Article rédigé par Anne de Guigné, le 15 mars 2017
[Source : Le Figaro]
La Cour de justice de l'Union européenne a rendu ce mardi un avis dans deux cas, l'un français l'autre belge, de femmes musulmanes estimant avoir été discriminées au travail en raison de leur port du foulard islamique.
À quelques semaines de la présidentielle française, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt qui pourrait faire couler beaucoup d'encre. Selon ses juges, «Une entreprise peut interdire dans son règlement intérieur le port visible de signes religieux, politiques et philosophiques afin de conserver sa neutralité». La juridiction devait se prononcer sur deux affaires, l'une française, l'autre belge, portant sur le port du foulard islamique en entreprise. Avant de trancher sur ces cas très sensibles, les Cours de cassation respectives des deux pays avaient demandé à la juridiction bruxelloise de préciser son interprétation de la directive de 2000 sur l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.
L'arrêt de la CJUE harmonisera les pratiques des employeurs vis-à-vis du port de signes religieux dans toute l'Union européenne
L'arrêt de la CJUE va donc harmoniser les pratiques des employeurs vis-à-vis du port de signes religieux dans toute l'Union européenne. Rien de moins! Il pourrait au passage, potentiellement, modifier l'esprit des textes français qui reposent aujourd'hui sur un fragile équilibre. En simplifiant, dans les entreprises privées hexagonales, un salarié peut exprimer ses convictions religieuses sous réserve que cela ne nuise ni à sa santé/sécurité, ni au bon fonctionnement de sa société. Dans le service public, la neutralité s'impose.
Le cas belge concernait une ancienne réceptionniste, qui souhaitait porter le voile au travail. Son employeur s'y était opposé en raison d'un principe de neutralité de l'entreprise. L'avocat général a plutôt donné raison à ce dernier. Pour la magistrate, interdire le port de signes religieux au travail ne constituait pas une discrimination si cette décision est édictée par le règlement général de l'entreprise, ne repose pas sur des préjugés et respecte le principe de proportionnalité, jugé par «la taille et le caractère ostentatoire du signe religieux, la nature de l'activité de la travailleuse, le contexte dans lequel elle doit exercer son activité, l'identité nationale de l'État membre concerné».
Principe de neutralité
«L'enjeu de l'arrêt est de déterminer si, pour une entreprise, les exigences de la clientèle justifient d'imposer la neutralité religieuse à ses salariés»
Joël Grangé, avocat associé chez Flichy Grangé
Dans l'affaire française, une entreprise en conseil informatique a licencié en 2009 une ingénieur d'études qui refusait d'ôter son foulard lorsqu'elle se trouvait chez un client précis qui en avait fait la demande. L'avocate générale, qui a rendu ses recommandations en juillet, a évoqué une discrimination. «L'impact de l'arrêt sur la vie des entreprises dépendra in fine de la subtilité de sa rédaction. La question de la Cour de cassation n'était pas neutre, mais la CJUE devrait se prononcer plus largement sur la possibilité pour les entreprises d'adopter une politique de neutralité», indiquait Claire Toumieux, avocate associée chez Allen & Overy lundi. Pour Joël Grangé, avocat associé chez Flichy Grangé, «l'enjeu de l'arrêt est de déterminer si, pour une entreprise, les exigences de la clientèle justifient d'imposer la neutralité religieuse à ses salariés. Aujourd'hui les textes français sont ambigus sur ce point.»
La loi El Khomri autorise les entreprises à inscrire un principe de neutralité dans leurs règlements intérieurs «si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché». À l'employeur de se positionner au cas par cas.