La nouvelle cabale des dévots
Article rédigé par Guillaume de Thieulloy, le 09 février 2017 La nouvelle cabale des dévots

[Source : Le Salon Beige]

Depuis plusieurs semaines, une offensive est lancée contre les « cathos identitaires ». Par qui ? Je n’en sais fichtre rien. Contre qui ? Ce n’est pas clair non plus. Dans quel intérêt ? Je me perds en conjectures…

Plus sérieusement, tout est bizarre dans cette affaire.

L’étrangeté première, c’est que personne n’est en mesure de définir ces fameux « cathos identitaires ». Autrement dit, nous sommes en présence d’une cabale contre une menace si indéfinie qu’elle en est inexistante. Si j’en juge par la lecture des quelques pièces du dossier en ma possession, le Salon beige et votre serviteur sont, semble-t-il, la quintessence de cette espèce nouvelle. Mais, d’abord, quelles sont ces pièces ? Pour le moment, je dispose de deux traces tangibles : un dossier de La Vie (dont l’un des propriétaires est l’inénarrable oligarque libertaire Pierre Bergé) et un livre de l’avocat Erwann Le Morhedec, plus connu sous son nom de blogueur, Koz. Deux mondes très différents donc. Or, en matière de coïncidence dans la vie publique, j’en suis resté à l’adage d’Audiard : « Un barbu, c’est un barbu ; deux barbus, c’est des barbouzes. » Je n’exclus certes pas que MM. Bergé et Le Morhedec se soient subitement réveillés un matin avec une même idée en tête, mais cela ne me semble guère vraisemblable. Me Le Morhedec se répand dans le tout-Versailles catholique en excipant de sa proximité avec « certains évêques », mais j’ai peine à croire que des successeurs des Apôtres se prêtent à de telles palinodies. Peut-être des apparatchiks du noyau dirigeant de l’épiscopat ? On pourrait alors penser à la nomenkaltura du conseil Famille & Société, peu satisfaite de « l’affaire Brugère » et de la révolte des militants LMPT contre cette trahison qui consistait à faire « enseigner » les délégués diocésains à la pastorale familiale par une pasionaria de l’idéologie du genre (je redis bien : enseigner, car Mme Brugère n’était pas invitée pour un débat, contrairement à ce qui a parfois été dit depuis). Je pourrais comprendre que ces apparatchiks n’apprécient guère le Salon beige et je peux facilement imaginer qu’ils puissent contacter à la fois des journalistes de La Vie et le blogue Koztoujours. Au passage, je note que tous ces braves gens qui n’ont que Vatican II et l’engagement des laïcs à la bouche sont souvent d’un cléricalisme ébouriffant. À ce stade, en tout cas, je n’en suis qu’aux hypothèses (même si j’amoncèle, en ce moment, quelques détails assez distrayants sur “l’environnement” de cette « affaire »). Wait and see…

Revenons, en attendant, à notre première étrangeté : une cible particulièrement floue. On peut imaginer plusieurs sens à l’expression « cathos identitaires ». On peut penser qu’il s’agit des catholiques sympathisants du Bloc Identitaire. On peut penser aussi qu’il s’agit de gens qui se définissent comme catholiques sans pratiquer leur religion – ce que l’on appelait naguère les « catholiques culturels ». On peut encore penser qu’il s’agit de personnes pour qui l’appartenance religieuse est constitutive de leur identité personnelle ou collective. Sans doute d’autres interprétations sont-elles possibles. Mais ce qui est certain, c’est que ni le dossier de La Vie, ni le livre de Me Le Morhedec, ne nous éclairent là-dessus. Il y a un côté sympathique et farfelu dans cette façon de partir en guerre contre des nuées, mais cela ne fait tout de même pas très sérieux. Pour ce qui me concerne, je ne suis rien dans le Bloc Identitaire. J’ai applaudi à certaines de ses initiatives ; d’autres me sont totalement étrangères. Je ne suis pas sûr de partager la culture politique de ce mouvement, mais, à vrai dire, cette culture politique me semble assez foisonnante et j’ignore qui en est l’interprète autorisé. En tout cas, le premier sens de « cathos identitaires » pourrait difficilement m’être appliqué. Je ne crois pas non plus bien correspondre à la notion de « catholique culturel ». Bref, dans les trois sens que j’ai identifiés, seul le troisième pourrait éventuellement me correspondre, mais, à ce compte, bien des journalistes de La Vie et Koz lui-même doivent répondre à la définition. Tout ceci est, au fond, assez divertissant…

Mais, si je comprends bien ce que nous reproche notre avocat blogueur, ce vocable bizarre désigne, en réalité, sans trop oser le dire, un type de catholiques qui ne saute pas de joie devant les destructions de l’identité française. Koz évoque longuement l’affaire des crèches de Noël et l’immigration, pour « montrer » que les « cathos identitaires » en général, et le Salon beige en particulier, ne sont nullement attachés à la foi catholique, mais au patrimoine que celle-ci a laissé en France.

J’avoue que je suis admiratif de sa prodigieuse capacité à sonder les reins et les cœurs. Mais je suis surtout atterré par cette dialectique inepte : pourquoi diable ne pourrions-nous pas être à la fois attachés à la foi catholique et à la civilisation française? Cette dialectique a d’ailleurs été aggravée, depuis, par l’intéressé d’une plus inepte encore : il y aurait les bons chrétiens accueillant les femmes en détresse et les mauvais – les identitaires ? – qui dénoncent les lois sur l’avortement. Comme si les militants de la Marche pour la Vie étaient incapables de compassion. Comme s’ils n’étaient pas, au contraire, aux avant-postes pour soutenir les femmes en détresse et les accueillir, avant comme après le drame terrible de l’avortement. Demandez donc à une écoutante d’ivg.net ou de Mère de Miséricorde ce qu’elle pense de la loi sur l’extension du délit d’entrave et vous verrez bien que le combat contre la culture de mort est unique, bien qu’il implique plusieurs types d’actions différentes.

Je suis tout prêt à croire que Me Le Morhedec est un meilleur chrétien que moi. Je n’ai aucun moyen d’en juger. Je nous souhaite simplement à tous les deux d’aller au Paradis. Mais, ne l’ayant, que je sache, jamais rencontré, je suis intrigué de savoir comment il a pu, lui, savoir que j’étais cette sorte de pharisien qu’il dénonce, attaché seulement aux formes et non au cœur de la foi catholique. Au demeurant, si je me souviens bien, dans l’Évangile, le pharisien était plutôt celui qui, comme notre censeur, se présentait tête haute au temple en remerciant l’Éternel de ne pas être comme ces pécheurs que nous sommes, nous !

Qu’il y ait un risque de dénaturation dans le fait de ne voir la crèche que comme « objet culturel », et non comme lieu de l’Incarnation, mystère central de notre foi, nul ne le niera. Et, pour notre part, au Salon beige, nous avons toujours pris soigneusement garde de ne jamais entrer dans la dialectique laïciste autorisant les « bonnes » crèches, objets culturels, tout en prohibant avec horreur les « mauvaises », objets religieux. Mais à qui la faute si beaucoup de Français, aujourd’hui, ignorent que le Fils de Dieu s’est fait chair ? N’est-ce pas à nous, chrétiens, qui avons renoncé à évangéliser, au nom d’un respect humain et parfois même d’un relativisme indignes ? Est-ce une raison pour chasser cet humble crèche de notre culture française ?

En réalité, je vois là – à tort, j’espère, mais, alors, notre censeur a tout fait pour m’induire en erreur – une haine contre la piété populaire. Bien sûr que cette piété populaire doit être évangélisée comme on disait dans les années 70. Bien sûr qu’elle n’est pas exempte de superstition. Mais qui donc peut prétendre avoir une foi pure de tout reproche ? Et cette piété populaire, cette foi du charbonnier et des vieilles grenouilles de bénitier, ne mérite-t-elle pas à tout le moins notre respect parce qu’elle demeure un lien avec le Dieu trinitaire ? En vieux thomiste, je ne peux pas oublier que le Docteur commun, après avoir écrit les admirables traités que l’on sait, refusa sur la fin de sa vie d’écrire une ligne de plus, car il trouvait, lui, que la foi d’une vieille femme valait mieux que toute sa théologie, dont l’Église latine n’a pas cessé depuis mille ans de se nourrir !

Venons-en, à présent, au débat sur l’immigration. Me Le Morhedec reproche aux « cathos identitaires » de ne pas être suffisamment accueillants à l’immigré et de promouvoir un catholicisme « blanc ». Je dis tout net que cette accusation est scandaleuse. Nous avons pour maîtres des prophètes juifs, des Pères de l’Église berbères, et pour frères bien des musulmans convertis au christianisme (que nous accueillons, nous, avec joie !)… N’est-ce pas saint Augustin ? N’est-ce pas saint Cyprien ? N’est-ce pas Moh-Christophe Bilek ou Saïd Oujibou ? Et d’ailleurs cette accusation est aussi contradictoire. D’autres censeurs, qui étaient parfois les mêmes, nous ont reproché d’être attachés, là aussi de façon soi-disant « pharisaïque », à l’enseignement du Christ sur l’indissolubilité du mariage à l’occasion du récent synode sur la famille. Or, nous étions, dans ce combat, derrière des cardinaux africains, comme les cardinaux Sarah, Turkson ou Napier. Mais sans doute était-ce une conception « identitaire » du sacrement de mariage qui nous faisait voir ces cardinaux comme des « Blancs », promoteurs bornés de la « civilisation occidentale » !

Les « cathos identitaires » s’opposent effectivement à la submersion migratoire. En tout cas, moi, je m’y oppose clairement. Mais, cher Maître, lisez donc ce qu’écrivent les prélats orientaux – arabes ou assyriens pour la plupart ! – sur cette submersion. Allez-vous nous dire qu’eux aussi, qui risquent leur vie chaque jour pour le Christ, n’ont qu’une foi morte et un simple attachement esthétique au patrimoine chrétien ?

S’opposer à la submersion migratoire n’implique pas, que je sache, de violer la dignité humaine des immigrés. Je crois même que c’est précisément l’inverse. Ce sont les “belles âmes”, celles qui font venir par millions les clandestins sur nos côtes, qui entretiennent les mafias se goinfrant sur le dos de ces malheureux, réduits en esclavage – ou qui les envoient à la mort dans la Méditerranée. Quand nous protestons contre l’immigration massive, nous prenons aussi la défense des pays d’origine privés de ces forces vives par une oligarchie occidentale sans scrupule. Comme le disait naguère Benoît XVI, il y a d’abord un droit à ne pas émigrer et à rester chez soi. Mais il est si facile de jouer sur l’émotion et de faire de ceux avec qui l’on est en désaccord – politique – de mauvais chrétiens. C’est exactement de la simonie : utiliser des choses saintes, comme la doctrine sociale catholique, pour des intérêts temporels. J’ajoute que le premier devoir de l’homme d’État n’est pas l’accueil universel et indéterminé de tout immigré, mais le bien commun de la société à la tête de laquelle il se trouve. Or, je serais curieux que l’on me prouve que l’arrivée de centaines de milliers de malheureux, alors que notre pays n’a toujours pas intégré l’essentiel des millions d’immigrés arrivés d’Afrique et du Maghreb depuis 50 ans, est de nature à améliorer le bien commun de la société française.

Mais le pire, en cette affaire, c’est qu’en opposant – indûment – notre attachement à l’Église et notre attachement à la France, les courageux pourfendeurs de « cathos identitaires » s’attaquent au cœur même de la foi et de la vie chrétiennes : l’Incarnation. Que je sache, la Révélation n’a pas eu pour conséquence de faire de nous des anges. Nous restons des hommes, nés dans une famille, dans une patrie, tributaires d’une histoire particulière. Et c’est dans cette histoire qu’intervient la grâce – qui n’abolit pas la nature mais la parfait, rappelait encore saint Thomas. Le Christ lui-même, vrai Dieu, mais aussi vrai homme, a aimé d’un amour de prédilection sa Mère, son père nourricier et sa patrie. Non, je ne crois pas que, pour être un bon chrétien, je sois tenu de préférer le lointain à ma femme, mes enfants ou mes parents. Je crois même exactement l’inverse : la pierre de touche de mon attachement au Christ réside dans mon amour du prochain.

Et je crois, par ailleurs, que les nations aussi servent au plan divin – la France comme les autres. Que Koz croie le contraire, grand bien lui fasse. Mais je doute qu’il soit en mesure de m‘asséner beaucoup de textes magistériels pour soutenir cette thèse aventureuse. La mienne a du moins l’avantage de n’être pas à moi seul, mais à quelques dizaines de Papes !

Au demeurant, à la fin de son livre, Me Le Morhedec détruit posément toute l’argumentation qui précède, rappelant que l’attachement à sa propre identité est la condition pour un dialogue fécond. Cela me semble l’évidence même.

Mais, attention, cher Maître, vous venez de vous désigner vous-même comme la cible des prochaines vagues de la nouvelle cabale des dévots contre les « cathos identitaires ». Bienvenue au club !

Guillaume de Thieulloy

Directeur du Salon beige