Article rédigé par Pierre Alonso, le 03 janvier 2018
source[Les manifestations entamées jeudi s’étendent dans le pays. D’abord motivé par des préoccupations économiques, ce mouvement élargit ses critiques au régime.
Ils étaient quelques centaines dans une seule ville jeudi. Ils sont désormais des milliers dans tout le pays. En quatre jours, les manifestations ont pris en Iran une ampleur inédite depuis le mouvement de 2009 contre la réélection du président ultra-conservateur Mahmoud Ahmadinejad.
Sur les réseaux sociaux, à commencer par Telegram, de très nombreuses vidéos circulent montrant des rassemblements à travers tout le pays, dans les petites comme dans les grandes villes, dans le centre comme dans la périphérie, qui abrite les minorités ethniques. Ci-dessous, celle postée par la journaliste Farnaz Fassihi:
#IranianProtests have not quieted down, we are getting videos w/delay due to interne & app disruption. #Tehran:#تطاهرات_سراسری
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Comment ont commencé les manifestations?
La première a eu lieu jeudi à Mashhad, la deuxième ville du pays, qui abrite le plus grand lieu de pèlerinage chiite en Iran. Le mot d’ordre est alors essentiellement économique, contre la vie chère et le chômage. Trois décisions récentes nourrissent ce mécontentement, relève Clément Therme, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies (IISS). Le gouvernement a décidé de fermer plusieurs établissements de crédit qui croulaient sous les dettes. «La région du Khorassan [dont fait partie Mashhad, ndlr] a été très touchée par ces fermetures», précise Fariba Adelkhah, chercheuse à Sciences Po. «Les Iraniens ont eu le sentiment d’avoir été volés par l’Etat. Sous Ahmadinejad, le gouvernement sauvait coûte que coûte ces établissements «pourris», ajoute Clément Therme.
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Plus prosaïquement, le prix des œufs et de la volaille a de nouveau augmenté en décembre, atteignant une hausse de 50% en un an, selon les chiffres de la Banque centrale iranienne. Le 10 décembre, le président Hassan Rohani, réélu en mai sur la promesse d’améliorer la situation économique du pays, a présenté son budget au parlement, qui concrétise ses engagements d’assainir les finances de l’Etat. Pour la première fois, celui-ci faisait apparaître les dépenses pour les fondations religieuses, les centres de recherche et d’autres institutions non élues liées au régime. «Les gens ont appris que les religieux se taillaient la part du lion dans le budget, sans devoir rendre de comptes, alors que le quotidien des Iraniens devient plus difficile», estime Omid Memarian, un analyste iranien cité par BuzzFeed.
Quelles sont les revendications?
«Ce n’est ni une révolution ni un mouvement politique, mais plutôt l’explosion des frustrations sur la stagnation politique et économique que la population iranienne avait refoulées», juge Ali Vaez, de l’International Crisis Group. Dès la première manifestation de Mashhad, les slogans ont débordé les seules revendications économiques, pour cibler Hassan Rohani et la politique régionale de la République islamique. «Pas Gaza, pas le Liban, ma vie en Iran!» ont scandé certains manifestants pour protester contre le soutien, notamment financier, accordé à des groupes palestinien ou libanais, comme le Hezbollah.
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Des vidéos montrent des manifestants s’en prenant au guide suprême, Ali Khamenei, soit en scandant des slogans («Désolé, seyed Ali, nous devons réagir!»), soit en déchirant son portrait. A plusieurs reprises depuis jeudi, les protestataires ont attaqué des bâtiments publics, des centres religieux et des banques ou des sièges du Bassij (milice islamique du régime).
Comment le régime répond-il?
Le président Hassan Rohani a attendu dimanche soir pour s’exprimer. Tout en rejetant «la violence et la destruction de biens publics», il a assuré que «la population [était] libre de critiquer le gouvernement et de manifester». Lundi, il s’est montré plus sévère: «Le peuple iranien répondra aux fauteurs de troubles et aux hors-la-loi», a-t-il menacé, qualifiant les protestataires de «petite minorité qui […] insulte les valeurs sacrées et révolutionnaires».
Le gouvernement n’a pas l’air enclin à employer la force brute, de peur que cela fasse le jeu de ses opposants intérieurs ou de ses ennemis à l’étranger. Mais sa patience sera bientôt à bout
Ali Vaez, de l’International Crisis Group
Pour l’heure, ni les Gardiens de la révolution (la puissante armée idéologique du régime) ni les redoutées milices des bassidjis n’ont été déployés dans les rues, mais la présence policière était forte lundi dans les rues de Téhéran, selon plusieurs journalistes sur place. «Le gouvernement n’a pas l’air enclin à employer la force brute, de peur que cela fasse le jeu de ses opposants intérieurs ou de ses ennemis à l’étranger. Mais sa patience sera bientôt à bout», observe Ali Vaez.
Le porte-parole du gouvernement, Mohammad Bagher Nobakht, a tenté dès samedi soir d’apaiser la situation en s’attaquant à l’origine de ces manifestations. Il a annoncé que le prix de l’essence n’augmenterait pas de 50% à partir du 21 mars 2018, date de la nouvelle année iranienne, contrairement à ce que prévoyait le budget. «Le régime est extrêmement inquiet, note Clément Therme. Pour l’instant, ce sont majoritairement les classes populaires qui se mobilisent, mais les autorités ont très peur que les classes moyennes de Téhéran les rejoignent. L’édifice serait alors en danger.» Les tenants de la ligne dure du régime, opposés au gouvernement actuel, ont semblé au tout début accueillir favorablement ce mouvement de protestation, voire l’encourager. Mais ils ont vite été dépassés par ce mouvement sans leader. Lundi, plusieurs contre-manifestations de soutien au pouvoir et opposées aux «fauteurs de troubles» ont eu lieu dans le pays.