on voit se dessiner le portrait d’un penseur tétanisé à l’idée de se fâcher avec quelqu’un. A l’écrit, domine la rhétorique de l’incertitude, tandis que fourmillent les formules du type « on n’est pas sûr », « rien n’est certain », et que se multiplient les points d’interrogation. L’interrogation est chose bonne car, comme le disait Péguy, rien de pire qu’une pensée toute faite. Mais une pensée qui ne s’assume pas ne donne rien de bon en politique, surtout dans la situation de crise qui est la nôtre. On parle beaucoup de sens, mais pour aller où ? Bellamy pose la question, mais se garde bien d’y répondre. Ou plutôt si, on apprendra que l’objectif est de « parler ensemble », qu’il faut « sauver la possibilité même de vivre dans ce monde. » Le renouveau peut-il se contenter de formules du type : « La politique devrait être l’occasion d’élaborer une vision partagée » ? (article paru dans Les Echos). Un journaliste de FranceTV info revenant sur son passage chez Soir 3 souligne d’ailleurs, bien humblement, que le but que se fixe Bellamy « n’est pas toujours identifié. »
« Je n’ai pas voulu stigmatiser quelque chose », « je ne suis pas là pour juger », « je veux tenter de comprendre ». Un abus de précautions oratoires, de « peut-être » et de « il me semble », une volonté de tout tenir, tout le temps, jusqu’à la saturation. Il nomme son livre « Demeure », mais explique qu’il ne faut « surtout pas arrêter le mouvement. » (France Inter). C’est un « défi. » Certes.
La rhétorique du flou peut parfois être franchement néfaste, comme c’est le cas dans une interview récente sur France Inter dans laquelle Bellamy aborde le sujet « facile » (pour son milieu d’origine) de la PMA : quand le journaliste l’entraîne sur le terrain mouvant de la conquête de nouveaux droits, il insiste lourdement sur le fait qu’il ne représente pas LMPT (ce qui est dommage, c’est que nombreux sont ceux qui, au sein de LMPT, sont persuadés qu’il les représente !) , et nous explique que « nos désirs sont légitimes en eux-mêmes » (ce qui est quand même sujet à caution !). Bien plus, il ramène le débat sur la loi Taubira à la seule question de la filiation, comme si l’union de deux hommes ou de deux femmes ne devait pas présenter, intrinsèquement et fondamentalement, pour un penseur catholique, un problème radical et un point de non-retour, autour de la notion d’altérité sexuelle. La question, nous dit Bellamy, n’est pas celle de « l’égalité », mais celle de « notre capacité à habiter vraiment nos corps. » Nos politiques seront bien en peine quand il s’agira d’orienter leur projet politique vers l’action sur cette base.
Quand le journaliste lui demande de se positionner entre « droite Pécresse », et « droite Wauquiez », Bellamy botte en touche en rendant un hommage à Emmanuel Macron et à sa capacité à dépasser les clivages qu’on a du mal à écouter sans s’étrangler. Ali Baddou pointe ses contradictions, au mot près, et salue un numéro de grande maîtrise de la langue de bois.
Exercice délicat que de vouloir philosopher et faire de la politique tout à la fois...
Constance Prazel