Article rédigé par Valeurs actuelles, le 20 juin 2018
Source [Valeurs actuelles] A l’occasion de la première épreuve du baccalauréat, Anne-Sophie Nogaret, professeur de philosophie, dénonce le fétichisme d’un exercice que la grande majorité des candidats est aujourd’hui inapte à effectuer.
18 juin 2018, premier jour du baccalauréat. Signe des temps, le sujet de philosophie destiné aux littéraires « La culture nous rend-elle plus humain ? » (sic) s’orne d’une magnifique faute de grammaire que nul pourtant ne semble avoir relevée. J’y vois pour ma part un signe, que je ne peux exprimer que par une métaphore, de fort mauvais goût il est vrai : le cadavre dans le placard en est à un tel stade de décomposition qu’on ne peut plus l’ignorer.
Pour diverses raisons, l’enseignement de la philosophie pose problème à l’institution scolaire des trente dernières années : discipline abstraite, la philosophie exige des facultés de compréhension et d’analyse, qu’en d’autres temps on désignait du beau nom d’intelligence. Cette exigence intellectuelle contrecarre de fait l’égalitarisme qui fonde l’idéologie pédagogiste et l’objectif afférent, celui du bac pour tous. Obstacle supplémentaire, la forme dissertative, toujours en vigueur, exclut le recours à ce que subissent toutes les autres disciplines, grossiers tours de passe-passe visant à garantir la moyenne même au plus obtus des apprenants : exercices simplistes et surnotés, QCM, barèmes valorisant la forme et occultant le fond (comme si les deux pouvaient être distingués), etc.
Il se trouve en effet que l’enseignement de la philosophie n’a pratiquement pas varié, du moins dans ses exigences théoriques et pédagogiques, depuis la 3ème république. Il s’agit, comme le posait la commission des programmes en 1901, non pas « d’ajouter aux connaissances déjà acquises un bagage de connaissances nouvelles, mais de faire naître la réflexion véritable ». Cette réflexion véritable s’incarne dans un exercice particulier et typiquement français, la dissertation. Laquelle consiste à résoudre un problème en s’appuyant sur des idées empruntées aux philosophes, idées examinées d’abord comme des réponses possibles au sujet, puis critiquées. La démarche est dialectique, elle consiste à s’approcher rationnellement de la réponse la plus juste possible (c’est-à-dire la moins critiquable) au sujet posé.
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