Article rédigé par Claire Auban, le 14 juin 2017
Depuis l’installation de Jean-Michel Blanquer rue de Grenelle, le 17 mai dernier, l’opinion publique à son égard divisée. Jean-Michel Blanquer était directeur général de l’ESSEC ces dernières années. Autre poste significatif: il occupa de 2009 à 2012 la fonction de DGESCO sous le ministère de Luc Chatel. C’est un homme qui connaît la machine Education nationale (il a été le très actif et médiatique recteur de Créteil), qui est animé par une vraie volonté de réformer et sauver l’école de notre pays. Il a une vision structurée et claire de ce qu’il veut faire, et l’a expliqué dans deux libres principaux : L’école de la vie (paru en 2014) puis L’école de demain (en 2016). Cela tranche déjà très avantageusement avec ses prédécesseurs.
Ces ouvrages ont clairement inspiré Emmanuel Macron dans l’élaboration de son programme présidentiel. Très tôt, notre ministre avait déjà un programme pour la France dans le but de mettre en place différentes réformes qui selon lui, auront un fort impact dans le relèvement de l’Éducation Nationale. La baisse des effectifs scolaires en CP et CE1 des classes en catégorie REP ou REP+, en raison de son applicabilité dès la rentrée prochaine, est sans aucun doute celle qui fait couler le plus d’encre. Cet article n’y fera pas référence, car il en a été question dans l'article sur la première réforme éducative que prendra Macron. Mais de nombreux médias oublient d‘aborder le fond du sujet, faisant fi des idées de notre nouveau ministre de l’Éducation Nationale quant aux problématiques sociales et gouvernementales que présente l’éducation des élèves par l’institution qu’est l’École.
Une vidéo d’introduction de ses idées au travers de quelques faits :
L’unification de l’éducation entre les parents et l’école
Jean-Michel Blanquer estime que les parents doivent pouvoir choisir l’école qui assurera au mieux le respect de leurs valeurs. Ce point est d’une grande importance puisque « le premier facteur de réussite des élèves est l’implication des parents dans leur éducation, non seulement à la maison mais aussi à l’école ; Autrement dit la confiance que la famille met dans l’école. Pour cela il faut que les familles partagent les valeurs de l’école, les comprennent, les partagent, les intègrent et les fassent vivre à leurs enfants » . Par là, « les parents ont une co-responsabilité dans l’éducation des enfants, une des conditions de la réussite de ceux-ci est la convergence entre les valeurs de l’école et celles de la famille ». Il est donc nécessaire de « pencher pour une culture du rassemblement scolaire entre l’institution scolaire et les familles. » (NDLR: nous récusons, pour notre part, le terme de co-éducation, qui vient tout droit de la vision du monde promue par la FCPE par exemple. Les parents sont principaux éducateurs et délèguent- tout en devant exercer leur contrôle- une partie de la mise en oeuvre de leurs responsabilités à des tiers plus qualifiés ou plus disponibles qu’eux: les professeurs donc l’institution scolaire. Cette nuance est décisive.)
Jean-Michel Blanquer auprès de l’association Parents Professeurs Ensemble :
La refonte de la réforme du collège
La réforme du collège du gouvernement Hollande « illustre la dérive d’une conception du collège unique vers l’uniformisation par l’égalitarisme » via la suppression des « choix d’excellence ». Jean-Michel Blanquer propose de substituer au « collège unique » un « collège commun » qui doit à la fois s’inscrire dans la continuité de l’école primaire et proposer aux élèves des « parcours personnalisés ». Il faudrait donc renforcer les apprentissages avec « deux heures d’étude dirigée obligatoires tous les jours » mais aussi distinguer dans le socle commun « un socle fondamental, français et mathématiques », pour lesquels seraient mis en place des « groupes de compétences » et « un second ensemble plus large » avec des « parcours de réussite » et des dominantes qui pourraient être arts, ou sports, ou sciences, ou humanités, ou pré-professionnalisation… Chaque élève aurait ainsi le droit de choisir sa filière d’excellence en fonction de son talent. La carte scolaire pourrait évoluer pour élargir « le périmètre de choix », ce qui favoriserait « la coopération et l’émulation entre établissements », et aiderait à résoudre certains problèmes de gestion, comme le remplacement d’un enseignant absent ou l’organisation des options.
La défense de la culture et de la langue au travers de l’éducation
Jean-Michel Blanquer prévoit de rétablir l’enseignement du latin et du grec dès la 6ème afin de revaloriser l’apprentissage du français, que ce soit en zone prioritaire ou pas. Jean-Michel Blanquer a aussi critiqué, à juste titre, la « novlangue » utilisée dans la rédaction de la réforme du collège, initiée par Najat Vallaud-Belkacem. Il la considère comme une façon de rabaisser notre langue (ndlr, et donc notre pensée). On retrouve ce langage absurde dans les textes de la réforme des collèges : la piscine était transformée en « un milieu aquatique profond et standardisé », dans lequel il convient de « traverser l’eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête. » Il n’était plus question de « courir », mais de « créer de la vitesse ». L’apprentissage des langues étrangères devait se résumer en cet obscur et magnifique slogan : « aller de soi et de l’ici vers l’autre et l’ailleurs ». Toutes ces belles périphrases nous rappellent le langage des Précieuses qui, avec justesse, ont autrefois été qualifiées de « ridicules » . Un tel jargon montre encore de nos jours la prétention des rédacteurs en même temps que l’inanité de la réforme des collèges. En effet, de telles formules ne servent qu’à dissimuler le vide des programmes et sont la cause des difficultés de compréhension d’un bon nombre d’élèves et de leurs parents.
Le nouveau ministre souhaiterait restaurer cet amour de la langue française, loin de la prétention des pédagogistes qui se gargarisent d’expressions obscures. Il réhabiliterait la grammaire, l’apprentissage des conjugaisons, la lecture qui doit être promue et valorisée et ce dès le plus jeune âge. En somme, il prévoit une réforme des programmes par la concentration de l’élémentaire sur l’acquisition des fondamentaux qui remettront à l’honneur la langue française.
Réorganisation du bac
Le bac se concentrerait autour des quatre matières fondamentales. Jean-Michel Blanquer veut le « remuscler » mais pas le densifier. Emmanuel Macron parlait de seulement « 4 matières obligatoires à l’examen final ». Les résultats de l’examen seraient par la suite « validé[s] par un contrôle continu ». Le bac doit surtout faire un lien entre le lycée et les études supérieures : « Il faut maintenir [le baccalauréat], c’est très important mais il faut que pour les jeunes, ce soit un pont : cela veut dire que tous nos raisonnements vont être des raisonnements de continuité entre le lycée et un BTS ou une licence, que ce soit une suite logique, qu’il n’y ait pas de déperdition ».
Au sujet du bac, l’interview de M. Blanquer sur RTL :
L’autonomie
Jean-Michel Blanquer estime qu’il est nécessaire de promouvoir une innovation éducative de la part des professeurs d’école pour réformer le collège et le lycée en profondeur. En effet il dit lui-même : « Mon message aux enseignants, c’est qu’il n’y a pas de chape de plomb : qu’ils se sentent libres, qu’ils innovent, qu’ils créent. » Disposant d’une autonomie beaucoup plus forte, ceux-ci auraient à leur tête un chef d’établissement qui conserverait « quand c’est possible, une activité d’enseignement », mais qui appartiendrait au même corps que les inspecteurs pédagogiques (les IA-IPR). (NDLR: il convient de ne pas être irénique à ce sujet. Tant que l’Inspection ne change pas radicalement d’approche, se comporter de manière ouverte en homme libre et responsable de ses choix pédagogiques demeure un sport à haut risque pour des enseignants de l’Education nationale ou des écoles sous contrat. ) Ils ne seraient pas seuls maîtres à bord, l’équipe de direction pourrait être composée d’une dizaine d’adultes « dont une bonne partie serait des enseignants acceptant de prendre des responsabilités et de jouer un véritable rôle d’adjoints pédagogiques ».
Celui-ci se revendique d’une approche pragmatique et expérimentale, favorable aux méthodes qui fonctionnent. Il conseille aux professeurs de s’appuyer sur des pratiques reconnues par la science. Leur formation doit d’ailleurs s’appuyer sur la recherche « nationale et internationale ».
Revendiquant une école proche du terrain, Blanquer soutient les initiatives d’Espérance banlieues :
L’évaluation
Ce thème constituerait un changement inédit pour l’école. En effet, il faut selon lui « piloter le système par l’évaluation », avec « des évaluations bilans des élèves systématiques en fin d’année » et « une large publication des résultats des écoles et des établissements, dans une logique d’open data ». L’inspecteur général pensait aussi à « la mise en place systématique d’études dirigées, encadrées par des professeurs ou des étudiants qui se destinent à l’être ».
Il a récemment confié à ToutEduc les nombreux défis de ce quinquennat : « réduire le pourcentage d’élèves en échec », « mettre fin à toutes les formes de fausses valeurs véhiculées par le système, du relativisme culturel à l’égalitarisme niveleur en passant par le périphérique ludique et le pédagogisme », « ramener l’ensemble des élèves vers la culture française et la communauté nationale, car trop nombreux sont ceux qui ne s’y reconnaissent pas, ce qui conduit au dénigrement de la Nation et à la haine d’autrui ».
Notre nouveau ministre nous a révélé un programme bien ambitieux car décidé à se confronter durant sa période de fonction aux faiblesses de l’Éducation Nationale. Cela ne sera pas une mince affaire et les résultats ne seront certainement pas immédiats. Tout dépendra de son aptitude à neutraliser le conservatisme et le corporatisme des syndicats.
Source : La fondation pour l'Ecole