Article rédigé par Caroline Artus, le 02 octobre 2017
source: [Boulevard Voltaire]
Vous devez vous rendre à Neuchâtel, en Suisse, ce week-end ? Pensez à faire le détour par la gare, le rond-point nouveau est arrivé. Avec sa jolie composition florale, ses géraniums vivaces bleus, ses topinambours d’un beau jaune étoilé, ses camélias rouges, blancs et roses, plaisir des yeux qui prêtent à la rêverie romantique en ces premiers jours d’automne ? Euh… pas vraiment. Mais quoi, alors ?
Une « sculpture éphémère ». Aïe, ça ne commence pas très bien. Car cela nous en rappelle d’autres, d’œuvres éphémères et pas si lointaines, comme, place Vendôme, le plug anal, dans les jardins de Versailles, le vagin de la reine, ou encore, au palais de Tokyo, un artiste couvant des œufs. « Comme un iceberg mis à nu », c’est ainsi qu’elle s’appelle, cette sculpture qui « exposera fièrement ses formes aux pendulaires et autres usagers de la gare », relève la presse. C’est vrai qu’ils n’attendaient que ça, les usagers…
Sa forme est phallique. Intéressant ! Mais non, ce n’est ni un phallus ni un plug ni une bouteille de monbazillac, alors qu’est-ce que cela peut-il bien être, nom d’une pipe ? Vu le lieu, je n’avais, je l’avoue, pas compris : c’est un clitoris géant ! Il fallait bien cela, n’est-ce-pas, pour faire « un clin d’œil dans l’espace public ». Un clin d’œil ? Mais à propos de quoi et à qui ? À quel genre d’adultes et… aux enfants aussi ?
Et qui en est l’heureux(se) concepteur(rice) ? Cette sculpture est sortie tout droit du cerveau de Mathias, Mathias Pfund, étudiant en arts visuels à la Haute École d’art de Genève. Ça en jette ! Un étudiant passionné par « les questions liées au genre », lesquelles « constituent une surface très large à parcourir ». Vous m’en direz tant !
Écoutons ce très sérieux étudiant un tout petit instant : « Dans mon processus de réflexion, j’essaie toujours d’hybrider mes références en allant par exemple chercher des réponses formelles dans d’autres champs du savoir ; ceci permet d’injecter de nouvelles dialectiques et d’échapper à une lecture unilatérale de l’objet produit. » Y a pas à dire, son « concept onirique à tendance kafkaïenne » semble bien coexister « avec la vision sublogique de sa vie intrinsèque », lui répondrait Sempé.
Plus sérieusement, comment ne pas déduire dans l’autorisation d’exhiber toutes ces pseudo-œuvres artistiques, qui plus est trivialement sexuelles, les prémices déjà bien avancées de la décadence de l’Occident ? Jeter l’intimité en pâture plutôt que de la préserver, pour ne pas dire la protéger, comme dénigrer le beau et encenser le laid ne sont-ils pas le signe d’une civilisation intellectuellement, affectivement, de plus en plus handicapée ? Voire en état de décomposition avancée ?
Le rond-point à la sortie de la gare est la première vitrine de la ville pour le voyageur fraîchement débarqué. À Neuchâtel, ce sera donc, pendant trois semaines, un clitoris géant. Quel bel accueil pour les migrants !