Article rédigé par Le Salon Beige, le 08 octobre 2018
Source [Le Salon Beige] Mathieu Bock-Côté explique dans Le Figaro en quoi le candidat vainqueur au Québec n’est pas un «populiste d’extrême-droite».
[…] La Coalition Avenir Québec, qui représente le centre-droit autonomiste, remplace le Parti Québécois, associé au centre-gauche souverainiste, comme principal parti nationaliste francophone, comme si elle permettait au nationalisme québécois de s’accorder à la nouvelle époque. Le débat gauche-droite, qui nous était globalement étranger, est en train de se normaliser dans la vie publique, même si ce vocabulaire nous est encore en bonne partie étranger. Il y avait une autre dimension importante à ce scrutin. Depuis quinze ans, le Parti libéral du Québec (PLQ), très fédéraliste et très multiculturaliste, a gouverné presque sans interruption le Québec, et cela, dans une atmosphère de corruption qui était devenue toxique. Il y avait dans la population une vraie exaspération contre le PLQ. […] En se tournant vers la Coalition Avenir Québec de François Legault, les Québécois francophones se sont dirigés vers le parti qui avait le plus de chances de battre le PLQ, et ils y sont parvenus. Le PLQ a connu le pire résultat de son histoire et est réduit, pour l’essentiel, à sa base la plus étroite. Quant au Parti Québécois, il s’est effondré électoralement, même s’il a évité la disparition.
En France, François Legault a été qualifié de populiste. Est-ce le cas?
Non, pas du tout. Aucunement. Je vous avoue que j’étais effaré par le traitement médiatique des élections québécoises en France et en Europe, plus largement. On l’a assimilé au populisme, à la droite populiste, ou même à l’extrême-droite nationaliste! Il y a des limites à dire n’importe quoi. […]
Alors disons les choses clairement: Legault n’a rien d’un leader populiste à la québécoise. Il n’est pas dans une dynamique contestataire, il ne mise aucunement sur l’outrance verbale, il ne joue pas la carte du peuple en colère contre les élites. Pour le dire à la française, il ressemble bien davantage à Valérie Pécresse ou Xavier Bertrand qu’à Donald Trump. C’est un homme politique de centre-droit, un comptable de formation, qui a fait fortune dans l’aviation avant de se lancer en politique à la fin des années 1990 au Parti Québécois, le grand parti indépendantiste et social-démocrate du Québec moderne. Legault a longtemps été un indépendantiste particulièrement résolu et un tenant d’une version québécoise de la troisième voie à la Tony Blair, très soucieuse de l’efficacité des services publics. Mais peu à peu, il s’est convaincu, comme une grande majorité de Québécois, il faut le préciser, que l’indépendance n’allait pas se faire. Elle disparaissait de l’horizon historique même si elle continue encore aujourd’hui d’obtenir environ 38% d’appuis dans les sondages – et parmi ceux-là, votre serviteur. Comme j’aime dire, la défaite défait et les deux échecs référendaires ont brisé les ressorts politiques du peuple québécois.
Dans ce contexte, Legault a quitté pendant un temps la politique, avant d’y revenir en 2011 en fondant la Coalition Avenir Québec, qui abandonnait la quête de la souveraineté pour se replier sur un nationalisme autonomiste qui entend défendre les intérêts du Québec dans le cadre canadien. Après un échec en 2012 puis un autre en 2014, il vient enfin de remporter son pari et de former un gouvernement majoritaire. Legault ne s’est pas converti au fédéralisme mais il semble désormais l’accepter, sans pour autant l’aimer. En d’autres mots, la fin de l’aventure souverainiste ne veut pas dire, de son point de vue, la fin de l’aventure spécifique du peuple québécois en Amérique. Par ailleurs, il entend réformer une social-démocratie qu’il trouve exagérément technocratique et trop pesante pour les classes moyennes. Mais il n’y a pas dans son programme de rupture thatchérienne annoncée.
Ici, il faut préciser le sens des mots: Legault est nationaliste, certainement, mais ce mot n’a pas la même signification au Québec qu’en France et il suffit d’un minimum de culture politique pour le savoir. Au Québec, le nationalisme n’a aucune connotation d’extrême-droite. C’est un terme qui désigne simplement une appartenance première au Québec – c’est le principe du Québec d’abord, c’est-à-dire qu’on s’identifie d’abord à la nation québécoise plutôt qu’à la fédération canadienne, ce qui n’a rien de surprenant dans un contexte où le peuple québécois est clairement minoritaire dans un ensemble canadien qui ne témoigne pas d’une sympathie particulière à son endroit. […]
Il a quand même centré sa campagne sur l’immigration…
Je relativiserais les choses en disant que la question de l’immigration s’est imposée dans la campagne alors que Legault espérait plutôt centrer la sienne sur l’économie. Cela dit, il n’a pas reculé et a osé assumer politiquement un constat qui était généralement censuré par la classe politique, les souverainistes eux-mêmes se montrant souvent hypnotisés par le politiquement correct: au Québec, nous recevons chaque année bien plus d’immigrants que nous ne sommes capables d’en intégrer. […]
Alors Legault a proposé une baisse modeste – tellement prudente qu’elle est frileuse à mon avis- des seuils d’immigration de 50 000 à 40 000 par année. Ce qui n’en fait pas un populiste pour autant. Même à 40 000 par année, le Québec demeurera une des sociétés occidentales qui recevra chaque année le plus d’immigrés. De même, il a décidé de lancer une politique de laïcité pour assurer une meilleure intégration des immigrés à la culture québécoise. Mais il s’agit d’une politique très modérée, qui consiste à obliger les employés de l’État en position d’autorité à ne pas afficher de signes religieux ostentatoires. […]