Soyez écolo, mangez de la viande !
Article rédigé par Le Point, le 14 novembre 2018 Soyez écolo, mangez de la viande !

Source [Le Point] On nous incite souvent à réduire notre consommation de viande pour réduire notre empreinte carbone. Mais passer au tout-végétal serait en fait catastrophique.

La viande, nous dit-on, est mauvaise pour la planète. Elle cause le réchauffement climatique, détruit des forêts, détourne une part substantielle des céréales destinées à l'alimentation humaine, le tout pour produire une viande que seuls les riches Occidentaux peuvent se permettre de consommer. En 2002, l'iniquité de cette situation aura conduit George Monbiot à déclarer : « Le véganisme est la seule réponse éthique à ce qui est probablement le problème de justice sociale le plus urgent au monde. » Monbiot est ensuite revenu sur ses dires, mais on ne cesse depuis de nous répéter que, pour sauver la planète, il faudrait diminuer radicalement notre consommation de viande. Face à ce qui semble être un consensus universel sur le péché de chair animale, existe-t-il vraiment un argument écologique en faveur de la viande ? Je pense que oui, et je pense aussi que nous devrions en parler. Car non seulement le débat public est extrêmement partial, mais le risque du message anti-viande est de détruire ce même environnement qu'il prétend protéger.

Commençons par l'un des chiffres les plus fréquemment serinés pour justifier une réduction de la consommation de viande : l'idée que 100 000 litres d'eau seraient nécessaires pour produire un kilo de bœuf. Un chiffre conséquent, vu qu'il multiplie par plus de 1 000 les exigences d'un kilo de blé. Avec des magazines aussi sérieux que le New Scientist citant sans réserve cette estimation, il n'est pas surprenant qu'elle soit aussi populaire. Prise au premier degré, elle est évidemment choquante et pourrait, à elle seule, dissuader des centaines de milliers d'individus de manger de la viande. 

Sauf qu'il existe diverses estimations de cette quantité d'eau nécessaire à la production d'un kilo de bœuf, et qu'elles ne peuvent pas toutes être justes. Les 100 000 litres – la fourchette la plus haute – proviennent d'un agronome, David Pimental (dont il sera plus amplement question), mais d'autres experts ont aussi voulu faire ce calcul, chacun en partant d'hypothèses et de positions politiques différentes. Dans son livre Meat, A Benign Extravagance, Simon Fairlie, ancien rédacteur en chef de The Ecologist, déconstruit méticuleusement ce chiffre. Il fait valoir qu'un bœuf moyen, élevé pendant 500 jours avant de partir à l'abattoir, génère 125 kilos de viande. Du total de Pimental, nous pouvons calculer qu'un tel animal a besoin de 12 millions de litres d'eau au cours de sa vie – soit un terrain de 0,4 ha noyé sous 3 mètres d'eau. Sauf qu'une vache ne boit en moyenne que 50 litres d'eau par jour, ce qui nous mène à 200 litres par kilo, soit à peine 0,2 % du chiffre de Pimental. Comment l'agronome en est-il arrivé à une estimation aussi extravagante ?

Bizarrement, parce qu'il a inclus toute la pluie tombée sur les terres sur lesquelles le bœuf a grandi, en ignorant le fait que ces averses auraient eu lieu que la bête soit en dessous ou pas. Et pour grossir encore un peu plus sa baudruche alarmiste, Pimental s'est basé sur la pluviométrie la plus extrême qu'il a pu trouver – et sur des bovins de ranch qui arpentent des surfaces bien plus conséquentes que les troupeaux européens moyens. Après avoir patiemment démonté les statistiques d'autres auteurs, Fairlie conclut : « La quantité d'eau consommée par une vache à viande semble une fonction de votre position politique. »

L'histoire de l'écriture du livre de Simon Fairlie nous en dit énormément de l'idéologie sous-jacente aux AVPE (anti-viande prétendument écolos). Fairlie a passé dix ans dans une coopérative de permaculture. L'exploitation faisait 5,2 hectaress dont seuls 7 % étaient cultivés. Dans la communauté, tout le monde œuvrait à cette tâche, qui leur fournissait le gros de leurs légumes et une partie de leurs fruits. Dans les 4,8 hectares restants, Fairlie était quasi seul à s'occuper de cochons et de vaches à lait. Mais à cause du végétarisme dominant dans la communauté, Fairlie allait constater que, si ses camarades étaient heureux de consommer son fromage, ses yoghourts et son lait, ils ne touchaient pas aux 350 kilos de viande, graisse et saindoux issus chaque année de ses animaux. Ce que Fairlie vendait sur les marchés. Ce qui aurait pu générer un revenu confortable, si la communauté ne dépensait pas dans les 220 euros par semaine en graisses et protéines alternatives importées du monde entier : tahini, noix, riz, lentilles, beurre de cacahuètes et soja. Une ironie que Fairlie était loin d'ignorer.

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