Article rédigé par Roland Hureaux, le 07 novembre 2018
Source [Roland Hureaux] Jean-Paul Mélenchon a raison de s’indigner du traitement qui lui a été infligé par la justice : perquisition au petit matin sans interrogatoire préalable pour un grief qui relève manifestement de la cuisine politique et non du droit commun.
Cette affaire rappelle fâcheusement l’affaire Fillon : un grief mineur largement médiatisé(qui n’a pas eu de suite judiciaire à ce jour) où l’instrumentalisation de la justice ( le parquet financier en l’occurrence) a permis d’éliminer un adversaire de Macron à l’élection présidentielle, tenu pour favori jusque-là . Si, à la lettre, les poursuites contre Fillon n’étaient pas illégales, elles transgressaient dans leur esprit un de principes le plus fondamentaux de la tradition républicaine : l’abstention de la justice judiciaire dans les affaires administratives et a fortiori politiques. Elle découle de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui prescrit la séparation des pouvoirs , précisée par la loi des 16 août 1790 et rappelée par la loi du 16 fructidor an III :«Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d'administration, de quelque espèce qu'ils soient, aux peines de droit», des actes et donc de la désignation des autorités, y compris par l’élection . Ces dispositions ont inspiré, entre autres, l’article 110 du corps électoral issu de la loi du 31 mars 1914 et celle du 2 mars 1982.
La justice instrumentalisée
Aujourd’hui, le risque que la France insoumise passe avant En marche aux prochaines européennes apparaît grand compte tenu du discrédit du président. Il fallait donc casser le chef de cette mouvance comme on a cassé Fillon.
La justice n’ a pas procédé autrement avec Marine Le Pen qui risque de ne pas pouvoir présenter une liste aux européennes en raison des sanctions financières infligées par la justice au Front national. Le Modem fait aussi l’objet de poursuites, moins acharnées certes, mais qui empêchent François Bayrou d’entrer au gouvernent , ce qui arrange sans doute le président.
Des principaux candidats à la dernière élection présidentielle, seul Macron est exempt de poursuites judiciaires lors même que les obscurités du financement de sa campagne dépassent largement celles de ses rivaux .Plusieurs de ces actions ont été été lancées par la présidence du Parlement européen dont le sens démocratique n’est pas non plus le fort.
Que ne dirait-on pas si la justice russe se comportait comme la nôtre ?
Les gens de droite qui se réjouissent assez stupidement des malheurs de Mélenchon n’ont pas compris qu’ils sont embarqués dans la même galère[1].
Dans tous les cas évoqués : Fillon, Mélenchon, Le Pen, Bayrou, les poursuites sont liées à l’activité politique ou électorale et non, comme on le laisse entendre à l’opinion, à des agissements crapuleux de droit commun. Le principal grief est l’utilisation d’attachés parlementaires pour le compte de partis politiques. Quant au fond, ce grief est d’autant moins fondé que les fonctions d’attaché parlementaire et de cadre de parti politique sont parfaitement fongibles : il n’y a pas d’un côté les attachés qui assisteraient l’élu dans le noble travail législatif et de l’autre les mauvais permanents au service d’intérêts partisans et donc sordides. La constitution (article 4) reconnait le rôle des partis politiques dans la démocratie. Le uns et les autres ont à peu près la même mission : assurer la logistique des élus pour leur permettre d’accomplir leur mission, que ce soit en les documentant, en tenant leur secrétariat, et même en préparant les élections notamment par l’élaboration de programmes. Seule une réglementation artificielle marque une limite entre les deux fonctions. Si la limite est franchie, tout au plus pourra-t-on invoquer l’irrégularité comptable mais sûrement pas le délit ou le crime. Les élus ont une tâche lourde et prenante ; il est normal qu’ils soient assistés ; ne pas cloisonner entre les différents aspects de cette assistance, c’est déjà leur faciliter le travail.
Détournement de procédure
Il y a détournement de procédure à utiliser des moyens qui sont manifestement faits pour la répression du grand banditisme et non la correction d’imputations comptables : perquisition au petit matin, saisie conservatoire des comptes bancaires etc.
Le grief d’emploi fictif parait plus sérieux mais il est très difficile à établir comme on l’a vu dans l’affaire Fillon : quand l’épouse du député parle dans une boulangerie avec une électrice qui lui raconte ses malheurs, elle n’est pas en dehors de sa mission d’assistant parlementaire. Et après tout, si un élu veut se priver des services que l’Etat finance, n’en sera-t-il pas le premier puni ? On en dira autant du griefs de surfacturation des frais de campagne électorale, lui aussi incertain, invoqué à l’encontre de Mélenchon. Le juges qui s’acharnent sur ce sujet montrent qu’ils ne savent pas ce qu’est une campagne électorale : une épreuve extrêmement intense où du souci d’aller chercher des voix, pas une minute ne saurait être distraite ; aucun candidat vraiment engagé n’a jamais eu le temps d’éplucher les factures au retour d’un grand meeting. S’il s’agit d’argent, une procédure purement administrative et financière devrait suffire.
Quant à l’accusation faite à Marne Le Pend’incitation aux actions terroristes, qui ne voit combien elle est absurde ? La justice n’a pas craint de se ridiculiser en prescrivant même une expertise psychiatrique. Il est plus qu’évident que si l’élue a publié sur son site des scènes d’exécutions de Daech ce n’était pas pour soutenir le djihadisme mais, comme elle l’a bien dit, pour réfuter l’accusation ignoble de M. Bourdin assimilant le Front national au terrorisme.
Respecter les élus
Jean-Paul Mélechon a aussi raison de clamer que les élus ont quelque chose de sacré. Ils sont déjà protégés de la garde à vue par l ‘immunité parlementaire. Ce n’est pas pour que , sorti de là , ils ne fassent l’objet d’aucun ménagement. Ils participent à la dimension sacrale du pouvoir. En charge du vote des lois de la Cité, ils méritent des égards, sauf bien entendu s’ils étaient pris en flagrant délit dans un crime de sang ! Qui imagine Léon Blum permettre une perquisition chez Paul Raynaud ? Qui se souvient que le général de Gaulle avait ordonné la suspension des poursuites à l’encontre de François Mitterrand durant la campagne de 1965 ? Même s’ils ne sont pas dans la loi, ces ménagements font partie de ce qu’Orwell appelait la commondécency, une notion que les juges , et pas seulement eux, ont aujourd’hui perdue de vue. Une conception étriquée du droit, souvent à finalité idéologique, s’y est substituée. Encore heureux que les auteurs de perquisitions ne soient pas animés de la jouissance de prendre leur revanche sur les puissants , expression malsaine de l’ esprit de ressentimento de la vieille envidiademocratica.
Mitterrand aurait dit à ses proches : « méfiez-vous de juges, ils ont renversé la monarchie , ils renverseront la république ». Nous y sommes. Mais ne perdons pas de vue que derrière les juges, il y a un exécutif sans scrupules dont la référence aux valeurs républicaines apparaît de plus en plus mensongère. Un exécutif qui , c’est un comble, veut effacer de la constitution la Haute Cour (titre IX) , seule instance devant laquelle il puisse encore répondre.
Roland HUREAUX
[1] Il est vrai que Mélenchon ne s’est pas non plus beaucoup inquiété des poursuites engagées contre la droite; mais ce n’est qu’en partie vrai : Clémentine Autin a voté contre la levée de l’immunité judiciaire de Marine Le Pen.