Article rédigé par , le 14 février 2017
[Source : Valeurs Actuelles]
Etats-Unis. Euphorie des marchés, envolée du dollar, révision à la hausse des prévisions de croissance américaine pour 2017 et 2018 par le FMI : et si tous ceux qui prévoyaient un eff ondrement des États-Unis, une fois Donald Trump à la Maison-Blanche, avaient eu tort ?
"Il y eut un grand tremblement de terre, le soleil devint noir comme un sac de crin, la lune entière devint comme du sang et les étoiles du ciel tombèrent sur la terre… Le ciel se retira comme un livre qu’on roule ; et toutes les montagnes et les îles furent remuées… " Entre ce texte tiré de l’Apocalypse et ce qu’anticipaient les cassandres après l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, il y avait à peine l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette… Nombre d’experts prédisaient « l’explosion des déficits et de la charge de la dette américaine », « l’effondrement du dollar », une « baisse de la population active »… Bref, « l’entrée de l’Amérique en récession ». Des oiseaux de mauvais augure, davantage mus par des considérations personnelles tenant à la personne même de Donald Trump que par des raisons politiques et économiques.
"Trump est maintenant élu et, en tant que pays, on doit soutenir celui qui est élu"
Parmi eux, les médias, qui se sont (presque) rangés comme un seul homme du côté des démocrates, derrière Hillary Clinton. « Donald Trump menace-t-il l’économie américaine ? », s’interrogeait récemment un quotidien de ce côté-ci de l’Atlantique. Quant aux people, ils juraient leurs grands dieux que, fin janvier, la Terre allait s’arrêter de tourner, tandis que les rares partisans de Donald Trump — ils se comptent à Hollywood sur les doigts d’une main — étaient considérés comme d’odieux réactionnaires… Que n’avait pas dit l’actrice Nicole Kidman lorsqu’elle déclara, aux Golden Globes 2017 : « Trump est maintenant élu et, en tant que pays, on doit soutenir celui qui est élu, parce que le pays repose là-dessus » ?
Ces derniers mois, les instances internationales se sont également lancées dans le “Trump bashing”. Avec, de ce côté-ci de l’Atlantique, la Commission européenne : « Personne ne sait précisément quels sont ses projets, s’inquiétait Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques et financières, il y a trois mois. Je pense que ce n’est pas le choix heureusement le plus vraisemblable, mais ce n’est pas non plus le choix le plus rassurant du point de vue économique. » Aux États-Unis, le FMI a aussi été de la partie. En octobre, inquiet de la future politique commerciale voulue par Donald Trump, le Fonds monétaire international a abaissé de 0,6 % ses prévisions de croissance pour 2016, tablant sur une hausse de 1,6 % de la richesse nationale américaine. Les Américains avaient voté pour le candidat républicain ? Tant pis, ils allaient voir ce qu’ils allaient voir.
En fait, depuis l’élection de Donald Trump, les marchés boursiers américains volent de record en record, à peine affectés par le discours de Theresa May concernant le “hard Brexit”. La raison de cette hausse spectaculaire ? Un ambitieux plan de relance et une politique favorable aux entreprises. Quelques semaines après les avoir abaissées, le Fonds monétaire international a revu ses prévisions de croissance en faisant preuve d’un surprenant optimisme de l’autre côté de l’Atlantique. En 2017, il anticipe 0,1 % de plus pour le PIB américain qui devrait ressortir à 2,3 %, et mieux, il prévoit 0,4 % de plus en 2018 : selon ses calculs, la croissance américaine sera de 2,5 % l’année prochaine. Conséquence, le dollar dame le pion aux autres grandes devises mondiales sous l’effet conjugué de la hausse des taux directeurs décidée en décembre et des révisions à la hausse des perspectives de croissance. Ne dit-on pas que “les marchés ont toujours raison” ?
L’ambitieux plan de relance
Le regain d’optimisme du FMI tient au plan de relance budgétaire de l’ordre de 2 points de PIB (soit entre 500 et 1 000 milliards de dollars investis dans les infrastructures). Il repose sur les baisses d’impôts et la hausse des investissements publics. L’objectif affiché est très ambitieux : « Nous allons reconstruire nos autoroutes, nos tunnels, nos aéroports, nos écoles, nos hôpitaux », avait déclaré Donald Trump. Parmi ses grands projets, il souhaite notamment revenir sur le chantier de construction de l’oléoduc Keystone XL, auquel le président Obama s’était opposé. Il veut aussi relancer la production de charbon et développer les gaz de schiste, tandis qu’il mettrait fin au financement public des programmes de lutte contre le réchauffement climatique.
Selon Candriam, le plan global de relance pourrait conduire à une explosion de la dette publique de 3 000 milliards de dollars sur dix ans, soit un déficit supérieur à 6,5 % du PIB ! Ce qui amènerait à une hausse des taux d’intérêt par la Réserve fédérale plus forte que prévu.
L’euphorie de Wall Street
Wall Street s’est offert le plus beau rallye boursier depuis 1952, selon le Stock Trader’s Almanac, terminant l’année 2016 à quelques encablures du seuil des 20 000 points, soit une hausse de plus de 8 % depuis le scrutin du 8 novembre. Paradoxalement, alors que le consensus du marché se réjouissait d’une victoire de Hillary Clinton, les investisseurs parient sur le programme de croissance de Trump pour soutenir les bénéfices futurs des entreprises. « Les marchés ont noté que la Maison-Blanche et le Congrès sont entre les mains du même parti pour la première fois depuis six ans, et ce changement va induire une baisse de la fiscalité et une hausse des dépenses dans les infrastructures et la défense », note le chef économiste du FMI.
Fiscalement, une baisse du taux d’impôt sur les sociétés à 20 %, voire 15 %, aura un effet positif sur les flux de trésorerie des entreprises et favorisera une hausse des dividendes versés aux actionnaires, voire les rachats d’actions. Les incitations au rapatriement des bénéfices des entreprises logés à l’étranger pourraient par ailleurs représenter jusqu’à 1 000 milliards de dollars.
Selon les analystes interrogés par FactSet, les bénéfices des entreprises du S&P 500 pourraient progresser de 11 % dès les premier et deuxième trimestres 2017 et jusqu’à 14 % au quatrième trimestre. Autant dire un gonflement conséquent des résultats !
Prudence néanmoins. Le patron de JPMorgan Chase, Jamie Dimon, estime que l’effet Trump ne pourra pas se faire sentir avant 2018. De son côté, Morgan Stanley souligne dans une note publiée début janvier que les investisseurs pourraient prendre leurs bénéfices et « vendre l’investiture du 20 janvier » après avoir « acheté l’élection ».
Un président très “business friendly”
Même la Silicon Valley, d’ordinaire démocrate, s’est convertie au trumpisme. La scène de réconciliation s’est déroulée dans la Trump Tower à la mi-décembre. Y participaient les patrons d’Amazon (Jeff Bezos), d’Apple (Tim Cook), de Facebook (Sheryl Sandberg), de Google (Larry Page), d’Oracle (Safra Catz), d’Uber (Travis Kalanick) et de Tesla-SpaceX (Elon Musk). « Qu’est-ce que je peux faire pour vous ? », leur aurait lancé le futur président américain. Et les patrons 2.0 de sortir de leurs poches une liste d’idées. Message reçu cinq sur cinq par le futur locataire de la Maison-Blanche : « Ils se sont quittés en se donnant une claque dans le dos », nous confie un grand patron français à qui la scène a été relatée.
Pour répondre à ceux qui trouvaient le personnage économiquement fantasque, Donald Trump a mis en place en décembre un forum stratégique composé de 16 patrons de grands groupes américains : banque (Jamie Dimon, président de JPMorgan Chase), finance (Larry Fink, patron du fonds d’investissement BlackRock), médias (Bob Iger, président de la Walt Disney Company), automobile (Mary Barra, patronne de General Motors), aviation (Jim McNerney, ancien président de Boeing)…
« Mon administration est décidée à s’appuyer sur l’expertise du secteur privé et à réduire la bureaucratie gouvernementale qui empêche nos entreprises d’embaucher, d’innover et de se développer ici même en Amérique », a expliqué Donald Trump, dont le programme repose sur une relocalisation des entreprises américaines (faisant appel au patriotisme), mais aussi sur une baisse des impôts sur le revenu et les sociétés (4 400 milliards en dix ans) ainsi que sur la suppression de l’impôt sur les successions. Son objectif est d’atteindre 4 % de croissance annuelle et de créer 25 millions d’emplois en dix ans. À ce sujet, il a rencontré récemment le patron chinois d’Alibaba Group, Jack Ma, et le fondateur de LVMH, Bernard Arnault, qui pourrait augmenter sa production aux États-Unis.
Les banques, elles, ont choisi Trump. Ne serait-ce que parce qu’il a dit vouloir remettre en cause plusieurs réglementations financières et bancaires, dont le Dodd-Frank Act, une loi mise en place par l’administration Obama après la crise de 2008 pour réguler le secteur.
Le FMI pose des limites au protectionnisme
Pour le Fonds monétaire international, le futur économique n’est pas dénué de danger : « Parmi les risques de ralentissement notables figure l’adoption de politiques de repli sur soi et de mesures protectionnistes. » Dans ses discours, Donald Trump, dont la baseline de candidature était « America first », n’a jamais caché ses intentions d’engager des représailles économiques contre le Mexique et la Chine, laquelle, selon les propres termes du président élu, « tue les Américains ». Il a promis d’augmenter les droits de douane sur les produits importés de ces deux pays.
Il juge également les grands traités internationaux, comme le TPP (accord de partenariat transpacifique), le TTIP (traité transatlantique) et l’Alena (entre le Mexique, le Canada et les États-Unis), défavorables aux intérêts américains. Il pourrait donc revenir dessus, tandis qu’il pourrait privilégier des accords bilatéraux, avec la Grande-Bretagne.
Marie de Greef-Madelin, Frédéric Paya