Article rédigé par Pierre de Lauzun, le 27 août 2018
L’acte d’accusation du grand jury de Pennsylvanie a relancé la question de la longue période d’infection d’une partie du clergé catholique par la pédophilie (notamment dans le monde anglo-saxon mais pas seulement).
On peut discuter évidemment le sens d’un tel acte d’accusation unilatéral, concernant des cas ayant souvent plusieurs dizaines d’années, sans débat contradictoire, et dont les accusés sont morts dans une proportion importante. Nul doute que cette mise en accusation de la seule Eglise catholique n’est pas totalement innocente. Livrer à la pâture des voyeurs des centaines de noms qui en peuvent pas se défendre n’est en outre pas une opération très équitable ni très pure. Par ailleurs, et contrairement à l’idée que certains veulent répandre, tout paraît montrer que les actes de pédophilie ne sont pas l’apanage de l’Eglise catholique, et même que la proportion de pédophiles y est plus basse qu’ailleurs, contrairement à l’impression donnée.
C’est vrai, mais le catholique ne peut en rester là. Il ne peut pas se contenter de rester dans la moyenne. Il ne peut pas accepter l’idée épouvantable d’un prêtre catholique, inspirant le respect et l’a confiance due à un homme de Dieu, profiter de cette autorité morale pour scandaliser un enfant. Ni celle d’un évêque essentiellement préoccupé de protéger ses collaborateurs en fermant sa porte aux victimes.
Il s’est donc passé quelque chose d’effrayant et d’intolérable. La question est : pourquoi et comment.
On parle du cléricalisme. Le mot est vague mais il évoque l’idée d’un Eglise hiérarchique centrée sur elle-même et sur son pouvoir. Nul doute que le cléricalisme ainsi compris soit une des composantes majeures de la dérive. Est-ce suffisant ? Non. D’abord ce cléricalisme en soi ne débouche pas sur la pédophilie, ;il faut quelque chose de plus, une dérive interne vers certaines pratiques que le cléricalisme comme tel n’explique pas.
Ensuit, une part essentielle du problème, au-delà de l’attitude des prêtres concernés, est dans celle de leurs supérieurs, évêques notamment. Des gens qui eux-mêmes ne n’avaient pas ces pratiques infâmes, mais qui ont préféré laisser leurs subordonnés continuer, éventuellement par mutation dans une autre paroisse. Ou plus haut encore qui ont laissé un cardinal McCarrick faire une brillante carrière sans que personne ne s’oppose à cette ascension, alors que beaucoup savaient (il est vrai que ceci met sur la table, plus que la pédophilie, la pratique d’une forme de harcèlement homosexuel hiérarchique particulièrement pervers).
Le souci de l’institution a donc bon dos. Il peut expliquer tout au plus qu’on cherche à dissimuler, à ne pas mettre la question sur la place publique. Un autre souci peut y aller dans le même sens, celui de l’image des victimes. Mais cela n’explique ni encore moins justifie le fait de ne pas punir, ni de ne pas mettre hors d’état de nuire les dépravés. Car les laisser agir avec une impunité de fait est au contraire dévastateur pour l’institution.
Il y a donc eu une dérive grave, qui relève plus de la maffia et de la complicité que du souci de l’institution. Disons-les choses clairement : du point de vue même de l’institution cette attitude était inadmissible. Et a fortiori du point de vue des victimes, blessées par de supposés disciples du Christ. En d’autres termes, plus directs : il y a eu une très grave défaillance du commandement. Un gigantesque dérapage.
Rappelons les faits. On était dans un contexte où l’idée de péché était mise sous le boisseau, où (années 60 et 70) la priorité absolue était de rencontrer le monde (qui au même moment partait en sens inverse dans des mœurs aberrantes) en évitant tout ce qui ressemblait à la culpabilité, au péché, à la discipline. Il s’est alors produit d’un côté dans une partie du clergé une pratique tranquillement déviante, et de l’autre côté dans la hiérarchie l’idée que la miséricorde primait sur tout le reste. Plus de droit pénal ecclésiastique, plus de directeur de conscience pour les prêtres, plus de punitions. Et un réexamen de la sexualité, vue comme une pulsion comme une autre, quelles qu’en soient les manifestations. Rappelons aussi que dans le monde qu’on souhaitait avec ardeur rejoindre, la pédophile avait désormais droit de cité (à commencer par Le Monde et M. Cohn-Bendit). Le tout en oubliant que le péché, c’est le mal, le mal fait à quelqu’un, en l’occurrence des enfants.
On va dire qu’avant tout cela, avant 1960, il y avait déjà des dérives. Il faudrait évidemment d’abord prouver qu’elles étaient significatives, et à ma connaissance ces preuves n’ont pas été apportées. Mais au minimum il y avait l’idée de normes et de discipline, et une autorité. Donc une reconnaissance de responsabilité. Et l’idée que le péché existe, et qu’il conduit à des actes affreux. Trop souvent cela n’a plus été le cas dans un certain clergé soixante-huitard. On commence bisounours, et on finit par se croire tout permis. D’autres ont profité au contraire de l’idée de charisme pour jouer au petit gourou, progressiste ou conservateur d’ailleurs. Avec les mêmes effets. Ou ont simplement abusé de l’ambiance.
Où en sommes-nous maintenant ? L’enquête de Pennsylvanie, et les autres données disponibles, paraissent montrer que la reprise en main, dans laquelle le rôle de Benoît XVI a été essentiel, a donné des résultats : le nombres de cas s’est effondré. C’est bien. Est-ce assez ? Pas sûr. Car on n’a pas fait l’examen de conscience que la situation demandait.
Il ne s’agit pas ici de ce que font les commentateurs qui ressortent de leurs cartons leurs recommandations permanentes, mariage des prêtres, présence des femmes etc. Comme si le gros des actes pédophiles en général n’était pas dans les familles, chez des gens mariés ou en couple, entourés de femmes qui n’y peuvent mais. Ni de mener une chasse aux sorcières comme celle qui s’est déclenchée contre Mgr Barbarin, dont le sort est entre les mains de la justice civile.
L’examen de conscience adapté, c’est le retour sur l’élimination du sens du péché, et conséquemment sur la nécessité d’une action contre ses effets inadmissibles lorsque, pratiqué par le clergé, il blesse les fidèles. Cette action n’incombe pas en priorité aux fidèles. Certes, il faut qu’ils réagissent lorsque des pratiques inadmissibles se déroulent sous leurs yeux. Mais les premiers acteurs ne sont pas les fidèles ordinaires : ce sont les évêques. C’est à eux qu’il incombe de corriger les erreurs et d’éradiquer les pratiques de lâcheté et de complicité. D’abord par un ressourcement spirituel. Ensuite par la restauration d’une discipline intérieure et extérieure. Et bien sûr en prenant les mesures qui s’imposent, au-delà de la ‘correction fraternelle’ : sanctions canoniques et justice pénale laïque - s’agissant de faits criminels. En bref nous avons besoin d’un Grégoire VII et d’une réforme grégorienne.