Article rédigé par Roland Hureaux, le 19 janvier 2017
Qu'Emmanuel Macron se rende à Berlin dans la cadre de sa campagne présidentielle répond à un rituel désormais obligé : en 2007, Nicolas Sarkozy avait déjà fait le voyage. C'est là qu'il s'était engagé à faire voter par le Parlement un traité "simplifié" qui devait finalement s'avérer la copie du traité constitutionnel rejeté par les Français le 29 mai 2005. La même année, sa concurrente Ségolène Royal était allée en Chine complimenter le peuple chinois pour sa "bravitude" et la justice chinoise pour sa rapidité.
En 2012, Angela Merkel avait apporté un soutien appuyé à Nicolas Sarkozy, qui ne lui a cependant pas permis de l'emporter. Cette fois Emmanuel Macron, qui ne rencontrera pas la chancelière elle-même, précèdera de quelques jours François Fillon qu'elle a prévu, lui, de rencontrer. Dans son discours (prononcé en anglais !) à l'Université Humboldt, Macron a pris un ton exalté , paraphrasant le président Kennedy : "Nous sommes tous Berlinois, nous sommes tous européens", et aussi « Nous sommes la seule force politique pro-européenne », et il a proclamé son intention de « restaurer la confiance avec les Allemands en faisant des réformes sérieuses ». Mais comme à son habitude, il ne dit pas lesquelles. Fillon, lui, doit parler devant la Fondation Konrad Adenauer. Il y a fort à parier qu'il ne tiendra pas un discours très différent sur l'Europe et la relation franco-allemande. Le ministre des finances Wolfgang Schäuble a adressé un satisfecit au projet «sérieux» de l'ancien premier ministre. Pour autant, François Fillon qui veut lever les sanctions imposées à la Russie, se mettra-t-il d'accord avec Angela Merkel qui veut les maintenir ? Il serait pour lui suicidaire de chercher un compromis avec elle sur ce sujet capital.
L'Inspection des finances obsédée par le modèle allemand
Reconnaissance internationale ou allégeance ? On voit bien ce que ces voyages préélectoraux ont d'ambigu.
Le voyage à Berlin va d'autant mieux à Macron qu'il est issu d'un corps, l'Inspection des finances, qui a toujours entretenu un rapport particulier à l'Allemagne. Un membre de ce corps nous disait il y quelques années avec assurance : "C'est bien simple , l'Allemagne a une économie prospère et une monnaie forte; si nous nous dotons d'une monnaie forte, nous aurons une économie prospère." A quoi je rétorquai : "Mon voisin a des affaires qui marchent bien et il a acheté une Mercédès ; j'achèterai donc une Mercédès et mes affaires marcheront".
L'euro n'est que le dernier avatar d'une longue histoire qui a vu l'Inspection des finances, à peu près unanime sur ce sujet , considérer que le futur de la France ne peut être que l'Allemagne. L'oligarchie financière française considère après elle qu'il y a une échelle de la vertu économique et financière sur laquelle l'Allemagne se trouve en avant et la France en arrière. Tout l'effort de celle-ci doit être dès lors de s'améliorer par un volontarisme tendu pour rattraper sa partenaire, et pour cela d'accepter de nombreux sacrifices qu'il faudra le cas échéant lui imposer de force. En bref les Français sont légers, les Allemands sont sérieux, les Français doivent devenir allemands en faisant pénitence - ce qui n'est en définitive pas très différent de ce qu'on disait à Vichy. La politique monétaire a été considérée par eux depuis les années cinquante comme un moyen, par la surévaluation du franc, de forcer les Français à rentrer dans le moule germanique. Beaucoup (notamment presque tous les Prix Nobel d'économie, il est vrai moins intelligents que les inspecteurs de finances) pensent au contraire qu'il aurait mieux valu faire ce que faisait vraiment l'Allemagne : sous-évaluer sournoisement sa monnaie (par référence aux prix relatifs) pour casser ses prix et exporter plus. Il n'est pas exagéré de dire que la politique monétaire volontariste menée depuis plus d'un demi-siècle a été le grand frein qui a empêché la France de rattraper l'Allemagne.
Qui dira que le grand handicap de l'économie française depuis la guerre aura été non l'insuffisante ardeur au travail des Français mais les idées simplistes de son oligarchie? De même que la défaite de 1940 a été due non au manque de courage des soldats ou à l'insuffisance de leur armement mais à l'esprit de système du commandement. Tout comme les généraux de 1940, les membres de l'oligarchie , plutôt que de faire leur autocritique , ne font que mettre en cause de manière obsessionnelle les vices congénitaux supposés des Français.Le raisonnement suivi à l'Inspection des finances a notamment le défaut d'être étranger aux considérations culturelles selon lesquelles les différences entre la société française et la société allemande ne peuvent être réglées par la seule volonté et qu'il vaut mieux que chacun suive son rythme pour arriver ensemble sur la ligne d'arrivée. Laissons de côté Giscard d'Estaing qui a su prendre quelque distance par rapport aux préjugés de son corps comme De Gaulle en avait pris par rapport au corps militaire .
En revanche , les autres inspecteurs des finances lancés en politique, Rocard ou Juppé, n'ont pas eu sur ces sujets des idées différentes de leurs corps. Macron non plus. On devine que les "réformes sérieuses" qu'il envisage ne soient rien d'autre qu'une série de transposition de normes européennes, comme celles qu'il a tenté d'imposer aux notaires ou à la branche des transports. Il vient de recruter pour établir son projet Jean Pisani-Ferry, directeur de France-Stratégie (ex Commissariat au plan) plus connu pour son européisme sans nuances que pour son imagination ou sa connaissance du terrain. On devine déjà ce qui va en sortir.
Rien ne laisse supposer qu'Emmanuel Macron ait pris la moindre distance par rapport à la culture de son corps. Le plus étonnant dans le succès, sans doute passager, qu'il rencontreest que la seule modernité dont il s' enorgueillisse, la modernité européenne, est précisément, si on la décline par secteurs, ce que les Français rejettent aujourd'hui avec le plus de violence : libéralisme sauvage, normes européennes sans cesse plus contraignantes ( et absurdes quand elle conduisent au démembrement d'EDF) , réformes de l 'Etat calamiteuses et démotivantes, refonte perpétuelle du paysage local , ouverture migratoire . Comme Hillary Clinton, Macron risque d'être le candidat préféré des médias et de l'étranger. Mais cela n'a pas suffi à l'ancienne secrétaire d'Etat pour se faire élire. Il est probable que cela ne suffira pas non plus à Macron, ni à aucun de ses concurrents dont Bruxelles et Berlin seraient trop satisfaits. On pressent en tous les cas que le temps où l'affichage d'une bonne entente avec l'Allemagne avait un effet positif sur les électeurs français est révolu. Angela Merkel est impopulaire non seulement dans son pays mais en France du fait de sa politique migratoire. De plus en plus se répand dans notre pays l'idée que l'Allemagne n'a que trop tiré la couverture à elle dans le cadre de l 'euro et des autre politiques de coopération (Airbus par exemple passe aujourd'hui dans le monde pour une entreprise allemande alors qu'elle a été créée avec de crédits budgétaires français par des ingénieurs français). On ne peut pas dire encore quel candidat plaira le plus à Berlin. Mais il y a peu de chances que ce soit le même qui plaira le plus au peuple français.