Le Pape François, un homme de parole
Article rédigé par Bruno de Seguins Pazzis, le 13 septembre 2018 Le Pape François, un homme de parole

Le 13 mars 2013, le Cardinal de Buenos Aires, Jorge Mario Bergoglio, devient le deux cent soixante sixième Souverain Pontife de l’Église Catholique. C’est le premier Pape originaire d’Amérique du Sud, le premier jésuite nommé Évêque à Rome, mais avant tout le premier chef de l’Église à avoir choisi le prénom de François d’Assise (1181-1226), un des saints catholiques les plus révérés, qui avait dédié sa vie à soulager les pauvres et éprouvait un profond amour pour la nature et toutes les créatures de la Terre qu’il considérait comme la mère suprême. Scénario : Wim Wenders, David Rosier. Directeur de la photographie : Lisa Rinzler. Musique : Laurent Petitgand.

Gia Santo !… Deux ans après son élection au siège de Pierre, le pape François avait déjà été le héros d’une hagiographie de son vivant réalisée par le cinéaste argentin Beda Docampo Feijoo, Le Pape François (Francisco, el Padre Jorge). Il s’agissait d’une biographie filmée (un « biopic » en langage barbare), couvrant la période de la jeunesse de Jorge Mario Bergoglio jusqu’à son élection par le conclave. On pouvait s’étonner qu’une biographie filmée puisse être réalisée du vivant de la personne. Mais ce n’est pas un cas isolé, même s’agissant d’un religieux. En effet, l’américain Kevin Connor signait en 1997, Mère Térésa : au nom des pauvres de Dieu (Mother Teresa : in name of God’s Poor) à partir d’un scénario auquel participa Dominique Lapierre. Mais lorsque le film sort le 5 octobre 1997, Mère Teresa est morte un mois auparavant après avoir retiré son « imprimatur » pour le scénario. Ici, il faut supposer que le Saint Père a donné la sienne. Ce film médiocre dressait un portrait sans nuances, exagérément flatteur et travestissant sous certains aspects certaines réalités (une confession décisive dans la vocation du jeune Jorge Mario alors que la confession est un sacrement revêtue du secret, des restitutions des conclaves de 2005 et 2013, alors que ceux-ci sont également revêtus de la plus stricte confidentialité). Bref, un film qui, sans remettre en cause la bonne foi des scénaristes et du réalisateur, appelait des réserves en raison de son caractère par trop commercial et hagiographique. Avec Le Pape François, un homme de parole, c’est une autre affaire. Réalisé par Wim Wenders, cinéaste de renommée internationale, largement récompensé par ses pairs (un petit échantillon :  Lion d'or à la 39e Mostra de Venise pour L'État des choses en 1982, Palme d’or,Prix de la critique internationale et Prix du jury œcuménique au 37e Festival de Cannes pour Paris, Texas en 1984, Prix de la mise en scène au 40e Festival de Cannes pour Les Ailes du désir en 1987,Grand prix du jury au 46e Festival de Cannes pour Si loin, si proche ! en 1993…) est ni plus ni moins qu’un film de commande. C’est en effet le service de communication du Vatican qui a proposé au cinéaste allemand de réaliser le film. Le générique l’atteste, qui indique parmi les organes de production le CTV (Centro Televisivo Vaticano). Le spectateur peut logiquement en conclure que le pape et ou le Vatican ont un message à communiquer.

 

Quel est donc ce message ?

De la biographie filmée, on passe ici au documentaire, ce qui permet au spectateur de voir le Saint Père dans différentes circonstances. Visiter des camps de migrants et des bidonvilles, se recueillir à Auschwitz, prendre la parole devant le congrès des Etats-Unis d’Amérique, à l’ONU ou encore à Yad Vashem. Mais aussi d’entendre le Saint Père sur des sujets qui semblent être ceux qui lui tiennent à cœur puisqu’ils constituent l’essentiel de ses propos face à la caméra, comme s’adressant directement et individuellement à chaque spectateur: la pauvreté dans le monde, le partage, la sauvegarde de la planète terre, l’immigration, autant de thèmes qui avaient fait l’objet de l’encyclique Laudato si en 2015. Le cinéaste rehausse habilement le propos en faisant un parallèle entre Saint François d’Assise et le message délivré par le Saint Père, allant vers la fin jusqu’à montrer quelques images du rassemblement à Assises, ce qui apporte une touche de syncrétisme religieux qui donne au film une ouverture vers un public très large.  S’ajoute à ceci, le fait que Wim Wenders ne prend que très peu de distance avec son sujet et ne fait pas dans la nuance, de sorte que ce qui se voulait un documentaire prend des allures de film de propagande. Au point que même dans le quotidien du soir, Le Monde (dont on pourrait attendre qu’il se satisfasse d’un propos aussi écologique et mondialiste), on peut lire sous la plume de Murielle Joudet : « (…) Le cinéaste allemand signe un véritable encart publicitaire à la gloire de l’homme d’église (…) Avec Le pape François, un homme de parole, le Vatican a certainement voulu redorer voire moderniser son image en s’offrant un cinéaste de renom (…) » (12.09.2018). Nul doute que cette impression est involontairement accentuée par la coïncidence peu heureuse de la date de sortie du film sur les écrans français et le grave et douloureux problème des scandales homosexuels internes à l’Eglise soulevé par Mgr Carlo Maria Vigano ! Ironie du sort, le prélat Mgr Edoardo Dario Vigano qui est un de ceux à l’origine de l’idée du film, n’est autre qu’un homonyme du précédent !  De surcroît, Mgr Edoardo Dario Vigano a dû démissionner il y a six mois pour avoir falsifié une photo d’une lettre du pape émérite Benoît XVI… Par ailleurs, ceux qui attendraient des éclaircissements sur les sujets d’actualités en resteront pour leurs frais. Le sujet étant effleuré avec l’interview accordé par le pape dans son avion et au cours de laquelle, parlant des homosexuels, il leur disait ce fameux « mais qui suis-je pour juger ? », ils n’auront aucun début de réponse à ces questions. D’une façon général, dans ce message, il est question essentiellement d’écologie intégrale, jamais d’intégrité de la foi.

Wim Wenders sachant manipuler la caméra, composer ses images et surtout les monter (car ici beaucoup d’ente elles sont des images d’actualités et de reportages qui sont remontées), tout est fait pour séduire le spectateur, et gageons qu’ils seront nombreux à être charmés. Parmi les catholiques, les uns, des catholiques « inspirés », « émancipés » ou « conciliaires revendiqués » (comme les définit le sociologue Yann Raison du Cleuziou dans son étude «Qui sont les cathos aujourd’hui ?» Desclée de Brouwer) trouveront sans doute que le film restitue  la réalité, un pape qui leur convient, charitable, ayant un grand souci de toutes les formes de pauvreté et de l’avenir de la planète.  Les autres, des catholiques « observants » (toujours selon la même classification de Yann Raison du Cleuziou), c’est-à-dire des catholiques plus classiques, trouveront vraisemblablement le Pape qui leur est présenté tout à fait authentique et conforme à l’idée qu’ils s’en font, progressiste, révolutionnaire, en rupture avec la tradition. Mais parmi les uns et parmi les autres, au-delà des étiquettes assassines,  ceux qui abordent la religion catholique avec un esprit de recherche d’équilibre entre Foi et Raison, auront sans doute beaucoup de difficultés à se reconnaître et pourront être gênés par la coïncidence de la sortie du film sur les écrans avec l’actualité des scandales dans l’Eglise et le silence impressionnant du Saint Père à leurs propos, un silence qui s’il devait se prolonger risque de devenir assourdissant et vient, quoiqu’il en soit, contredire le sous-titre du film, « Un homme de parole » !

 

Bruno de Seguins Pazzis