Repentances épiscopales : rien de trop ?
Article rédigé par Roland Hureaux, le 12 janvier 2017 Repentances épiscopales : rien de trop ?

Rien de trop : les habitués  des formalités  administratives - ou notariales, savent qu'on peut  toujours vous reprocher  une signature manquante mais jamais une signature en trop, aussi saugrenue  qu'elle soit.

Les hommes politiques savent de même qu'on pourra toujours  leur faire grief d'avoir omis dans un discours de remercier tel ou tel mais jamais  d'avoir  trop remercié, même s'il  n'y avait pas lieu de le faire.

Il semble que les évêques de France aient aujourd'hui la même conception de la repentance : il  n'y aurait aucun risque une fois de plus  à faire repentance sur quelque sujet que ce soit.  N'est ce pas un signe d'humilité ?

Réunis à Lourdes  le 7 novembre dernier, ils ont ainsi  cru bon, alors que personne ne le leur demandait,  de remettre à l'ordre du jour la question dite de la "pédophilie"[1]  au sein du clergé pour  se repentir collectivement de l'avoir trop longtemps tolérée, au mépris des victimes  :

« Nous n’avons pas assez écouté les victimes comme elles l’attendaient et ne les avons pas toujours accompagnées avec la compassion nécessaire », a ainsi confessé le cardinal André Vingt-Trois. Au nom de la centaine d’évêques présents, il a imploré le pardon de Dieu pour leur « manque de courage et de discernement pour affronter le fléau des abus sexuels dans l’Église ».

Mgr Luc Crepy, qui préside la Commission permanente de lutte contre la pédophilie (CPLP) en a rajouté : « Nous avons pu en être complices, nous évêques, par notre silence, notre passivité ou notre difficulté à entendre et à comprendre la souffrance » des victimes. L' évêque du Puy-en-Velay met  en cause un souci excessif  de « sauvegarder  l’image de respectabilité de l’Église », « la peur du scandale » qui auraient entraîné  un  « trop long silence coupable de l’Église » et pense  que l’épiscopat a « failli » à sa mission « en n’étant pas meilleur  que le reste de la société ».

  

Point trop n'en faut 

Tout cela était-il  bien  nécessaire ? Nous ne le pensons pas.

Gageons que le grand public, peu averti , éloigné de l'Eglise  et peu attentif à ce qui s'y  passe , lisant en diagonale  les grands titres, a cru que les évêques se repentaient d'actes pédophiles !  Une nouvelle fois et sans nécessité  l'idée de clergé aura été associée à celle de  pédophilie, alors même que parmi les professions et institutions  au contact des  jeunes, le clergé catholique  est le moins touché  qui soit. Mais qui le sait ?

Cette équivoque va particulièrement  toucher  les jeunes, encore plus éloignés de l 'Eglise et plus ignorants d'elle que leurs aînés et qui, les enquêtes le prouvent, en ont une mauvaise image.   

Certes nous savons, nous, que les membres de la conférence épiscopale ne se sont pas confessés d'actes pédophiles mais de passivité pour les prévenir ou les sanctionner, d'insuffisante compassion envers les victimes. Mais qui est responsable de cela ? Tous ? Ou bien quelques uns seulement ?  C'est à notre sens une dévaluation de l'authentique repentir, nécessairement individuel, que de le diluer en  repentance collective, ce qui n'a d'ailleurs pas de  précédent dans la tradition de l'Eglise.

Et personne n'a fait remarquer que les seuls évêques mis en cause par les médias ou par la justice pour ces supposées complaisances étaient, comme par hasard, les plus engagés avec La Manif pour tous.

On n'attend pas des  évêques qu'ils battent leur coulpe à tort et à travers, mais qu'ils se comportent en authentiques pasteurs. Pasteur  dans la Bible, cela veut dire chef. Imagine-ton un chef de guerre qui passerait  son temps à se repentir devant ses troupes ?  Le chef doit entraîner, inspirer confiance, être respecté , préserver sa dignité, si importante pour le peuple. Dès lors qu'il  est un personnage public,  sa bonne réputation, à condition qu'elle ne recouvre aucune hypocrisie, a plus d'importance que sa bonne conscience.  "Le pasteur connaît ses brebis" : il doit donc faire attention à la manière dont elles vont percevoir  ses déclarations.

L’Évangile du  jour  semblait tendre la perche à ces exercices de repentance  " Si quelqu'un scandalisait un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on suspendît à son cou une meule de moulin, et qu'on le jetât au fond de la mer.(Matthieu 18, 6 )  . Mais  cette citation qui nous semble  en effet pouvoir être appliquée à la pédophilie ( pour laquelle Jésus Christ demande  rien moins que la peine de mort ! ), peut être  retournée : scandaliser les petits, c'est  aussi leur laisser croire par des déclarations inopportunes  que l'Eglise n'est rien d'autre qu'un nid de perversions et les éloigner ainsi des immenses bienfaits qu'elle pourrait leur apporter.   

La mode de la repentance  n'a pas de limites : l'évêque de Pamiers ne voulait-il pas que l'Eglise se repente  de ce quelle aurait fait subir aux cathares ? Quelle prétention de juger ainsi ses prédécesseurs, hors de tout contexte, à 800 ans de distance !  Quelle ignorance de s'imaginer que les cathares, c'était le peuple de l'Ariège alors qu'ils se recrutaient  dans l'élite urbaine et que généralement le peuple les détestait[2].    

Cette mode de la repentance s'est même répandue  en Afrique. Les évêques du Rwanda ont récemment cru bien faire de se repentir du  génocide de 1994 . Repentance doublement absurde :  en  1994, les évêques catholiques n'avaient  nullement participé aux massacres  et de toutes les façons, ceux  qui étaient alors en place ont tous été révoqués. Le gouvernement rwandais actuel, qui, lui, porte une lourde responsabilité, directe ou indirecte, dans les massacres de ces années-là, a refusé avec mépris  les excuses des évêques :  c'est bien fait pour eux,  serait-on  tenté de dire !

 

La racine du mal : l'esprit de corps

 

D'autant qu'à y regarder  de près, au  moins en France, il s'en faut de beaucoup que la racine du  mal soit  coupée. La racine non de la pédophilie (aucun évêque français n'en a, Dieu merci, été soupçonné), mais de la passivité plus ou moins complice. La cause de cette passivité, c'est, disons-le,  l'esprit de corps  au sein du clergé en général  ou au sein de l’épiscopat. Or quelle plus belle illustration de la permanence voire du renforcement de cet esprit de corps que la réunion toujours unanime  de la Conférence des évêques de France ?  Les signes en sont nombreux :  dévaluation,  au nom de  la "collégialité", de la "synodalité" et  de la préférence pour le collectif, de la parole personnelle du pasteur successeur des apôtres au bénéfice de déclarations  communes à l'eau tiède, préparées dans l'obscurité des bureaux, camouflage soigneux des divergences, de ces divergences  qui montrent qu'un organisme est vivant: on peut  se demander ce que la Conférence des évêques aurait autorisé à dire à un saint  Augustin,  un Bossuet , un Mgr von Galen.  Il semblerait  aujourd'hui qu'au sein du clergé,  la forme supérieure de la charité, soit l'esprit de corps, celui-là même qui a amené certains évêques à couvrir  des  actes condamnables. S'est on repenti aussi de cela ? C'est douteux.  L'esprit de corps  ne saurait  être  un absolu. Toute pénitence doit être suivie de bonnes résolutions: en sus de dénoncer des complaisances, généralement vieilles de vingt ou trente ans, les évêques auraient pu aussi remettre l'esprit de corps  à la juste  place, toute relative, qu'il doit occuper.

 

[1] Nous mettons des guillemets à cette expression malheureuse  qui  discrédite le beau sentiment de la philia . Pédérastie,  qui se réfère à l'éros  serait plus juste.

[2] Et nous ne parlons pas du caractère profondément négatif de  la doctrine des cathares .