Article rédigé par Causeur, le 11 avril 2018
Source [Causeur] En faisant l’éloge de la spiritualité et en encourageant les chrétiens à s’investir en politique, le président fait un cadeau à l’islamisme.
Le moins qu’on puisse dire est que ceux qui attendaient depuis des mois le fameux « grand discours sur la laïcité » tant promis par le chef de l’Etat ont dû en être pour leurs frais hier soir. Celui-ci, invité par la Conférence des Évêques de France au collège des Bernardins, a livré un discours particulièrement désarçonnant, mais aussi de haute tenue et dont les polémiques engendrées par quelques phrases-clés ne rendent qu’imparfaitement compte.
Dans un verbe à la fois fort et subtil – auprès duquel le discours de Sarkozy à Latran fait figure de manifeste laïque-, fortement empreint des grandes figures du personnalisme et de l’humanisme modernes, convoquant Emmanuel Mounier, Simone Weil, Paul Ricoeur et quantité d’écrivains chrétiens, le président a dressé une sorte d’état des rapports actuels et à venir entre l’Eglise catholique et le pays. Le chef de l’Etat est revenu, avec justesse, sur l’engagement concret de nombreux catholiques dans la vie de la cité, à travers de nombreuses actions caritatives, humanitaires, sociales, spirituelles, dans les secteurs hospitaliers, carcéraux, mais aussi, d’une façon plus générale, sur la très grande adaptabilité réelle du monde catholique aux situations concrètes auxquelles il est confronté, indépendamment de l’intolérance de certains dogmes : ainsi Emmanuel Macron a-t-il tout à fait à juste titre évoqué le soutien concret apporté par de très nombreux catholiques à des personnes dont la situation familiale ou sociale ne correspond pourtant a priori pas à l’idéologie de l’Eglise (homosexualité, homoparentalité, familles recomposées, etc).
Sur le plan politique, la ligne présidentielle tracée dans ce discours est plus astucieuse qu’elle n’en a l’air, cherchant à dessiner une voie pragmatique entre la liberté et le respect de la dignité : en plein contexte de contestation sociale, il faut comprendre qu’on chercherait là un chemin entre le libéralisme qui préside idéologiquement aux dogmes bruxellois et le respect (et donc la protection) des individus en tant que personnes (le même discours prononcé au Crif aurait tout aussi bien convoqué Lévinas au lieu de Mounier, il se serait toujours agi d’un Emmanuel…), même si l’on peut se demander ce que penserait la grande Simone Weil de la mise en concurrence des services publics, elle qui adhéra à l’anarcho-syndicalisme et s’établit à l’usine… Enfin, la plupart des hommes politiques chrétiens qui sont invoqués (Delors, Schuman,…) sont naturellement de bons apôtres de cette Union européenne qui constitue le credo principal d’Emmanuel Macron et dont découle la totalité de son action politique.
Là où les choses se compliquent, c’est lorsque le chef de l’Etat prononce deux phrases qui, dans un contexte de très grande menace sur la laïcité, font figure de bombes : les rapports entre l’Eglise et l’Etat auraient été « abîmés » (sic) et il conviendrait de les « réparer », et, par ailleurs, les catholiques sont invités à s’engager davantage « politiquement », en tant que catholiques.
Dans un contexte paisible, où le pays ne subirait pas les assauts répétés et meurtriers de l’islam radical à visée précisément politique, ces phrases de réconciliation, n’en déplaise aux bouffe-curés old school, seraient plutôt de bon sens. Le président revient d’ailleurs à juste titre sur les racines chrétiennes de la France, ce qui relève de l’évidence historique. Le problème ne vient pas de là.
Inciter les membres d’une religion à s’engager politiquement, dans un contexte d’entrisme politique de l’islam radical, est à la fois irresponsable et dangereux : le Président ne pouvait ignorer la résonance particulière de ces mots dans un contexte où l’église catholique est en plein recul sur fond de crise des vocations, quand le prosélytisme islamique, lui, ne cesse de s’étendre. Ce ne sont pas les luthériens ni les bouddhistes qui vont soudain vouloir s’emparer de cet appel à l’engagement politique des religieux, et l’équité entre les cultes que commande justement le principe de laïcité obligera le Président à prononcer les mêmes paroles et accorder les mêmes objectifs aux membres de toutes les religions.
Pareillement, Emmanuel Macron évoque l’importance de la spiritualité dans l’engagement concret de chacun, à travers la notion intéressante d’ « effectivité ». Là encore, on ne peut que lui donner raison sur le fond, et on a bien vu à travers la figure du colonel Beltrame combien l’engagement républicain et une foi profonde pouvaient être indéfectiblement liés et précisément effectifs. Mais les défenseurs de la laïcité, hormis quelques pachydermes réincarnés des radicaux-socialistes d’autrefois, ne contestent pas l’importance de la vie spirituelle pour chacun dans le cadre de ses pratiques privées, ni la manière intime dont chacun peut déployer sa foi dans son action publique. Les agnostiques, voire les athées ont une vie spirituelle et réfléchissent à la transcendance ou au sens de la vie, à leur manière, et, même dans l’hypothèse d’une vie totalement privée de transcendance, un solide sens de l’humanité et du respect d’autrui pourra servir de guide spirituel pour mener une vie d’honnête homme. Le problème n’est donc pas là mais réside dans la volonté de certains d’imposer leur vision de la spiritualité dans l’espace public : vêtements, comportements, intolérances, interdictions, évictions des femmes de certains espaces, violences contre les membres d’autres religions, mais aussi interventions dans le champ bio-éthique etc. La spiritualité ne dispense jamais mieux ses effets positifs sur la société que lorsqu’elle s’exerce dans le cadre privé.
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