Article rédigé par Maxime Tandonnet, le 12 avril 2017
[Source : Blog de Maxime Tandonnet]
Dans l’ouragan de folie qui souffle sur la France politico-médiatique, il est urgent de revenir à l’essentiel. Que va-t-il se jouer lors des élections de l’élection présidentielle du 23 avril et du 7 mai et des élections législatives des 11 et 18 juin 2017, par-delà l’enfumage que nous subissons au quotidien ?
L’hystérie politico-médiatique se polarise sur les présidentielles. L’affrontement entre des personnalités se prête au sensationnel et à la manipulation dès lors que le choix de l’électeur repose sur les sensations qu’inspire chaque candidat. Voilà pourquoi aux yeux du monde médiatique, seule comptent les présidentielles, livrées à son influence. Or, en vérité, le chef de l’Etat de la Ve République n’a guère de pouvoir propre pour conduire une politique. Il n’est pas censé gouverner le pays. Art 5: « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. »
Cette vision correspond à la conception gaullienne du chef de l’Etat: il est au-dessus de la mêlée politicienne. Son rôle est de fixer un cap à la nation, notamment sur le plan de la politique internationale et d’intervenir dans les périodes de crise. De Gaulle vivait dans l’obsession de la faiblesse du chef de l’Etat en 1940 lors de la débâcle. Il voulait qu’en de telles circonstances, d’une guerre ou d’une invasion, le président ait les moyens de se comporter en « sauveur » du pays.
Mais la mission de gouverner la France, de conduire sa politique économique, sociale, sécuritaire, incombe au seul Premier ministre et au gouvernement: Art 20: « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. Il dispose de l’administration et de la force armée. Il est responsable devant le Parlement. Art 21: « Le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement. Il est responsable de la défense nationale. Il assure l’exécution des lois il exerce le pouvoir réglementaire […].
De Gaulle, en 1958, n’a jamais entendu sortir d’une logique de régime parlementaire. Dans l’esprit de sa Constitution, le pouvoir de gouverner le pays incombe au Premier ministre qu’il nomme mais ne peut pas, lui-même, révoquer. Pourquoi? Parce que dans une République démocratique, il ne saurait y avoir de pouvoir de décision sans la responsabilité et la possibilité d’être sanctionné par le Parlement en cas de défaillance ou d’échec. Tous les actes du Président de la République doivent être co-signés par le Premier ministre ou un ministre, à l’exception de quelques-uns: l’appel au référendum (art 11), mais qui n’est possible qu’à la demande du Premier ministre ou conjointe des deux assemblées; la dissolution de l’Assemblée nationale (art 12); l’usage de l’article 16, la « dictature légale », en cas de guerre ou de révolution.
Dans la Constitution de 1958, le Parlement demeure le seul détenteur du pouvoir normatif suprême, celui de voter la loi. Art 24: « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. Il comprend l’Assemblée nationale et le Sénat. » Le pouvoir de faire les réformes, de façonner la législation, l’organisation de la société française incombe en temps ordinaire à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il se joue principalement au moment des élections législatives. Le Général de Gaulle n’a jamais remis en cause ce principe qui est le fondement de toute démocratie parlementaire.
Alors pourquoi cette belle mécanique mise en place par le général de Gaulle en 1958 a-t-elle sombré dans la dégénérescence?
Toute la vie politique française semble se ramener à la désignation d’un personnage, le président de la République, comme une sorte de gourou national tout puissant. Cette déviance remonte pour l’essentiel à la conquête de l’Elysée par les partis politiques. Le phénomène a débuté dès le départ du général de Gaulle de l’Elysée en 1969. Il s’est gravement accentué en 1981, puis lors des élections suivantes. Le chef de l’Etat n’était dès lors plus un guide de la nation impartial, mais le leader d’un parti politique. Il devenait le patron d’une majorité composée de son parti et de ses alliés.
Un tel scénario était celui du pire au regard de la conception gaullienne qui voulait justement préserver l’Elysée du « régime des partis ». Il a été gravement accentué par le quinquennat adopté en 2000, banalisant la fonction présidentielle. La coïncidence dans le temps entre le mandat du chef de l’Etat et la mandature de l’Assemblée nationale (élue juste après lui) a eu pour effet de transformer celui-ci en un « super député » dont la circonscription est l’ensemble du territoire national, leader naturel de la majorité des députés. Dès lors, il ne pouvait plus prétendre au statut de sage de la nation, de visionnaire et de garant de l’unité nationale. L’œuvre de destruction de la Constitution gaullienne atteignait son paroxysme. La sur médiatisation de ce personnage a ensuite achevé de pervertir la Ve République en renforçant son image de gourou.
Toutes les conditions d’une catastrophe politique était dès lors réunies. La France politique se voyait emportée dans le culte de la personnalité, le mirage d’un leader national tout puissant détenteur du pouvoir suprême sur le destin du pays. Or, de fait, ce gourou national, Ceaucescu ou Kim-Il-Un français, ne détient aucune baguette magique pour régler les difficultés de la nation. Tenu pour bouc émissaire du pays, il passe naturellement en peu de temps du statut de sauveur providentiel à celui de maudit, coupable de tous les maux de la création. Pour tenter de sauver son image, il sombre dans la logorrhée permanente et la gesticulation stérile, entraînant la classe politique médiatisée au loin du monde réel, dans une logique de narcissisme, de communication à outrance et d’impuissance.
En 2017, au paroxysme de la crise politique, il est vraisemblable que ce schéma atteint ses limites. Nous entrons sans doute dans une ère radicalement nouvelle qui n’a plus de rapport avec le fonctionnement classique des institutions. Quel que soit le vainqueur des élections présidentielles, il est très improbable qu’il bénéficiera d’une majorité politique stable, cohérente et durable à l’Assemblée nationale. Seule l’hypothèse Fillon permettrait sans doute de se rapprocher du modèle qui prévalait jusqu’à maintenant. Mais élu dans la douleur, rien n’indique qu’il bénéficierait d’une assise parlementaire soumise et obéissante comme ce fut le cas la plupart du temps des précédents chef de l’Etat. M. Macron, en candidat droite-gauche, sans parti, ne pourrait en aucun cas s’appuyer sur un socle de députés dominant l’Assemblée nationale.
De l’épouvantable crise politique que subit la France peut sortir un chaos durable de cinq années en cas d’explosion politique de l’Assemblée nationale. Mais nous sommes en droit d’afficher une espérance, celle de la recomposition politique autour d’une majorité d’hommes et de femmes fermement déterminés à sauver ce pays et de l’émergence d’un véritable homme d’Etat au poste de Premier ministre, en tout cas un retour à l’essence même de la Ve République e 1958. Je ne dis pas que cela va se produire mais que nous sommes en droit de l’espérer. Autant que des élections présidentielles, l’avenir politique de la France dépend désormais des élections législatives de juin. C’est là où je voulais en venir.