Article rédigé par Atlantico, le 27 avril 2018
Analyse de la vision du chef de l'Etat à la lecture de sa politique fiscale.
Interview de Jacques Bichot. Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.
Source [Atlantico] Alors qu'Emmanuel Macron se plaçait en tête du premier tour de l'élection présidentielle le 23 avril 2017, comment analyser la vision du chef de l'Etat à la lecture de sa politique fiscale ? Puisque la mise en place d'une telle politique fiscale permet de s'appuyer sur des éléments concrets, et non sur des discours ou des intentions, que révèle cette réalité du terrain de la vision politique du chef de l'Etat ?
Jacques Bichot : Emmanuel Macron vient de l’ENA, de la banque d’affaires et de Bercy. Sa conception de l’action politique paraît fortement influencée par cette triple expérience. Il ne semble pas s’appuyer sur des concepts clairs, comme par exemple la distinction entre impôt et cotisations sociale, entre Etat et sécurité sociale. Pour lui, les différentes formules qui permettent de prélever de l’argent sur des particuliers ou des entreprises sont interchangeables, il importe seulement de faire suffisamment de modifications pour montrer que l’on agit.Exemple de cette volonté de changement pour le changement, pour la galerie, l’impôt sur le revenu va être bouleversé, au prix d’une complication pénible pour les entreprises, pour le fisc et pour les ménages, parce qu’il existait un début de préparation en la matière, que cela fait « moderne », et que la France semble ainsi se rapprocher de ce qui se fait dans beaucoup de pays étrangers.Une telle politique fiscale est économiquement absurde, et il est vain de lui chercher une motivation du genre « simplifier la vie » ou « améliorer la productivité » : c’est tout le contraire qui va se passer.
Simplement, cela fait moderne, comme les instruments financiers sophistiqués que les banquiers de haut vol font développer par leurs cadres : le bon peuple, n’y comprenant rien, est prié de manifester une admiration béate pour cette inventivité moderne et digitalisée. Le digital est d’ailleurs devenu le sésame-ouvre-toi de la caverne d’Ali-Baba des gadgets qui permettent à un certain nombre de personnages de vivre dans un monde différent de celui des simples mortels.
Philippe Crevel : Le candidat Emanuel Macron 2017 entendait prendre le contrepied du candidat François Hollande de 2012. Ce dernier avait promis de taxer à 75 % les revenus des riches, d’imposer le capital comme le travail, de rétablir l’ISF, de supprimer les exonérations dont bénéficiaient les heures supplémentaires. François Hollande avait-il alors décidé ce programme marxisant sans en avoir référé à son conseiller économique, Emmanuel Macron.
L’histoire nous le dira peut-être un jour ! Le candidat Emmanuel Macron avait promis la flat tax, la suppression partielle de l’ISF et l’exonération des heures supplémentaires, la baisse de l’impôt sur les sociétés, la suppression de la taxe d’habitation pour 80 % de la population, l’intégration du CICE dans les charges sociales et la hausse de la CSG. A l’exception des heures supplémentaires, sa première année a été sur le plan fiscal assez conforme aux engagements pris. Certes, des taxes ont été créées et d’autres ont été relevées. Par ailleurs, la baisse des cotisations sociales a été segmentée en deux. Enfin, à la demande de Bercy, le Gouvernement a réactivé la retenue à la source après l’avoir suspendu. Le Président de la République a un objectif, améliorer l’image fiscale de la France à l’intérieur comme à l’extérieur. Il est conscient de l’ardente nécessité d’attirer des capitaux étrangers pour refaire partir l’économie française. Il est nécessaire que les Français investissent utilement même s’il a mis en sourdine la théorie du reversement. Il est trop tôt pour apprécier les résultats du pari fiscal présidentiel qui demeure limité. La France a, en effet, battu le niveau des prélèvements obligatoires en 2017. Ils se sont élevés à 45,4 % du PIB, record absolu. Le retour dans la moyenne européenne n’est pas pour demain tout comme pour les dépenses publiques. Entre la communication et la réalité, il y a un écart qui n’est pas mince.
Jean-Philippe Delsol : Au-delà des mots, la politique fiscale de M Macron reste très ambigüe, comme toute sa politique cherchant à faire toujours une chose et son contraire « en même temps ». Il respecte son programme sur la transformation de l’ISF en une taxe foncière supplémentaires, le prélèvement forfaitaire unique à 30% sur les revenus mobiliers, la taxe d’habitation supprimée pour 80% des Français, la hausse de la CSG et la baisse de diverses cotisations sociales. Mais ça n’est qu’un jeu de chaises musicales consistant à prendre aux uns pour donner aux autres et masquant l’avantage qu’y trouveront cette année les finances publiques puisque, selon l’INSEE, les prélèvements sur les ménages augmenteront de 4,5 Md€ en 2018. Cette hausse est due notamment à diverses augmentations de droits et taxes sur le tabac, le diesel, le carbone… Les prélèvements obligatoires remontent en 2017 à 45, 44% du PIB, un record. La baisse annoncée en 2018 est très légère et n’est peut-être qu’un effet d’annonce car pour le moment les dépenses publiques continuent de progresser : +2,5% en 2017, soit 56,5% du PIB. Les Français vont subir également de nombreuse taxes indirectes répercutées sur leurs factures de gaz ou d’électricité. Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu compliquera la tâche de tous les Français qui supportent cet impôt. Ils seront assujettis à un prélèvement mensuel attentatoire de leur vie privée à l’égard de leur employeur et en plus ils devront établir chaque année leur déclaration de revenu.
Les entreprises seront contraintes de modifier tout leur système de paye, pour un coût évalué à environ 1 Md€. Et néanmoins le travail des services des impôts sera sans doute plus important qu’avant puisqu’ils devront établir le montant du prélèvement puis vérifier les déclarations annuelles, comme avant, et établir l’avis final d’imposition pour régulariser la situation de chacun. Pourtant Emmanuel Macron aurait pu faire marche arrière. Il a d’ailleurs retarder la réforme d’un an, mais pour la reprendre sans en changer presque un seul mot.Cette réforme engagée par F. Hollande est poursuivie par son successeur parce qu’il est dans la même philosophie.
Le prélèvement à la source déresponsabilise les Français à l’égard de l’impôt dont on veut rendre la charge plus indolore pour pouvoir l’ augmenter plus aisément. Et plus encore ce système donne à Big Brother un meilleur contrôle et une meilleurs connaissance de la situation de chaque citoyen. Cette réforme n’aurait pu être valable qu’à la condition d’aller jusqu’au bout des exigences de simplicité de l’impôt pour qu’il puisse être prélevé à la source sans mal et sans réserve. Il aurait fallu transformer l’impôt progressif en un impôt proportionnel, - une flat tax-, à un taux raisonnable et avec une franchise suffisante pour que personne n’y soit perdant, en supprimant par ailleurs toutes les niches fiscales qui minent notre système d’imposition et en rendent quasi impossible un prélèvement simple à la source. Il aurait fallu en quelque sorte généraliser le PFU à 30%, peut-être à un taux moindre. Mais M Macron s’est arrêté en chemin, comme toujours, comme il l’a fait pour la suppression de l’iSF, -réforme courageuse-, qu’il n’a pas achevée en laissant un Impôt sur la Fortune Immobilière laissant croire que les revenus fonciers sont des rentes alors que l’investissement immobilier est utile aux entreprises qui louent leurs bureaux et usines comme aux ménages qui ne peuvent pas accéder à la propriété de leur logement.
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