Article rédigé par , le 18 janvier 2017
[Source : La Porte Latine]
lors que les rapports internationaux s’accumulent pour souligner l’échec global du système scolaire français à l’école primaire et au collège, le débat sur la responsabilité des nouvelles technologies dans l’affaiblissement des niveaux scolaires se pose et se fait plus urgent.
Le dernier rapport, en date du 29 novembre 2016, s’est intéressé aux capacités des élèves de CM1 et de Terminale S, en mathématiques et en sciences. L’enquête internationale Timss (Trends in International Mathematics and Science Study), révèle Le Monde, pointe du doigt la faiblesse des Français : « Les 4 870 élèves de l’échantillon français ont obtenu un score moyen de 488 points en mathématiques et de 487 points en sciences. C’est en deçà de la moyenne internationale (500) et européenne (525) (1). » Des résultats qu’il peut être utile de relativiser, les programmes n’étant pas identiques d’un pays à l’autre. Mais le détail des tests proposés aux élèves de CM1 laisse songeur : « Donnez-leur une suite chiffrée, « 6, 13, 20, 27… » ; demandez-leur de la poursuivre, ils sont seulement 59 % à avoir su répondre « 34 ». Ils sèchent encore plus sur les fractions : 15 % sont capables d’identifier, parmi quatre camemberts découpés en parts, celui correspondant à la fraction « 3/8 ». En sciences, 53 % parviennent à identifier, sur des images, un canard et une grenouille comme ovipares et non comme mammifères.(2) »
On ne peut cependant même pas se consoler de ces piètres résultats par une éventuelle maîtrise de la langue française. Là encore, la chute est impressionnante. La même dictée réalisée en 1987 et en 2007 sur des milliers d’enfants de CM2 révèle que 46 % d’entre eux faisaient 15 fautes et plus en 2007, contre 26 % en 1987. La solution apportée ? Il fallait y penser : une simplification de l’orthographe datant de 1990, réactivée à grand renfort de publicité et de polémiques stupides ! En grammaire, les conjugaisons sont massacrées, les accords grammaticaux deviennent aléatoires. On voit dans cette dérive les conséquences de l’abandon des apprentissages systématiques de ces disciplines.
Alors, à qui la faute ? Plusieurs facteurs se conjuguent sans doute pour expliquer la chute du niveau scolaire des Français. Mais la surconsommation des écrans (téléphone, réseaux sociaux, internet, vidéo, télévision) est de plus en plus souvent montrée du doigt. Les alertes se multiplient venant des milieux les plus divers : médicaux et paramédicaux, enseignants libres de leur parole et milieux favorables à une sortie du monde ultralibéral et consumériste, pour une vie humaine plus respectueuse des ressources de la planète, vision de type écologiste et volontiers panthéiste, qui recherche une nouvelle sagesse humaine de vie, avec ou sans dieu.
De fait, les jeunes possèdent presque tous un ordinateur ou y ont un accès facile à la maison (99% des élèves de 15 ans en 2012), sans compter les téléphones portables, les tablettes.
Soucieuse de produire de plus en plus de consommateurs qui fourniront des débouchés aux sociétés d’informatique, l’Education nationale a lancé un énième plan numérique, faisant le pari de donner une tablette à 175 000 élèves et collégiens à la rentrée de septembre 2016. L’objectif annoncé est de permettre à tous les élèves d’accéder aux prétendus avantages pédagogiques des outils numériques.
Mais de plus en plus de chercheurs tirent la sonnette d’alarme.La technologie induit une modification de notre cerveau qui sait s’adapter aux pratiques auxquelles on le soumet. L’usage régulier d’internet et de la communication numérique modifie le cerveau et dérègle bien des équilibres physiques et psychiques. Pour l’écriture, par exemple, les enfants écrivent finalement beaucoup, mais mal, avec les messageries électroniques. Les abréviations, les expressions codées du langage de messagerie constituent un ersatz de langue et appauvrissent la pensée. Les logiciels d’écriture réduisent la créativité de la production elle-même puisqu’ils forcent le cerveau à réagir aux suggestions proposées. On accepte ou l’on refuse le mot ou l’expression que la machine suggère. Cela fait appel à la partie du cerveau qui gère la réactivité et toutes stimulations de la sensibilité, et non à celle qui crée, qui synthétise, qui fait mémoriser à long terme. On ne réfléchit pas, on réagit. Au fond, la correction orthographique du logiciel suppose, pour être efficace, une connaissance préalable des règles orthographiques et grammaticales, d’autant plus que les correcteurs intégrés sont plus ou moins fiables. S’ils peuvent repérer un certain nombre de fautes, ils ne font pas pour autant assimiler les règles et leur application à leurs utilisateurs. Dans les programmes scolaires d’aide destinés à améliorer l’orthographe des élèves, les exercices proposés privilégient l’aspect ludique sur la réflexion et bloquent finalement les processus d’assimilation à long terme des savoirs, au profit d’un jeu aléatoire et binaire (vrai/faux).
Passer de plus en plus d’heures devant un écran n’est donc pas sans risque. Philippe Bihouix et Karine Mauvilly viennent de publier Le désastre de l’école numérique – Plaidoyer pour une école sans écrans(3). L’essai annonce la couleur dans son titre. Reprenant les clichés servis par les défenseurs de l’utilisation massive des outils numériques, les auteurs démontrent la réalité souvent opposée, d’après des études récentes, et relèvent la faiblesse des arguments qui sont avancés pour justifier la politique gouvernementale en la matière.
La corrélation entre le temps d’exposition d’un enfant aux écrans et ses difficultés scolaires est mise en lumière par un certain nombre d’études, sans oublier les risques sanitaires (activité physique insuffisante et risque d’obésité, sommeil perturbé, troubles récurrents de la vue, etc.) et les perturbations psychiques que l’addiction aux technologies entraîne (manque de confiance en soi, stress, dépression, perte de concentration, impatience croissante, incapacité de lire et de comprendre des textes de plus de vingt lignes). Enfin, l’individualisme induit par ces pratiques coupe du réel et fait perdre le contact avec un prochain en chair et en os.
Autrement dit, un enfant qui joue (sans écran !) en plein air et fréquente d’autres enfants se portera mieux et réussira mieux que celui qui vit sans cesse connecté. Un enfant qui observe la nature ou la réalité qu’il découvre, apprend à la commenter et à décrire ce qu’il voit, la transcrit par un dessin ou un texte, que l’on interroge et qui assimile le savoir par le discours oral, se révèle plus apte à réussir scolairement que celui qui clique ou agite ses doigts à longueur de temps sur un écran numérique.
Ainsi, contrairement à ce que martèlent ses partisans, le numérique ne permet pas de mieux apprendre. Le rapport PISA 2015 (Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves) de l’OCDE est formel : « En moyenne, au cours des 10 dernières années, les pays qui ont consenti d'importants investissements dans les technologies de l'information et de la communication dans le domaine de l'éducation n'ont enregistré aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l'écrit, en mathématiques et en sciences. » Les capacités de compréhension d’un enfant face à lecture d’un texte et même la qualité d’utilisation de sa navigation sur internet sont inversement proportionnelles à la fréquence de l’utilisation de l’ordinateur à l’école.
Même si d’autres facteurs entrent en ligne de compte pour la réussite scolaire d’un enfant (attention et soutien apportés par les parents à sa scolarité, mise en valeur de l’effort et du travail dans la famille, accès aux livres, niveau culturel des conversations dans lequel il baigne depuis son plus jeune âge et fréquence des échanges oraux qu’il aura avec ses proches, lesquels structurent la syntaxe et enrichissent le lexique disponible, nature des loisirs mis à sa disposition, contact in situ avec d’autres enfants, etc.), l’intrusion massive des pratiques numériques montre à quel point cette technologie, entrée précocement dans les processus d’apprentissage, révolutionne, perturbe et finalement met en péril la vie des enfants et leurs capacités intellectuelles profondes.
C’est sans doute pourquoi, en Californie de nombreux parents qui travaillent dans les nouvelles technologies, dans la Silicon Valley mettent leurs enfants dans des écoles… sans écran ou en usage tardif et faible dans la scolarité. Philippe Bihouix rapporte dans son essai le fait suivant : « Dans un reportage de NBC, on découvre l’un des parents d’élèves, un vice-président de Google, « connecté 24 heures sur 24 » mais « qui ne veut pas cela pour ses enfants. » « Je crois que nous leur offrons une enfance créative, qui n’est pas contrainte pas la technologie, et où nous faisons confiance aux enfants », témoigne ce parent. Plus étrange encore, dans un classement des dix lycées les plus connectés des Etats-Unis, on ne trouve pas un seul établissement californien. Ces dirigeants qui inondent le monde d’objets connectés auraient-ils compris quelque chose qui nous échappe ? (4)»
La dénonciation de l’essai se prolonge également pour souligner le désastre écologique que représente l’explosion de la consommation de matériaux rares qui entrent dans les processus de fabrication des objets numériques et dont certains sont objectivement dangereux pour la santé. Enfin, l’essai propose un certain nombre de solutions alternatives pour une école sans écran. Les mesures de bon sens côtoient quelques préconisations démagogiques et politiquement correctes mais l’essai n’en demeure pas moins utile à lire.
Comme on le voit, toutes ces considérations font abstraction de la dimension morale des usages numériques et de leurs contenus. Mais même dans une perspective naturaliste et libérale qui caractérise la plupart de ces alertes, on trouve une dénonciation intéressante de la dérive actuelle du « tout numérique ». Le manque de réflexion éducative peut malheureusement compromettre dans certaines familles catholiques l’avenir de leurs enfants. Influencés par les modes et les slogans consuméristes ambiants, les parents ne perçoivent pas toujours l’enjeu à moyen terme de leurs pratiques familiales en matière technologique.
Il peut être encore temps de prendre en main son avenir et celui de ses enfants pour éviter un désastre éducatif et social à long terme (5).
Abbé Philippe BOURRAT, prêtre de la FSSPX, Directeur de l'enseignement du District de France
Source : La Porte Latine du 12 janvier 2017
M. l'abbé Philippe Bourrat