Article rédigé par François Bert , le 25 janvier 2017
François Bert vient de publier Le temps des chefs est venu: Autopsie de la personnalité présidentielle & solutions pour l'avenir dans lequel il propose d'aborder la politique non pas par les programmes mais par la personnalité de ceux qui les conduisent. Il a accepté de répondre aux questions du Salon Beige :
Dans votre ouvrage, vous faites la liste des présidents de la Ve République en indiquant ceux qui ont un caractère de chef, et c'est finalement assez maigre... Ne pensez-vous que c'est le système politique qui est vicié à la base, en promouvant des marchands d'illusion, des Tartarins, des Tournesol ou des commerciaux ?
Précisément, c’est bien en cela que j’appelle un profond renouvellement du casting politique.
Si l’on prend le temps de faire un zoom arrière sur l’Histoire, on peut dire que la Révolution française a remplacé l’intelligence de l’action par l’intelligence du discours. On ne cherche plus la direction à suivre pour se sortir des embûches, on veut seulement en débattre. Cela amène un profond changement du type de personnalités qui se rapproche du pouvoir.
Si l’on reprend les étapes de l’Histoire depuis deux cents ans on peut dire que la France a d’abord « couru sur son erre » en maintenant ses vieux réflexes et en promouvant quelques chefs mais, très vite, la logique des partis a pris le dessus. Les partis pour exister ont besoin de cliver et, pour y parvenir, il faut des idéologues et des super-vendeurs.Ajoutez à cela l’hypermédiatisation et la logique émotionnelle que le général de Gaulle, champion des référendums à répétition autour de sa personne, a installé et vous obtenez notre personnel politique actuel, majoritairement composé de votre triste liste.
On peut dire que si la politique est une jungle, nous avons aujourd’hui une alliance improbable de Tartarins et botanistes, vendeurs d’aventure et experts hors-sol. Le Tartarin est perdu dès qu’il arrive en jungle. Il croit pouvoir se rassurer avec les connaissances du botaniste. Mais ce n’est pas d’un expert des espèces dont nous avons besoin mais d’un expert du danger. On ne combat pas les serpents à venir avec des lois exhaustives mais avec la capacité d’écoute et de décision du chef d’expédition. Le métier de chef c’est le discernement, la capacité à infléchir la marche au bon endroit et à y embarquer tout le monde. Encore faut-il pour cela savoir se mettre en retrait et en silence, intervenir à bon escient et à proportion de l’événement : toutes qualités qui n’ont pas leur place dans un monde médiatique saturé d’émotions et de débats à tout propos.
Abordons les élections prochaines : parmi le trio de tête (dans les sondages), à savoir Marine Le Pen, François Fillon et Emmanuel Macron, quel candidat, d'après votre autopsie de la personnalité, serait plus un chef que les deux autres ?
Si j’applique en effet ma grille de lecture (celle du livre, que je pratique par ailleurs quotidiennement dans mes entretiens de personnalité), une seule personne a pour moi les dispositions d’un chef : François Fillon.
Emmanuel Macron est une sorte de « super-consultant », un Guaino de gauche si j’ose dire, capable de créativité et d’audace dans l’exploration de champs nouveaux mais sans avoir en lui cette posture de recul et d’écoute calme du contexte qui entraine la décision. Il produit davantage qu’il ne discerne, anime davantage qu’il ne conduit. C’est un « cérébral », c’est-à-dire une personne qui a d’abord une quête et une intelligence du fond.
Marine Le Pen est une « commerciale éleveuse ». Le verbe a la vigueur du père mais l’attente est l’entente autour de ses propres consensus. Elle exclut au premier sentiment de trahison affective. Elle a ainsi élargi son périmètre idéologique au risque de l’incohérence la plus totale, pourvu que se rassemblent un maximum d’affections. Il n’y a chez elle ni recul, ni capacité à articuler les talents autour du but. C’est une « relationnelle », c’est-à-dire une personne qui a d’abord une quête et une intelligence du lien.
Pour revenir à François Fillon, une précision néanmoins. S’il s’agit bien d’un chef, que sa posture silencieuse, déterminée, calme et proportionnée a révélé pendant la primaire, il s’agit pour moi d’un « chef en second ». Au-delà des moteurs de personnalités (tendance dominante relationnelle, cérébrale ou managériale : on est tous « prêtres, prophètes et rois » mais il y a bien des « prêtres », des « prophètes » et des « rois »), je distingue deux types d’énergie : les énergies d’impulsion et les énergies en réaction. Elles sont transverses aux moteurs. C’est en cela que l’on fait souvent de grosses confusions en confondant moteur et énergie : de Gaulle est un créatif, un « prophète » en impulsion mais pas un chef ; Sarkozy comme Jean-Marie le Pen sont des « prêtres » en impulsion, des chefs de bande mais pas des chefs.
François Fillon est quant à lui un « roi » en réaction, un chef en second. Il n’est jamais aussi confortable qu’en gestion autonome de l’action mais on le sent fragile sur la vision. Non qu’il ne soit pas capable, en écoutant, de s’en forger une mais qu’elle ne lui vient pas comme naturellement, en fabrication intérieure et personnelle, comme pour un Napoléon, un Pompidou ou un Mitterrand.
Il faut par conséquent qu’il soit bien entouré sur ce sujet où il est moins en puissance que sur la gestion des affaires régaliennes courantes.
Mais que révèle le fait que François Fillon cède aussi facilement une circonscription en or à NKM ?
Comme toujours il faut prendre une décision dans un contexte global et dans un espace-temps qui dure. Cette concession inattendue vis à vis d'une quasi-ennemie peut légitimement surprendre. Le sujet est de savoir contre quoi ou plutôt à la défaveur de quoi cela a été arbitré.
Reste que cela sent la cuisine de parti dont François Fillon dépend encore. S'il est élu, son principal rendez-vous sera celui du courage pour une vraie indépendance ; la présence d'une inspiration forte et discernante dans ses conseils lui sera utile. C'est le sens de mon chapitre sur la construction d'équipes complémentaires pour compenser les fragilités du leader.
Votre analyse s'adapte-elle aussi aux autres élections, et notamment aux législatives ? Faut-il voter pour les candidats du parti qui a le mérite d'avoir un chef ou pour les candidats qui ont, eux-mêmes, une personnalité de chef ?
Oui, il me semble même indispensable de commencer à régénérer le vivier politique de cette façon, en élisant au maximum des candidats qui ont une personnalité de chef. En soi il ne devrait pas y avoir de parti. Comme aux parlements d’ancien régime il devrait y avoir des détenteurs d’office jaloux de leurs indépendance et de leur prérogatives. Le parti est une machine à idiots, un organe de déclin de la pensée, un dispositif anti-bien commun.
A propos de parlementaires, après avoir parlé du grand-père et de la tante, prenons l’exemple de Marion Maréchal Le Pen. Bien plus que par ses convictions, celle-ci étonne et rassemble par son comportement. Lors des débats législatifs ou médiatiques on ne la sent pas en récitation préréglée d’argumentaires mais en position de discernement. C’est le contexte qu’elle écoute, pas la doxa. Elle a ainsi des concessions et des fidélités inattendues, appelle davantage au bon sens qu’à l’idéologie, a enfin une parole libre à l’intérieur de son parti : c’est pour cela qu’elle rassemble au-delà.
Détester, comme chacun le fait aussi bien à gauche qu’à droite, quelqu’un pour ce qu’il pense est un non-sens. L’opinion politique est l’écume d’un peuple ; un citoyen vaut par ce qu’il peut donner au collectif. Cette générosité si propre à notre pays n’attends qu’une chose : des chefs qui prennent leur place aux échelons de direction. Et, comme un chef attend que l’événement le convoque, c’est aux citoyens d’aller chercher, comme les Vendéens tirèrent en 1793 Charette de dessous son lit, ceux qu’ils connaissent dans leur entourage pour qu’ils se lancent.