Article rédigé par Boulevard Voltaire, le 02 août 2017
[Source : Boulevard Voltaire]
Vacances dans notre beau Sud-Ouest. Le bonheur. Les petits villages perchés, magnifiques, s’offrant à vous le matin, vierges comme aux premiers jours. Les vallées encaissées, et au fond cette rivière. Mais est-ce le Lot ? Le Tarn ? L’Aveyron ? On ne sait plus, car on est dans le Tarn-et-Garonne et ce sera peut-être l’Aveyron, là au fond, devant vous, superbe depuis cette terrasse. On est dans le Lot, et c’est la Dordogne là, en bas. Pays de l’enfance, ou du rêve d’enfance, arrière-pays d’Yves Bonnefoy, pays des Roseaux sauvages de Téchiné, pays du Vieux fusil aussi. Jardins et terrasses où Romy Schneider et Catherine Deneuve ont pris un verre. Et puis vous, nous, les figurants, les amateurs, les aventuriers anonymes.
Les slogans touristiques des départements, qui suscitent l’ironie, disent pourtant vrai. Ici, c’est « le pays de l’aventure douce », et là, chez le voisin, « une merveille à chaque pas ». On ne saurait mieux dire que la com’ des conseils généraux.
C’est la magie de cette terre bénie des dieux, ce pays de cocagne, du pastel. Le temps d’un été, les soucis de soi et du monde sont, sinon oubliés, du moins recouverts par plus essentiel. Quelque chose qui tient du poétique et du religieux. De l’esthétique et du métaphysique. Du sentiment et de l’émotion : cette vue, cette ombre sur la place à arcades. Cette église perdue, persistant dans son être. Cette vue à 360° sur les causses. Un allègement, un rajeunissement de tout l’être.
Et puis vient le temps du retour au minimum de société nécessaire, car nous ne sommes pas des anges. Trouver un gîte pour la nuit. Tiens, ces chambres d’hôtes. Un ancien presbytère. Avec vue sur l’église, et le château, majestueux dans ses ruines. Justement, il reste une chambre libre. Le bonheur.
Les hôtes sont des Parisiens reconvertis, vivant leur seconde vie comme un rêve. On les comprend. La conversation tourne sur les beautés de la région. Et puis : « Ici, beaucoup d’Anglais. Et d’ailleurs, ce sont eux, quand on a annoncé la création d’un CAO (centre d’accueil et d’orientation des migrants), qui se sont mobilisés, se sont occupés d’eux, car vous savez, cela demande du temps ! C’était formidable ! Sous leur impulsion, tout le village a suivi ! » Tout cela proféré avec un enthousiasme sincère.
Ainsi va la question migratoire dans un des plus beaux villages de France.
Ah, si, il y a quand même quelque chose qui dérange nos logeurs : entre leur petit paradis et le magnifique village, un habitant a fait construire sa maison. À la mode d’aujourd’hui. Avec les moyens dont il disposait, limités. Une maison neuve, quelconque certes. Mais c’est le projet d’une vie, d’une famille. Qui voulait, elle aussi, avoir une vue sur ce village qui est le sien depuis des générations. Et qui n’avait pas les moyens de faire mieux. « Mais, vous comprenez, entre l’église et le château, quel gâchis ! Ça nous a rendus malades ! »
Le propriétaire de la maison, c’est le paysan du coin, qui a repris la ferme de ses parents. Élevage, fromagerie, un peu d’agrotourisme. Il survit comme il peut. Il doit bien avoir quelques droits moraux sur cette terre, cette vue ? Un peu de droit du sol pour lui aussi, non ? Et lui, il n’a pas bénéficié de la mobilisation « de tout le village », quand il a été à deux doigts de la faillite…
Que penseront-ils, nos hôtes bobos, quand on ouvrira une mosquée, à l’architecture au moins aussi inappropriée que cette maison, ou un CAO, juste à côté de leur petit paradis ? Quand cela viendra déranger LEUR petit bonheur et LEUR petit business ?