Article rédigé par , le 04 mai 2018
Guillaume Cuchet est un des meilleurs spécialistes de l’histoire des religions, particulièrement du catholicisme du XIX et du XXième siècle. Dans son dernier ouvrage, il apporte un éclairage nouveau sur la rupture dans le comportement, la pratique et les croyances des catholiques pendant les années 60.
Dans ce livre d’une grande érudition et appuyé sur une méthode scientifique, la véritable problématique n’est pas tant la déchristianisation que de comprendre « les raisons pour lesquelles la conservation ou la perte de la foi, phénomènes a priori éminemment personnels, voire intimes obéissaient aussi à des logiques collectives, au point d’avoir une sociologie et une géographie stables dans la longue durée ».
Remarquablement bien documenté, l’opus s’appuie sure la carte religieuse de 1947 élaboré par le chanoine Boulard ainsi que sur des études de cas précises. De l’optimisme des années 50 à la « sidération collective » des années 70, le phénomène n’est pas saisi à l’époque.
Voici les statistiques citées par Cuchet : « Au milieu des années 60, 94% de la génération en France était baptisé et 25% allaient à la messe tous les dimanches ; de nos jours la pratique dominicale tourne autour de 2% et les baptisés avnat l’âge de 7 ans ne sont plus que 30%. »
Le mérite du livre est de mettre en exergue les ressorts de cette rupture ou encore le « décrochage » que l’on peut avec du recul qualifier de crise générationnelle et civilisationnelle. L’ouvrage tranche le vieux débat idéologique de ce décrochage à savoir s’il est imputable à Vatican II, à mai 68 ou bien à l’encyclique humanae vitae de juillet 1968 ? Cuchet ne craint pas d’affirmer que c’est bien le Concile qui a enclenché la rupture, mais sans la provoquer. Mai 68 et Humanae Vitae n’ont fait que l’amplifier.
Guillaume Cuchet développe qu’une des causes principales de ce décrochage est l’abandon de l’obligation dominicale, cependant la disparition pure et simple de la religion chrétienne n’est pas à l’ordre du jour. La Manif pour pour tous a très bien illustré le dynamisme des milieux catholiques. Son analyse sur le déclin de la confession et de la « prédication des fins dernières » éclaire sur les modalités pratiques de la désaffection religieuse. C’est d’une certaine façon , le clergé lui-même qui a « désinstallé » les règles qu’il avait tant œuvré à faire respecter de puis le Concile de Trente. Du coup, le milieu pratiquant, qui se « reproduisait » de génération en génération a cessé de transmettre cette pratique fondamentale et tout ce qui allait avec.
La question des « conséquences n’a pas été abordée » souligne l’auteur. Il indique cependant que la déchristianisation ne peut être une opération « blanche » pour nos sociétés occidentales.
Son ouvrage doit interpeller à la fois les historiens, les responsables religieux mais aussi tous les catholiques préoccupés par la question religieuse en France d’autant plus brulante avec la montée en puissance de l’Islam.
Le Seuil 2018 287 21,00 Non 21,00 €