Article rédigé par Didier Beauregard, le 02 mai 2017
[Source : Polémia]
Finalement, le Système a réussi son pari : recomposer au centre de la vie politique française sur la base d’un corpus idéologique libéral, mondialiste, européiste et atlantiste. Cette thèse que nous développons depuis des années, dans les colonnes de Polémia notamment, va trouver son aboutissement le dimanche 7 mai avec l’élection programmée d’Emmanuel Macron : le grand favori des sondages et des médias.
L’affaire est-elle pliée pour autant ? Le rapport de forces au soir du deuxième tour, évalué autour des 62/38, était nettement à son avantage, mais la partie n’est pas encore jouée et la Boîte de Pandore de la recomposition une fois ouverte, il est bien difficile de savoir qui la contrôlera. Le Système, bien sûr, va déployer tous ses moyens et ses stratagèmes pour assurer une large victoire à son candidat, mais, de fait, il semblerait bien que quelque chose dans l’air du temps annonce que la bataille sera beaucoup plus rude que prévu.
Tout un chacun peut rencontrer autour de soi nombre d’électeurs de droite qui affirment qu’ils ne voteront jamais Macron ou qu’ils voteront Marine.
En quelques jours de campagne de deuxième tour menée tambour battant, la candidate FN a gagné 2 points à 40%. 10 points à prendre en une semaine apparaît objectivement comme un défi insurmontable, mais nous entrons dans une période où les cadres anciens s’effondrent et où, en conséquence, des masses d’électeurs se cherchent hors des repères traditionnels. Ces nouveaux espaces sont aujourd’hui difficiles à appréhender et laissent la porte ouverte à des scénarios surprises.
De fait, le ralliement à Marine Le Pen de Dupont-Aignan et le refus de Mélenchon de donner une consigne en faveur de Macron sont déjà des bouleversements qui tournent une page de l’histoire politique contemporaine : la première secousse d’un séisme à venir à plus ou moins court terme, alors que, n’en doutons pas, le débat des 2 candidats peut faire bouger les lignes. En attendant le jugement définitif des urnes au soir du 7 mai, plusieurs leçons peuvent être tirées des résultats du premier tour.
La question européenne
Quelle que soit sa légitimité politique, le sujet de l’euro et des institutions européennes n’est pas un sujet prioritaire pour les Français. Pire encore, il fait peur et provoque des réactions de rejet et de blocage. L’électorat français est un électorat globalement âgé et 90% des plus de 70 ans n’ont pas voté pour la candidate du Front National.
La sortie de l’euro et la retraite à 60 ans, sont les deux arguments systématiquement mis en avant par les électeurs de droite pour ne pas voter, ou encore hésiter à voter, pour Marine Le Pen ; suivis par le maintien des 35 heures et la crainte des conséquences de nouvelles barrières douanières pour notre économie. L’économie a ainsi joué un rôle de frein à la hausse auprès d’un public désormais sensible au discours sécuritaire et identitaire du FN.
On peut donc affirmer que l’économique reste le fondement de la légitimité d’une force politique pour accéder au pouvoir. Cette légitimité ne dépend pas que de la pertinence d’une doctrine et d’un programme, mais d’abord de ce que l’état d’esprit collectif peut admettre et comprendre. En clair, l’économique nécessite beaucoup de pragmatisme et de souplesse pour prendre le pouvoir et beaucoup de rigueur et d’opportunisme une fois au pouvoir.
On a pu voir d’ailleurs, en vue du premier tour de la campagne, combien, dès le lendemain de sa victoire aux primaires, François Fillon a rapidement décroché de plusieurs points dans les sondages sur les deux mesures jugées inacceptables de son programme par la conscience collective des Français : l’atteinte au principe sacré de la Sécurité sociale et l’effet « chiffon rouge » des 500.000 fonctionnaires en moins. Qu’il ait eu raison ou tort au strict plan économique n’était plus vraiment le sujet.
Le candidat de la droite a alors commis deux fautes majeures : il n’avait pas prévu l’effet choc de ces mesures sur l’opinion publique et l’exploitation que ses adversaires pouvaient en faire ; déstabilisé, il s’est entêté « droit dans ses bottes », tout en embrouillant son message pour sembler lâcher du lest. De l’art de paraître, à la fois, dur et faible, rigide et indécis.
De la même façon, la proposition fantaisiste de Benoît Hamon sur le revenu universel a globalement décrédibilisé le candidat officiel du PS et n’a convaincu, tant bien que mal, que le noyau dur d’un électorat socialiste déboussolé.
Il faut d’autant plus être souple et pragmatique sur l’économique que l’on est convaincu que l’essentiel du combat politique se joue ailleurs, c’est-à-dire sur le civilisationnel et les valeurs.
C’est dans ce champ politique que le Front National assoit sa plus forte légitimité. Sur les sujets de sécurité et d’immigration, les sondages montrent depuis des années que Marine Le Pen est considérée par les Français, au-delà de sa famille idéologique, comme la personnalité politique la plus crédible. Ce capital de confiance est un atout majeur sur lequel il faut miser sans retenue. Un nouveau sondage confirme que 80% des électeurs du FN votent d’abord en raison des questions liées à l’immigration.
Le discours « europhobe » ciblé par les ennemis de la candidate du Front National a, en quelque sorte, parasité la puissance de l’héritage du FN en termes d’identité et de sécurité. Il n’est pas absurde de penser qu’une campagne moins centrée sur l’euro, tout en dénonçant les tares de la machine bruxelloise, aurait permis à Marine Le Pen de virer en tête au premier tour, avec peut-être même une avance significative sur le candidat du Système.
L’enjeu économique
De la même manière, au plan strictement économique, celui qui concerne la croissance et l’emploi, deux mesures, comme la retraite à 60 ans et le maintien en l’état des 35 heures, ont brouillé, aux yeux de nombreux électeurs de droite et de l’ensemble du monde entrepreneurial, le message également pro-entrepreneuriat de la candidate du Front.
Ces mesures pourtant sont bel et bien présentes dans les 144 propositions : allégement de l’impôt sur les sociétés (IS) et des charges sociales des PME, allégement du seuil social de 50 salariés, mesures en faveur de la fiscalité du capital et de l’investissement, simplification administrative, plus large accès des PME et ETI françaises aux marchés publics.
Toutes ces dispositions forment un bloc cohérent qui n’a pas été bien perçu par le grand public et que, naturellement, les ennemis de la candidate et les médias dans leur ensemble n’ont rien fait pour mettre en avant. Il est nécessaire, pour convaincre un électorat de droite hésitant, de recentrer le discours de campagne sur cette approche économique pro-entreprise.
Les réserves sont à droite
Cette idée renvoie à l’enjeu central du deuxième tour qui pose la question fondamentale de la nature politique du Front National : ses réserves de voix sont-elles surtout à gauche ou à droite ?
Les chiffres à priori parlent d’eux-mêmes : les 25% de voix que représentent les électeurs de Fillon et Dupont-Aignan sont beaucoup plus enclins à voter Marine Le Pen (soit au minimum le 1/3 côté Fillon, selon les études pré-premier tour) que les 25% des électeurs de Mélenchon et Hamon (respectivement 10 et 5%).
Il est logique d’imaginer qu’un vigoureux discours sur les valeurs et l’identité puisse d’autant plus convaincre une large fraction nouvelle de l’électorat conservateur (notamment celui issu de la Manif pour tous qui a sauvé la candidature de Fillon dans l’entre-deux-tours) que ce discours civilisationnel s’appuie, par ailleurs, sur une approche économique entrepreneuriale et offensive.
L’électorat de gauche est beaucoup plus dur à conquérir. Pour une première raison simple et mécanique tout d’abord : plus il se réduit, plus il se concentre sur son noyau idéologique dur. Le discours identitaire du FN ne peut donc que marginalement le toucher dans la mesure où les électeurs traditionnels de la gauche, inquiets par l’immigration de masse et la montée de l’islam intégriste, ont déjà largement pris leur distance avec le PS. Quant aux électeurs « modérés » de la gauche, ceux tentés par le recentrage social libéral, ils ont irrévocablement choisi le camp Macron.
En revanche, l’électorat de Mélenchon est potentiellement sensible à la dimension sociale du programme du FN qui, par plus d’un point, recoupe celui du tribun de gauche. Comment alors séduire les Mélenchonistes, sans heurter la droite conservatrice et libérale, sensible au discours des valeurs ? La question n’est pas simple, mais, depuis toujours, elle est au cœur du jeu démocratique : comment réunir des forces contradictoires pour battre une force tierce ?
L’expérience montre qu’il faut d’abord attaquer les positions de l’adversaire pour souligner ses divergences irréductibles avec ceux que l’on veut convaincre. On ne séduit pas, on se rassemble contre. Pour tout un électorat de gauche, Macron est le représentant d’un capitalisme honni et le maître-d’œuvre de la loi dite El Khomri. Une part significative de cet électorat ne votera probablement pas Macron et certains électeurs voteront contre lui.
Cette perspective existe, mais elle ne peut être mise en équivalence avec le vertige du vote Le Pen qui travaille aujourd’hui l’électorat de droite. Ce phénomène, avec la disparition en cours du PS, marque bien la fin d’une époque.