Article rédigé par Réinformation TV, le 11 juillet 2017
La Fed, banque centrale des Etats-Unis, est passée de l’autosatisfaction au pur délire. Sa présidente, Janet Yellen, très optimiste, vient de juger que nous ne connaîtrons plus de crise financière « de notre vivant ». Or, au moment même où cette grande prêtresse de l’euphorie financière prêchait à Londres, l’Institute of International Finance montrait que la dette globale mondiale atteint 217.000 milliards de dollars (190.000 milliards d’euros), représentant 327% du produit brut mondial contre 276% en 2017. C’était juste avant que le système financier occidental ne s’écroule suite à l’insolvabilité d’une catégorie d’emprunts américains, les « subprime loans », entraînant l’effondrement des marchés du crédit.
Claudio Borio, économiste à la Banque des règlements internationaux (BRI), temple de l’orthodoxie monétaire, estime au contraire que personne ne sait ce qui arrivera à l’heure du dénouement, mais qu’il surviendra inévitablement. Or, comme la monnaie moderne n’est assise que sur des dettes dont on espère le remboursement avec intérêt, c’est tout le système qui est menacé. Borio explique dans The Telegraph : « Mme Yellen a peut-être raison de dire que les banques américaines sont globalement en excellente santé, mais elle insulte l’avenir en déduisant que le système dans son ensemble est bien plus sûr et plus sain. »
Janet Yellen est optimiste, mais la dette mondiale est hors de contrôle
Les techniciens de la finance s’inquiètent de la façon dont les chambres de compensation, qui règlent des milliards de dollars de produits dérivés, supporteraient un orage monétaire. Des lois ont engendré un angoissant manque de liquidités. La dette marginale à Wall Street atteint un niveau record. Le marché du crédit est à ce point perverti que l’Argentine, pourtant habituée aux défauts en série, vient de recevoir un accueil délirant pour son emprunt à 100 ans. Pour Mark Oswald, expert du crédit chez ADM, « on assiste à un endettement général, le système atteint un niveau critique ».
Les pays occidentaux ont basculé dans le piège de la dette, le crédit explose en Chine
Le plus inquiétant en ce moment, c’est la quantité de pays qui ont basculé dans le piège de la dette, ce niveau à partir duquel l’endettement ne peut baisser. Le ratio de dette publique sur le PIB a bondi de 32 points en France (à près de 100% sans compter les engagements sur les retraites publiques ou la dette des établissements publics commerciaux), de 41 points aux Etats-Unis, de 49 points au Royaume-Uni, de 55 au Japon et de 60 en Espagne.
Simultanément, du côté des émergents, la Chine et les marchés similaires ont emprunté à tour de bras, ajoutant, tous secteurs confondus, mille milliards de dollars de dette nette tous les quatre mois. En 2008, la Chine a pu absorber le choc Lehman Brothers grâce à un gigantesque assouplissement fiscal et monétaire, protégeant ses exportateurs. Aujourd’hui, c’est elle qui est l'épicentre du séisme à venir : elle a accumulé en six ans plus de dettes que celles, cumulées, des comptes des Etats-Unis et des banques japonaises.
Globalisation, numérisation : la solution par l’inflation paraît inaccessible
Le système financier mondial pourrait-il s’en sortir par le retour de la vieille inflation qui, en détruisant de la monnaie, réduit le poids relatif des dettes ? Claudio Borio n’y croit pas : « Des indicateurs avancés de stress traduisent des bulles financières qui, dans certains pays, sont similaires à celle qui a précédé la dernière crise. » La Fed a sous-estimé les effets déflationnistes de la globalisation. L’entrée de deux milliards de personnes – Chine et Europe de l’Est – dans l’économie globale après 1990 a constitué un choc historique sur l’offre, démultiplié par la numérisation. Ce double phénomène a induit de la déflation, détruisant les modèles inflationnistes. Les banques centrales auraient alors dû ramer à contre-courant, resserrant leur politique pour brider le crédit.
Les taux d’intérêts avoisinant zéro et l’assouplissement quantitatif ont maintenu le couvercle sur le niveau d’endettement. Rappelons que les banques centrales ont racheté du papier à hauteur de 26.000 milliards de dollars depuis la crise. La Banque nationale suisse a acheté pour 100 milliards d’actions pour faire baisser le franc. Au Japon, la banque centrale détient les deux tiers du marché japonais des fonds indiciels négociables…
La normalisation monétaire par la Fed « peut déclencher un explosion financière »
Que se passera-t-il quand ces banques centrales resserreront leur politique monétaire ? La Fed a déjà augmenté ses taux trois fois depuis décembre et entend alléger son bilan de 4.400 milliards de dollars avant l’automne. La BCE et la Bank of England amorcent leur conversion. Pour le Pr Danny Blanchflower, ancien spécialiste de la notation financière, « une normalisation pourrait déclencher ou amplifier une explosion financière dans les pays les plus vulnérables ». On pense au service de la dette publique française qui pourrait atteindre, en cas de relèvement des taux, un niveau incompatible avec ses finances publiques.
Janet Yellen, dans son optimisme, perpétue le mythe selon lequel les origines de la faillite de Lehman Brothers résident exclusivement dans le comportement des banquiers et des spéculateurs. Or ce sont les gouvernements et les banques centrales qui fixent les politiques monétaires.
Ce fut le gouvernement de Bill Clinton qui imposa les subprime loans
Et ce fut le gouvernement de Bill Clinton qui, par pure démagogie sociale, obligea les banques à accorder des prêts immobiliers aux ménages insolvables, ces subprime loans qui firent exploser le système. Pour l’analyste du Telegraph Ambrose Evans-Pritchard, « il faut être clair » : « La Fed a favorisé la bulle internet des années 1990. Elle est à l’origine de la bulle des subprimes qui a causé l’effondrement de Lehman. Et, quelles que soient les théories de Mme Yellen, elle a déjà préparé les conditions de la prochaine crise. L’effondrement pourrait être dévastateur au point de remettre en cause la survie politique du capitalisme. Le piège du pacte faustien se referme. »
Matthieu Lenoir