Sept considérations sur les Eglises d'Europe et les migrations
Article rédigé par Roland Hureaux, le 21 juin 2018 Sept considérations sur les Eglises d'Europe et les migrations

De nombreux Européens sont aujourd’hui exaspérés par les prises de position des autorités religieuses  du continent, aussi bien  catholiques que protestantes, à tous les niveaux, en faveur d’une  large ouverture de l’Europe aux immigrants venus d’Afrique ou d’Asie, réfugiés ou pas.

Or il  y a bien des raisons pour justifier cette réaction. Elles se situent à plusieurs niveaux

1- Il est bien connu que les gens n’aiment pas qu’on leur fasse la morale. L’Eglise catholique a payé assez cher pour le savoir, au point de se trouver  presque réduite au silence en matière de morale  sexuelle où ses positions de toujours vont  à l’encontre du courant dominant de notre époque (comme le culte du Dieu unique allait, dans le peuple juif,   à l’encontre du courant  dominant du Proche-Orient ancien !). Quel évêque s’aventurerait aujourd’hui à  rappeler avec insistance que les conjoints  doivent être fidèles, qu’il faut   éviter les relations sexuelles hors mariage  ou que l’homosexualité est un mal ?

Dès lors qui peut imaginer dans  la hiérarchie ecclésiastique  que le rappel réitéré du devoir d’accueil des  immigrants   ne suscite pas  une exaspération  analogue, tout aussi contre-productive ?

Ces rappels sont  d’autant plus mal venus qu’ils s’accompagnent de reproches ressentis comme  injustes. Est-il judicieux de demander ostensiblement pardon à   Dieu pour le manquement supposé  des Européens à leur devoir d’accueil ?  Y  a-t-il sur terre et y  eut-t-il jamais  dans l’histoire des  peuples qui aient été  aussi accueillants  pour des réfugiés que  l’est  l’Europe d’aujourd’hui ? Au moins s’agissant d’une arrivée  en masse.  Il s’agit certes la plupart du temps d’un accueil institutionnel mais n’est-ce pas  les  Européens qui en ont mis en place la logistique et de nombreux volontaires européens qui la servent ?    

2- Il n’est jamais bon de prendre les gens pour des imbéciles. Les autorités  ecclésiastiques  ( ou les  associations  qui en sont proches )  dénoncent trop souvent chez les Européens  l’égoïsme,  la « peur » de l’autre , le « repli  sur soi », voire la xénophobie, elles  leur demandent  de  savoir « s’ouvrir » à d’autres cultures . Qui dira combien  ces accusations sont elles aussi exaspérantes ?  S’ouvrir aux autres cultures ? Il y a quatorze siècles que les  Européens sont confrontés à l’islam. Beaucoup de  gens du peuple  en font   l’expérience quotidienne  près de chez eux. Quant aux gens plus éduqués, ils connaissent les  données  démographiques (ou ils  les subodorent car  elles sont le plus souvent  occultées) ; leur réaction n’a rien à voir avec un rejet primaire de l’autre ; en privé  beaucoup seront très généreux  mais  ils voient avec lucidité,  dans un esprit de responsabilité,   les risques qu’une politique d’accueil sans frein ferait  courir à la communauté nationale et, au-delà , à  la survie  de la culture européenne  Que leur connaissance soit livresque ou directe, ils ont du mal à admettre que l’islam soit  « une religion d’amour et de paix ». Ressasser  cette idée, que la plupart des spécialistes récusent,  est le meilleur  moyen de perdre toute crédibilité.

 

3-Les peuples d’Europe occidentale ne  sont pas seulement préoccupés par la  cohésion interne de leur société. Ils veulent, au moins pour  une partie d’entre eux,  défendre ce qu’il est convenu d’appeler,  d’une expression sans doute réductrice,  leur identité.  Ils ont le souci  que la terre qu’ils occupent et qu’ils ont reçue de leurs ancêtres  soit aussi celle de leur postérité, pas seulement biologique mais culturelle et spirituelle.

Quoi que prétende la doxa nihiliste, voire certaines gens d’Eglise qui voient là un risque d’ « idolâtrie »,   défendre son identité  comme peuple est  une préoccupation légitime. Comme le dit Jean-Paul II,  l’amour de la patrie est une manière d’ « honorer son père et sa mère » de qui nous la tenons.    Les chrétiens européens en seraient plus conscients   si beaucoup n’avaient pas relégué au placard l’Ancien testament  qui fait gloire à Abraham d’être « le père d’une multitude de peuples »[1] ou montre la recherche de  la Terre promise comme une aspiration légitime. S’il est vrai que l’Evangile a élargi les préoccupations du peuple juif   aux dimensions du  monde, des siècles d’histoire occidentale, qu’il serait absurde de disqualifier comme des temps de ténèbres,  montrent  que  le patriotisme ou le souci de l’identité, pour peu qu’il ne soient pas exclusifs d’autres préoccupations,  ont toujours accompagné l’expansion du christianisme.

L’Eglise, reprenant la morale naturelle,  fait de l’instinct de conservation, même dans les situations les plus  dramatiques  non seulement un droit mais un devoir. C’est pourquoi elle récuse le suicide ou l’euthanasie. Pourquoi ce qui est un devoir pour les individus, persévérer dans son être, ne le serait-il pas pour une famille ou pour un peuple ?

Allons plus loin : il existe un pacte multiséculaire entre le christianisme et l’identité des principaux peuples européens.  C’est  même dans la stricte mesure où l’Eglise catholique a  su épouser ce sentiment  qu’elle a prospéré : la Pologne en est un bel exemple. Si le catholicisme polonais n’avait pas été intimement lié à l’identité nationale polonaise, l’Eglise universelle aurait-elle eu un Jean-Paul II ? Au contraire, là où la symbiose s’est mal faite, comme en Europe du Nord, les pays ont versé dans la Réforme, la France se trouvant à mi-chemin[2].  L’alliance intime du fait religieux et du fait national a connu son dernier épisode  dans la résistance au  communisme – y compris en Russie. Qui dira que lutter contre une idéologie totalitaire monstrueuse  était de l’idolâtrie ?  

 

4- Admettons  que les considérations purement économiques (et donc égoïstes) soient une raison insuffisante   pour refuser l’afflux d’immigrés, d’autant qu’elles ne sont  pas toujours convaincantes. Il reste qu’on ne saurait dire    que les pays d’accueil  doivent  aux réfugiés un emploi ou  un logement de bon niveau  quand une partie de leurs ressortissants en manquent. Ne leur est dû que le strict nécessaire  pour  survivre,   une assistance médicale  et le respect de leurs droits  fondamentaux : ne pas subir des violences ou des injustices arbitraires,   mais non un certain nombre de droits  dits réels  tels  que le travail,  un compte en banque, un revenu substantiel  et surtout le droit de rester indéfiniment en Europe.  C’est déjà bien plus que ce  à quoi ils peuvent s’attendre dans presque tous les autres pays du monde.

Deux confusions ne sauraient être faites : la première entre les devoirs des individus et ceux des  responsables publics. Un individu isolé peut et même parfois doit sacrifier  son intérêt personnel au  service des autres, selon la logique des conseils évangéliques ; mais tout le monde  n’est pas dans la position du Père Kolbe[3]:   ceux qui ont la responsabilité d’autrui, du père de famille au chef politique,  n’ont nullement mandat pour  prendre ce genre de décision  à la place de ceux qu’ils   doivent d’abord   protéger. La deuxième confusion porte sur l’obligation de  charité : il y a toujours eu une hiérarchie dans son exercice : le prochain, ce n’est pas l’humanité abstraite, c’est d’abord (après Dieu)  son conjoint et ses enfants, puis ses proches, ses voisins, et en dernier lieu seulement l’humanité en général. On veut bien admette que le migrant se fait proche et donc prochain en venant jusqu’à nous ;  mais là  aussi, il faut distinguer : si   des  individus  mus par l’esprit évangélique peuvent leur  donner  la priorité à leur propre dépens, les chefs des peuples ont, eux, le devoir de respecter les préséances naturelles. Une France qui a plusieurs   millions de chômeurs ne doit pas un emploi aux réfugiés. Une Italie où  les jeunes couples se réfugient dans les parkings pour faire l’amour (pardon Messeigneurs !), faute d’espace intime chez les  parents qui les hébergent, ne doit pas réserver les logements  sociaux, déjà insuffisants,  aux étrangers. Comment s’étonner que,  face à des choix qui délaissent les normes  multiséculaires du  bon sens,  beaucoup de ces jeunes Italiens aient eu  le sentiment  d’être comme « des brebis sans berger » ? Le dernier scrutin de ce pays n’est-il pas une cinglante sanction de ceux qui les ont jusqu’ici dirigés sans se soucier de leur  situation réelle     ?  On ne saurait non plus opposer les  exigences de l’Evangile à celles d’une morale supposée  archaïque et   barbare ; si  des individus sans responsabilité peuvent prendre la voie du sublime évangélique, les gouvernants et   autres responsables civils n’ont pas  le droit de  présupposer chez leurs protégés les  qualités évangéliques les plus élevées, ni la mission  de les  leur inculquer. Le péché originel  interdit d’organiser la cité en misant tout  sur la bonté des hommes : on sait ce qu’il   est advenu quand d’autres ont voulu par exemple extirper, au nom des mêmes idéaux, l’instinct de  propriété : « Le monde moderne est plein d’anciennes vertus chrétiennes devenues folles »   (Chesterton). On en connait les suites : « qui veut faire l’ange  fait la bête » ;   hier le totalitarisme,  demain  la guerre civile ?   

 

5- Le premier devoir vis-à-vis des réfugiés ( les vrais naturellement) est de faire qu’ils n’aient plus besoin de l’être  et qu’ils puissent donc rentrer chez eux. Cela signifie de tout faire pour ramener la paix dans les pays d’où ils viennent. Cela  signifie encore plus clairement de ne pas y mettre la guerre.   

Or si on considère la situation des différents pays d’où ont afflué  les réfugiés: Syrie, Irak, Afghanistan, Libye, ce sont les  puissances occidentales  qui sont directement  responsables du fait qu’ils sont en guerre, France comprise. Il arrive que les responsabilités dans le déclenchement d’une guerre soient partagées,  mais là,  elles ne le sont pas. Les gouvernements de l’Europe occidentale  membres de l’OTAN,   ont tous collaboré à apporter  une aide militaire aux mouvements  réputés démocratiques, qui étaient en réalité  djihadistes,  dont le but était de renverser le gouvernement légitime de la  Syrie, plongeant  le pays dans une guerre civile épouvantable.  Si l’espoir de  paix revient aujourd’hui, ce n’est pas à ces gouvernements là  qu’on le doit  mais à la Russie de Poutine et, dans une moindre mesure,  à Trump. Face à ces agissements  criminels, que les chrétiens d’Orient  connaissent bien pour en être les premières victimes, on cherche en vain une autorité religieuse occidentale[4]  qui ait élevé la voix pour mettre en cause les  gouvernements des pays chrétiens (ou ex-chrétiens) qui se sont  acharnés  à plonger le Proche-Orient dans la guerre,  ni  pour dire clairement qui était responsable de ces guerres. La postérité jugera peut-être un jour plus sévèrement ce silence que celui que l’on a imputé au pape Pie XII durant  la seconde guerre mondiale[5].

Allons plus loin : ces expéditions qui ont plongé pas  moins de sept pays dans le chaos se sont faites au nom des droits de l’homme  et  de la nécessité d’ « ouvrir » au monde des pays  fermés (Irak, Afghanistan, Libye, Syrie). Des idéaux souvent applaudis par les gens d’Eglise qui ne semblent pas  avoir conscience de leur aboutissement criminel.  A l’inverse, un Trump qui  s’efforce  d’y  ramener la paix,  sera  suspect parce qu’il  construit un mur à la frontière du Mexique . Ceux qui ont élevé des enfants savent pourtant que pour éviter les disputes entre eux, la sagesse commande parfois de les séparer…

Curieusement les plus ardents partisans de l’accueil sans  frein des réfugiés :   Union européenne, Foundation for an Open society de George Soros, une grande partie des médias, ONG  de tout poil, toutes forces dites  progressistes, sont généralement  les mêmes qui ont applaudi des deux mains aux entreprises de déstabilisation de pays du Proche et Moyen Orient. Sachant  que la plupart   de ces forces sont par ailleurs  ouvertement  antichrétiennes, beaucoup de fidèles sont  surpris de voir les chefs des Eglises faire cause commune avec elles.   

 

6- Il serait possible à l’Europe occidentale d’accueillir beaucoup d’immigrants mais à condition qu’ils se convertissent en masse à la religion historique du continent  qui est le  christianisme. Une telle conversion est sans doute  le seul espoir qui reste, compte tenu des évolutions  démographiques, d’y  maintenir la paix civile. Moins que l’immigration en tant que telle, c’est le différentiel  de fécondité  qui conduit  à terme l’islam en Europe occidentale à une position de force, pas nécessairement majoritaire, face au bloc des héritiers naturels  de la civilisation européenne, qu’il s’agisse des  Eglises ou des héritiers des Lumières.  Or il n’y a pas d’exemple qu’une telle situation, celle d’un pays pluriconfessionnel ou multiculturel, n’ait pas conduit à la guerre civile :   le Liban,  la Bosnie, le Sri-Lanka  sont là pour nous le rappeler. Au mieux le multiculturalisme conduit à la dictature, comme le montre l’exemple de la Syrie et comme on en voit déjà les prémisses en Europe, par le développement de la police de la pensée  ou des lois d’exception. La vertu de prudence commande d’être  conscient  de ces risques.

Or il est très peu  question aujourd’hui de conversion dans  les sphères officielles du catholicisme – et du protestantisme en dehors des évangéliques. Tout se passe comme si le même monde ecclésiastique qui  veut que  les Etats ouvrent leurs portes aux migrants, s’attachait à fermer celles  de ses   églises  aux candidats au baptême ; à tout  le  moins beaucoup sont-ils    très réticents pour les  accueillir : les convertis de l’islam qui ont déjà pris beaucoup de  risques dans leur démarche se  plaignent en majorité de ce manque de soutien. La priorité  affichée est  au respect des « diversités culturelles »[6]  de ces nouveaux venus  qui incluent, même si cela n’est pas dit franchement,   l’adhésion  à la  religion musulmane.   Une religion qui   est aussi une civilisation très différente de la nôtre et qui comporte des aspects singulièrement aliénants, en particulier pour les femmes. Le prosélytisme, fait sans précédent dans l’Eglise, est découragé, voire blâmé. On n‘a pas assez dit combien une telle attitude qui tend, de manière  subliminale à réserver le message du Christ aux Européens de souche contient de racisme inavoué.   Et il faut répéter quels risques mortels elle fait courir à terme  à la paix  civile.

 

7- Les chrétiens d’Orient, de manière  unanime,   déconseillent  aux Européens   d’accueillir en masse des  réfugiés musulmans,  or personne ne  les écoute. Ils ont pourtant la double légitimité de l’ancienneté dans le monde chrétien et du martyre. Ils ont payé cher, bien plus cher que nous,   aux cours de l’histoire,  y compris la plus récente,  pour savoir ce  qu’implique la coexistence avec  l’islam. Ce n’est pas à eux qu’on racontera qu’il est « une religion d’amour et de paix ».  Les évêques d’Afrique noire n’ont pas une position  différente. Quand ils prophétisent que ce qui leur est arrivé hier  nous arrivera demain,  les chrétiens d’Orient expriment leur crainte de perdre  cette base arrière qu’a longtemps constitué pour eux l’Europe. Comme dans la réticence  à la  conversion des  musulmans,   ne peut-on voir dans ce mépris de l’opinion des  premiers concernés   une forme de racisme ?  Les chrétiens d’Orient sont bons pour alimenter les intentions de prière mais sur le plan géopolitique, leur opinion semble ne pas compter.

Il va de soi que s’il n’y avait pas déjà une minorité musulmane significative en Europe occidentale, s’il n’était question que d’accueillir des individus ou des familles isolés  ou encore d’authentiques  opposants aux régimes en place, on comprendrait que le refus de l’accueil par des chrétiens soit  blâmable. Mais la situation de l’Europe est telle   que l’accueil des  migrants n’ est  plus un problème individuel, une question de pure charité :  il a  un impact sociologique et historique  considérable ; il est devenu une question clef  pour l’avenir de notre continent, celle de  la  concorde qui règne entre ses habitants, et celle de  son caractère de  pays d’héritage chrétien.  Si les autorités religieuses européennes de toutes dénominations,   ne prennent pas très vite conscience  de la manière réelle dont se pose le problème, elles s’exposent à  un grave discrédit  qui risque d’aggraver encore la   désaffection des peuples vis-à-vis des Eglises. « Le bon pasteur connait ses brebis ».  En l’espèce, ça reste  à démontrer.

 

Non seulement les autorités politiques d’Europe occidentale ont le droit de s’opposer à  de nouvelles vagues migratoires  et les populations de les soutenir dans cette attitude, mais elles  en ont le devoir dès lors que c’est elles qui ont la responsabilité, avant toute autre considération  de préserver la paix civile. La rupture de la paix civile est  le  plus  grand malheur qui puisse arriver à un peuple, non seulement quant à son bien-être, mais quant à la moralité,  la guerre ouvrant toujours  la porte  à la haine exacerbée  et aux pires atrocités.  Pour qui est en charge de gouverner un peuple, préserver les conditions de la  paix civile est le premier  devoir de la charité.

[1] Gn 15,5

[2] Le patriotisme français a sa dimension catholique : « Catholiques et Français toujours !»   mais elle n’est pas exclusive : il a aussi sa dimension gallicane  puis républicaine.

[3] Le père Maximilien Kolbe donna sa vie en échange de celle d’un père de famille   à Auschwitz-Birkenau  (1941).

[4] Nous en exceptons le pape Jean Paul II lors des guerres, d’Irak et de Yougoslavie et plus récemment une incise discrète du cardinal Sarah dans   Dieu ou rien, Fayard 2015.

[5] A tort selon nous.

[6] Cf. Amoris Laetitia, § 46